25/09/2014
je serais fort aise d'entendre votre parole, quoique ni vous ni moi ne pensions que votre parole soit celle de Dieu
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« A François-Louis Allamand
pasteur
à Bex
par Vevey Suisse
Au château de Tournay 16 août [1759] 1
Vos lettres sont des cartels d'esprit , monsieur, , mais je vous dirai comme Saint-Evremond mourant à Waller 2, vous me prenez trop à votre avantage . Je ne me porte pas assez bien pour jouer avec votre imagination . Il me paraît que vous ressemblez à Peau-d'Âne qui s'amusait à se parer de pierreries dans un désert entre des rochers 3. Que faites-vous de tant d'esprit dans votre abominable trou ? Vous m'apprenez qu'il y a cinq classes dans le pays de Vaud, mais de tous ces gens-là il n'y en [a] 4 aucun qui ne dût aller en classe sous vous . Il est vrai que le roi m'a accordé tous les privilèges que ma terre de Ferney avait perdus 5. Il m'a fait libre . C'est à mon sens la seule vraie grâce qu'un roi puisse faire . Me voilà français, genevois et suisse , ne dépendant de personne . C'est un sort unique, et c'est ce que je cherchais . Il y a pourtant quelques lois que je suis obligé de suivre . Je ne peux pas faire dire la messe publiquement aux Délices, ni avoir un prêche public à Tournay et à Ferney . Mais je n'y voudrais pourtant d'autre ministre que vous, et je serais fort aise d'entendre votre parole, quoique ni vous ni moi ne pensions que votre parole soit celle de Dieu . Interim vale . »
1 Cette lettre répond à celle du 6 août 1759 .
2 V* reprend souvent cette anecdote qui contient une impossibilité puisque Edmond Waller mourut en 1687, donc bien avant Saint-Evremond .
3 Allamand dans sa lettre entretenait longuement V* de sa lecture des 11 volumes de l'Histoire générale, en commentant : « Par malheur il manque au plaisir et à l'instruction […] quelqu'un avec qui les multiplier en les partageant […] Privé de ce secours , je m’entretiendrai avec vous, monsieur, la plume à la main . N’ayez pas peur […] Je prétends seulement écrire [mes pensées] à la fin de chaque volume dans un cahier en blanc que j'y ai fait coudre à cette intention […] C'est déjà chose à voir que les marges de mon exemplaire, et c’en sera bien une autre après la seconde lecture, car je n'écrirai mes visons que dans le cours de la troisième, et comme elles pourraient s'échapper en l'attendant , à mesure qu'elles passent je les cloue chacune à sa ligne, par une ou plusieurs pointes qui ont la double vertu d'en marquer la place et d'en exprimer l'espèce ; plus d'étoiles que le ciel de Bex n'en a [...] »
4 V* a oublié le verbe .
5 « […] j'ai lu dans la Gazette qu'en votre faveur la cour a remis Ferney au bénéfice des édits […] cela signifierait-il que le prêche y est rétabli ? Car Ferney , avec je ne sais quel autre lieu, furent les seuls du pays de Gex, où l'on nous permit d'avoir temple et ministre depuis l'édit de 1664 . Encore fallut-il bâtir le temple d’aumônes recueillies en Hollande et en Suisse, et ces aumônes produisirent encore de quoi former le fonds nécessaire aux aliments du ministre jusques à la révocation . Qu'est devenu tout cela ? Le fonds doit être au moins, triplé . Faites-nous en raison, et vous voilà raccommodé avec les cinq classes du pays de Vaud » (ibid)
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24/09/2014
Oh quelle consolation pour un pauvre profane à moitié damné, de voir le nom sacro-saint d'un souverain pontife au frontispice d'un drame !
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« Au comte Francesco Algarotti
à Bologne
16 août [1759]1
M'avete favorito di due lettere mio caro cigno d'Italia, et di due tragedie una delle quali é dedicata a un papa . Oh che consolation per un povero profano mezzo donnato , di vedere il sacro santo nome d'un sommo pontefice nel' frontispizio d'un dram ! Miseri calvinisti, e jansenisti siate istrutti da questo exempio . Barbari riverite le muse .
Vi ringrazio caro signor mio tutti j vostri favori, et dell' onor che il signor' Agostino Paradi[si] 2 si compiace di far mi . Se il destin' a ordinato che io mora senza aver veduto la bella Italia, sono un poco confortato col' sentir che un de' vostri belli ingegni si degna di rivestire di fregi toscani il moi Cesare franceze . Si placeo, tuum est . Il vostro libraio non e tanto cortese come voi siete . Sospiro in vano per la raccolta dele vostre dilettevole oper .
Remember me while I am alive and remember I ouve all my happiness to liberty . Le roi de France a comblé mon bonheur en déclarant libres les terres que j'ai en France auprès des Délices . There I do not bewail the lost of Argaleon, who writes to me pretty often .3
Nisi quid non simul esses , coetera laetus 4.
V. »
1 On ne connait pas les lettres d'Algarotti .
2 Le mot suivant a provoqué l'omission de la dernière syllabe . Agostino Paradisi avait écrit à V* le 5 août pour lui annoncer qu'il traduisait Tancrède en italien avec La Mort de César et Mahomet .
3 " Vous m'avez favorisé de deux lettres mon cher cygne d'Italie, et de deux tragédies dont une est dédiée à un pape . Oh quelle consolation pour un pauvre profane à moitié damné, de voir le nom sacro-saint d'un souverain pontife au frontispice d'un drame ! Misérables calvinistes, et jansénistes, soyez instruits par cet exemple . Barbares recevez les muses . Je vous rends grâces, mon cher monsieur, de toutes vos faveurs, et de l'honneur que le sieur Agostino Paradisi a la complaisance de me faire . Si le destin a ordonné que je meure sans avoir vu la belle Italie, je suis un peu consolé à la pensée qu'un de vos beaux génies daigne embellir d'ornements toscans mon César français . Si par lui je vous plais, il est à vous . Votre libraire n'est pas aussi honnête homme que vous ; je soupire en vain après le recueil de vos œuvres délectables . Souvenez-vous de moi aussi longtemps que je serai en vie, et rappelez-vous que je dois tout mon bonheur à la liberté […] Là je ne pleure pas la perte d'Argaleon, qui m'écrit fort souvent .[...] »
4 Horace , Épîtres, I, x, 30 : Si ce n'est que nous ne sommes pas ensemble, au demeurant je suis heureux .
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23/09/2014
Vous êtes parti dans le temps où nous avions le plus besoin de vous
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« A Joseph-Louis de Ponte, comte d'Albaret 1
Aux Délices , 16 août [1759]2
L'oncle et la nièce, monsieur, devraient avoir répondu plus tôt à la lettre dont vous les avez honorés, mais l'oncle était malade et la nièce apprenait son rôle . Vous êtes parti dans le temps où nous avions le plus besoin de vous . Nous avons un petit théâtre à Tournay, et hors moi tous les acteurs se portent bien . Tous vous regrettent, tous disent que sans vous on n'aura qu'une troupe médiocre . Mais on vous regrette encore davantage dans la société . Vous en faisiez l’agrément . La bonne compagnie de Turin qui vous possède, ne vous permettra pas de la quitter pour venir nous voir . Nous le sentons avec douleur, mais si jamais vous revenez sur les bords de notre lac, n'oubliez pas ceux qui sont pénétrés pour vous de tous les sentiments que vous méritez . Comptez nous parmi ceux qui vous sont le plus dévoués , et soyez persuadé surtout de l'attachement tendre et respectueux du solitaire et du malade .
V. »
1Le comte d'Albaret est vraisemblablement Joseph-Louis de Ponte, comte d'Albaret (fils d'Antoine-Marie, intendant de Roussillon, mort en 1750) ; il a été l'hôte de Voltaire en 1758.
2 Date fixée, entre autres considérations, par une lettre de Théodore Tronchin à d'Albaret, du 16 octobre 1759, où on peut lire : « On jouera samedi à Tournay la tragédie de Cassandre . M. de Chauvelin vous en dira des nouvelles », ce qui indique que le comte est un des familiers du théâtre de Voltaire .
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22/09/2014
Finalement je suis toujours disposé à sauver cet imbécile
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« A Jean Vasserot de Châteauvieux
[août 1759]
Voici une autre affaire . Mme de La Bâtie fait subhaster 1 tout le domaine Valavran .
Puis-je avoir au moins en antichrèse 2 les prés de Betens sans que Mme de La Bâtie m'attaque ?
Si je prends ces prés, la terre de Valavran ne vaut plus rien . Avec quoi pourrait-on y entretenir des bestiaux ?
Acheter tout Valavran, cela m'est impossible . Je ne veux point payer des lods et ventes, des centièmes deniers, etc.
D'ailleurs que faire de cette terre ? Elle ne rapporte pas 450 livres de France annuellement . Sur ces 450 livres il faut payer le dixième , la capitation et la taille . Il ne revient pas 250 livres par an à ce pauvre Betens . [Avo]uez mon cher Cicéron que Betens a fait de bonnes affaires .
Finalement je suis toujours disposé à sauver cet imbécile . Mais en lui prêtant sans intérêt, en étant subrogé à la dette envers Choudens, je veux être sûr de jouir des prés et de n'avoir point de procès . On me dit que le procès est inévitable .
Il vaudrait beaucoup mieux que le procureur de Mme de La Bâtie s'arrangeât avec Betens . J'ai l'honneur de vous l'envoyer . »
1« Vente à cri public, par autorité de justice, au plus offrant et dernier enchérisseur . »
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21/09/2014
Le patient sera encore quelques jours en prison . Cela ne le rendra pas plus actif
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« A Jean Vasserot de Châteauvieux
[août 1759]
Il faudra donc que Betens m'envoie quelque garçon notaire, mon cher Cicéron . Il est juste qu'au préalable le dit Betens déclare de bonne foi toutes ses dettes, et ce qu'il paye de dixième, et de taille , et d'autres menus droits . Il déclare aujourd'hui une dette, demain, il en déclare une autre, et après-demain on en trouve une troisième . Il ne donne aucune instructions . Il n'a personne qui en donne pour lui . Comment transiger avec un tel homme ?
J'ai fait prier Mme la générale de Donop 1 votre tante par son procureur de vouloir bien différer . J'attends ses ordres . Le patient sera encore quelques jours en prison . Cela ne le rendra pas plus actif . Mon cher Cicéron, v[otre] compassion vous coûte bien des som[mes]. »
1Françoise Vasserot de Vincy, née Turrettini, épousa en 1732 M. de Donop ; voir page 86-87 : http://books.google.fr/books?id=_qKl9IBaZjsC&pg=PA86&dq=g%C3%A9n%C3%A9ral+de+donop&hl=fr&sa=X&ei=OoUdVMS9N5KUauuPgIgF&ved=0CCkQ6AEwAQ#v=onepage&q=g%C3%A9n%C3%A9ral%20de%20donop&f=false
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20/09/2014
Les sottises des hommes vous font perdre un temps précieux
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« A Jean Vasserot de Châteauvieux
[août 1759]
Allons donc, je ferai ce que veut mon Cicéron . Je garderai mon argent, je ne donnerai que les 4375 livres de France . Vous avez fait œuvre pie d'aller consoler un Samaritain incarcéré par un Juif.
Je vous donnerai un billet portant promesse de payer dans un mois ou 15 jours 4375 livres de France moyennant quoi il me cèdera tout le plus de foin qu'il pourra et gardera tout le reste .
Choudens me remettra son contrat usuraire avec Pasteur .
Je crois que Choudens ayant passé en France l'acte de vente de son domaine doit passer l'acte de subrogation en France, ou du moins articuler dans l'acte à Genève qu'il se soumet à la juridiction de France .
Voilà bien des peines que vous vous donnez . Les sottises des hommes vous font perdre un temps précieux . Vous vous payez par le plaisir de faire du bien . Quel exemple [pour ] les prêtres ? Que je vous aime !1
S'il veut me céder tout son foin il y en a je crois pour environ 350 livres de France par an .
Je lui donnerais 2400 livres .
Je serais payé en 7 ans ou à peu près .
Cela serait plus convenable à un homme de mon âge que d'avoir l'insolence de stipuler pour onze ans .
Pauci quos aequus amavit 2. »
1 C'est ici la fin de la première page du manuscrit olographe, et le bas du papier est abimé .
2 Il y en a peu que [Jupiter] a aimés à l'égal de ceux-là . Virgile fait allusion à quelques privilégiés à qui Jupiter a permis de visiter les Enfers ; Enéïde, VI, 129 .
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19/09/2014
en cas que ces propositions lui paraissent convenables
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« A Jean Vasserot de Châteauvieux
[août 1759]
Monsieur de Châteauvieux est prié de vouloir bien examiner cette réponse aux nouvelles instances du sieur Betens, et d'avoir la bonté de la lui faire communiquer, en cas que ces propositions lui paraissent convenables 1. »
1 Réponse affirmative de Betens .
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