03/10/2014
Le roi de Prusse peut perdre son royaume, mais il ne perdra pas sa gloire ; nous sommes dans un cas tout contraire
... Bon nombre de mes concitoyens ont surement l'impression de travailler pour le roi de Prusse !
« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg
3 septembre [1759]
J'ai si mal aux yeux, madame, que je ne peux avoir l'honneur de vous écrire de ma main ; je suis aussi enchanté de la conduite de M. le prince de Brunsvik envers monsieur votre fils que je suis affligé de l'évènement fatal qui rend M. le prince de Brunsvik si grand et les Français si petits 1. Je me flatte, madame, que M. de Lutzelbourg est actuellement auprès de vous . Si j'étais à portée d'écrire au vainqueur, si certaines circonstances ne m'en empêchaient, je le féliciterais assurément non pas sur sa victoire, mais sur la manière dont il en use . Il me semble qu'on ne doit que des sentiments de condoléance au roi de Prusse , je le crois plus étonné d'être battu par les Russes que M. de Contades ne l'est d'être battu par les Hanovriens . Le roi de Prusse peut perdre son royaume, mais il ne perdra pas sa gloire ; nous sommes dans un cas tout contraire . Ne m'oubliez pas, madame, auprès de monsieur votre fils, ni auprès de Mme de Broumat . Si je ne bâtissais pas un château qui me ruine, je serais actuellement à l'île Jard .
Conservez votre santé . Il n'y a plus que cela de bon .
V. »
1 Bataille de Minden, défaite française .
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attendons encore quelques mois, et j'espère faire pour vous quelque chose dont vous serez content
... Promettent chacun de nos gouvernants .
« A Cosimo Alessandro Collini
gouverneur
de M. le comte de Sauer
à l'hôtel de Neuviller
à Strasbourg
3è septembre 1759
Un grand mal aux yeux m'a empêché de répondre plus tôt à votre dernière lettre, mon cher Collini ; il sera fort difficile que je puisse aller à la Cour palatine cette année, mais attendons encore quelques mois, et j'espère faire pour vous quelque chose dont vous serez content .
V. »
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Je n'ai osé mêler ma voix au bruit des canons qui ont grondé
...
« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha
Aux Délices près de Genève
1er septembre [1759]
Madame, il y a longtemps que Votre Altesse Sérénissime n'a entendu parler de moi . Je n'ai osé mêler ma voix au bruit des canons qui ont grondé des bords du Mein jusqu'au rivage de l'Oder . Languissant, malade, retiré dans mes ermitages j'ai été en danger d'être privé absolument de la vue, et d'être réduit à faire des souhaits pour votre bonheur sans avoir la consolation d'écrire à Votre Altesse Sérénissime.
J'ai béni la providence de ce qu'elle a au moins écarté cette année la guerre de vos États . Il y a un mois que je reçus une grande lettre du roi de Prusse qui m'annonçait sa résolution de combattre, mais qui ne me préparait point à ses malheurs . J'ignore où il est, ce qu'il devient, et si la communication est encore libre . Je gémis sur tous ces évènements qui ne font que prolonger les malheurs du genre humain . Puissent vos États madame être toujours préservés de ces horribles fléaux comme ils l'ont été cette année et comme l'est le petit coin de terre que j'habite, dans lequel on n'a d'autre malheur que d'être hors de portée de vous faire sa cour . Voilà mon fléau madame et je n'ai point encore appris à le supporter avec patience . J'ai perdu le premier des biens, la liberté dont le roi de Prusse m'a fait connaître tout le prix n'est que le second . Je ne m'attendais pas lorsqu'il me fit quitter ma patrie, qu'un jour le roi de France me ferait plus de bien que lui . Sa Majesté Très Chrétienne a déclaré libres et indépendantes les terres que j'ai en France auprès de Genève, et j'ai été obligé de renoncer pour jamais aux terres du roi de Prusse . Cependant madame je ne renonce point à lui . Je prends même la liberté de supplier Votre Altesse Sérénissime de vouloir bien lui faire parvenir cette lettre que j'ose recommander instamment à vos bontés et à votre protection 1 . Je me flatte qu'elle veut bien me pardonner cette démarche, qu'elle me conserve les sentiments dont elle m'a toujours honoré, et qu'elle agréée ainsi que toute son auguste famille mon profond respect et mon attachement . »
1 Cette lettre, importante pour l'histoire des relations entre V* et Frédéric, et même pour l’histoire de France, ne nous est pas parvenue . son contenu peut cependant être inféré de certains documents : d'une part la réponse de Frédéric, d'autre part un manuscrit endossé de la main de V* sous la forme de deux mentions, « instructions de M. l'ambassadeur de Chauvelin sur la lettre écrite au R. de P. p. ord. du ministère » et « instructions de M. l'ambassadeur Chauvelin » qui , selon les éditeurs de Kehl étaient le commentaire de la lettre de V* à laquelle Frédéric répondit le 22 septembre 1759 (voir ci-dessous ). D'autres éditeurs placent la lettre en 1758 . Bestermann fait une entrée à la date de la présente lettre à la duchesse : « La lettre est très bien, le fond et le ton en sont à merveille, je n'y ferai que deux observations . 1° Je ne sais si je lui présenterais aussi décisivement l'idée de restitution, je crois qu'elle lui sera toujours amère, et je ne sais si elle ne blesserait pas sa gloire autant que son intérêt . Peut-être faudrait-il adoucir ce passage . 2° je crois qu'il conviendrait de lui expliquer davantage le fond d'un système de pacification fondé sur les idées propres à lui qu'il développe dans sa dernière lettre . En conséquence je lui dirais ce me semble : « Vous ne voulez pas faire la paix sans les Anglais, vous avez raison, votre honneur y est intéressé, mais pourquoi ne feriez-vous pas faire la paix aux Anglais en mêle temps qu'à vous ? N'avez-vous pas acquis assez de droits sur leur estime, assez d'ascendant sur eux pour qu'ils sacrifient quelques -uns de leurs avantages à l'honneur de vous assurer las vôtres ? Alors les Français en compensation d'un tel bienfait ne seront-ils pas excités et autorisés à déterminer leurs alliés à des sacrifices équivalents à ceux que les Anglais auront fait pour eux en votre faveur ? Alors ne serez-vous pas l'auteur et le mobile, de cette condescendance réciproque qui ramènera tout à un équilibre désirable et utile à tout l'univers ? En un mot si vous déterminez les Anglais à ne pas envahir l'empire des mers, la propriété de toutes les colonies, et le commerce universel, doutez-vous que les Français n'engagent vos ennemis à renoncer aux prétentions qui vous seraient nuisibles ? » Il me semble que cette tirade maniée par le génie de M. de V., embellie des grâces nerveuses de son style, et ajoutée aux notions qu'il a déjà prises du R. de P., et des objets les plus propres à l'émouvoir , peut mettre dans tout son jour l'idée d'un plan qu'il serait très heureux que ce prince saisît, adoptât, et conduisît à sa maturité . »
Voici d'autre part le texte de la réponse de Frédéric II auquel se réfèreront de nombreuses lettres ultérieures de V* .
« 22 septembre [1759]
La duchesse de Saxe-Gotha m'envoie votre lettre etc. Comme je viens d'être étrangement balloté par la fortune, les correspondances ont toutes été interrompues . Je n'ai point reçu votre paquet du 29 ; c'est même avec bien de la peine que je fais passer cette lettre, si elle est assez heureuse de passer .
Ma position n'est pas aussi désespérée que mes ennemis le débitent . Je finirai encore bien ma campagne , je n'ai pas le courage abattu . Mais je vois qu'il s'agit de paix .tout ce que je puis vous dire de positif sur cet article c'est que j'ai de l'honneur pour dix, et que quelque malheur qui m'arrive, je me sens incapable de faire une action qui blesse le moins du monde ce point si sensible et si délicat pour un homme qui pense en preux chevalier, si peu considéré de ces infâmes politiques qui pensent comme des marchands .
Je ne sais rien de ce que vous avez voulu me faire savoir, mais pour faire la paix, voilà deux conditions dont je ne me départirai jamais , 1° de la faire conjointement avec mes fidèles alliés ; 2° de la faire honorable et glorieuse . Voyez-vous ! Il ne me reste que l'honneur ; je le conserverai au prix de mon sang .
Si on veut la paix qu'on ne me propose rien qui répugne à la délicatesse de mes sentiments . Je suis dans les convulsions des opérations militaires ; je suis comme les joueurs qui sont dans le malheur, et qui s'opiniâtrent contre leur mauvaise fortune . Je l'ai forcée de revenir à moi plus d'une fois, comme une maitresse volage . J'ai à faire à de si sottes gens qu'il faut nécessairement qu'à la fin j'aie l'avantage sur eux . Mais qu'il arrive tout ce qu'il plaira à sa sacrée majesté le hasard, je ne m'en embarrasse pas . J'ai jusqu'ici la conscience nette des malheurs qui me sont arrivés . La bataille de Minden, celle de Cadix, et la perte du Canada sont des arguments capables de rendre la raison aux Français auxquels l'ellébore autrichien l'avait brouillée . Je ne demande pas mieux que la paix, mais je la veux non flétrissante . Après avoir combattu avec succès contre toute l'Europe, il serait bien honteux de perdre, par un trait de plume, ce que j'ai maintenu par l'épée .
Voilà ma façon de penser . Vous ne la trouverez pas à l'eau-rose . Mais Henri IV, mes ennemis même que vous citez, ne l'ont pas été plus que moi . Si j'étais né particulier je céderais tout pour l'amour de la paix, mais il faut prendre l'esprit de son état . Voilà tout ce que je peux vous dire jusqu'à présent . Dans trois ou quatre semaines la correspondance sera plus libre , etc.
F. »
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02/10/2014
De matrimonio , livre admirable dont je ne peux me passer
... Ah ! le mariage !!
S'il fait peur à notre président François, qui ne ferait-il pas trembler, si tant est que notre Fanfoué puisse être un modèle .
Un autre qui n'est pas un modèle, Nicolas qui, lui, ne rechigne pas à épouser et à divorcer sans états d'âme . Attention Carla !
Le livre est admirable, mais la chose ....
« A Gabriel Cramer
[août-septembre 1759]
Je ne retrouve point mon Sanchez De matrimonio 1 , livre admirable dont je ne peux me passer . Je prie instamment mon cher Gabriel de me chercher ce livre qui sans doute doit se trouver parmi les livres édifiants imprimés pour l'Espagne par M. de Turnes . En un mot trouvez ce livre, je vous en prie, et n'oubliez pas notre préface russe, et pour Dieu songez au carton où Charles XII méritait d'être le premier soldat du csar Pierre . »
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Quand pourrons-nous vous donner la comédie pour vos figues ?
...
Ce qui correspond au temps nécessaire pour avoir un jour des partis politiques intelligents et des syndicats qui connaissent autre chose que la grève comme moyen d'action .
« A Louise-Suzanne Gallatin
[août-septembre 1759]1
M. de Voltaire est malade, il obéit sur le champ aux ordres de Mme Gallatin, il va faire descendre la justice . Betens est un sot. »
« A Louise-Suzanne Gallatin-Vaudenet
à Prégny
[août-septembre 1759]
Vos figues, madame, sont un présent d'autant plus beau, que nous pouvons dire comme l'autre, car ce n’était pas le temps des figues 2 . Nous n'en avons point aux Délices . Mais nous aurons un théâtre à Tournay, et nous partons dans une heure pour venir vous voir . Recevez, vous et votre famille, madame, les tendres respects de
V. »
« A Louise-Suzanne Gallatin-Vaudenet
[août-septembre 1759]
Vous nous accablez de présents, ma chère voisine . Que ne mangez-vous vos figues avec nous ! Nous vous remercions et nous vous regrettons . Quand pourrons-nous vous donner la comédie pour vos figues ? »
1 Manuscrit olographe sur une carte à jouer .
2 Évangile de Marc, XI, 13 : http://magnificat.ca/textes/bible/marc-11.htm
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Les évènements de la guerre changent tous les jours, mais la misère des peuples ne change point
... Je ne vous en ferai pas un dessin .
« A Élie Bertrand
29 août 1759
Il y a longtemps que je vous dois une réponse, mon cher philosophe . Je crois que les entrepreneurs de l'Encyclopédie 1 ont pris des mesures qui vous laissent toute votre liberté , et qu'il vaudra bien mieux que vous rassembliez dans un volume votre histoire naturelle, que de l'éparpiller dans une douzaine d'in-folios . L'histoire naturelle devient bien vilaine en Allemagne ; la nature de l'homme sera toujours de s'égorger sans savoir pourquoi . Maupertuis a fini la sienne d'une manière bien peu philosophique, il valait mieux encore se faire enduire de poix-résine que de mourir entre deux capucins . Formey,2 qu'il méprisait tant, est plus sage et plus heureux que lui . Je ne sais si les Russes viendront dans Berlin 3 lui demander quelques conférences sur les belles lettres . On dit aujourd’hui que le roi de Prusse a repris Francfort-sur-l'Oder 4. Les évènements de la guerre changent tous les jours, mais la misère des peuples ne change point . Mille tendres respects à M. et Mme Freudenrich .
V. »
1 A propos de la collaboration de Bertrand à l'Encyclopédie, voir lettre de Diderot à Grimm citée dans la lettre de V* à d''Alembert du 25 août 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/08/24/7ee3c111bfab5da7b657b0c44a4d4b32.html
2 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Acad%C3%A9mie_royale_des_sciences_de_Prusse
et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Johann_Heinrich_Samuel_Formey
3 Ils entrèrent à Berlin en octobre 1760 .
4 Les Russes avaient pris Francfort-sur-l'Oder le 30 juillet 1759 , et les tentatives de Frédéric II pour reprendre cette ville furent l'une des causes qui amenèrent sa défaite à Kunersdorf .
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01/10/2014
On varie tous les jours, mon cher monsieur, sur la liste des impôts ; mais toutes les listes que j'ai vues sont bien longues, le fardeau bien pesant, et la tristesse générale
... Et il en est encore qui regrettent le "bon vieux temps" en ignorant qu'il ressemblait au nôtre ; à quelques inventions près , on voit la valse des impôts , à trois (tiers) temps ou plus, sans cesse rejouée . Administrativement, peu de différence entre un roi et des parlements avec fermiers généraux, et un président avec parlement et sénat et un trésor public redoutable .
Qui paye qui ? Qui paye quoi ?
« A Jean-Robert Tronchin
à Lyon
Au Délices près de Genève 27 août 1759
On varie tous les jours, mon cher monsieur, sur la liste des impôts ; mais toutes les listes que j'ai vues sont bien longues, le fardeau bien pesant, et la tristesse générale . Cependant il faudra bien prendre un parti pour la clôture des Délices , attendu qu'il n'y a d'impôts sur le territoire de Genève ni sur les pierres ni sur les arbres . Les nouvellistes de votre ville ont voulu contester la défaite du roi de Prusse, mais elle est aussi vraie que celle du maréchal de Contades ; l'une et l'autre pourront être réparées, et la guerre peut durer encore longtemps .
Vous aurez probablement des objets plus satisfaisants à Lyon , vous y aurez deux cours brillantes . Si Mme Denis et moi avions un peu de santé nous pourrions bien aller voir Mme de Pompadour et M. de Choiseul, à qui nous avons plus d'une obligation . Mais je vous avoue que dans le fond du cœur, je préfère mes campagnes à toutes les cours du monde .
Voici, monsieur, deux petites lettres de change . Je reçois peu et je dépense beaucoup, ce n'est pas le moyen de laisser un grand héritage ; le grand point est de se réjouir, c'est pour cela que nous présentons, ma nièce et moi, nos remerciements à M. Camp, et que nous attendons des aunes de verdure et de fleurs comme M. Guillaume attendait des aunes de mouton 1. J'attends aussi que M. le conseiller d’État vienne régler avec moi quelques aunes de muraille .
Mille tendres compliments.
V. »
1 David-Augustin de Brueys, L'Avocat Pathelin, acte III,sc. 3, adaptation de la farce médiévale .
BRUEYS (De) et PALAPRAT. L’Avocat patelin, comédie en trois actes et en prose.
La première édition de l’Avocat patelin a eu lieu en 1706.
David de Brueys (1641-1723), poète et théologien français élevé dans la religion protestante, fut converti par Bossuet,et embrassa la religion catholique. S’étant alors fixé à Paris, il prit goût au théâtre et composa avec son ami Palaprat plusieurs comédies qui eurent du succès.
Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/David_Augustin_de_Brueys
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