Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/02/2012

Vous êtes au fait, je vous prie de m'y mettre

http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=DCtVfLjmOAU&feature=endscreen

 

 

 

 

«  A M. DARGET.

Aux Délices, près de Genève, 13 juin 1755.

Il faut encore vous reparler, mon ancien ami, de ce diable de manuscrit1. Tout le monde sait dans Paris que c'est votre beau- frère qui l'a apporté. M. le duc de La Vallière me mande qu'on lui en a offert un exemplaire pour mille écus. Quelles tristes circonstances pour votre beau-frère, pour vous-même, et surtout pour moi! On a chargé de cet exemplaire un nommé Grasset. Je vous conjure d'écrire à votre beau-frère.
Engagez-le, par tous les motifs qui vous touchent, à retirer les exemplaires qui lui ont échappé, ou du moins à indiquer à qui je dois m'adresser. Je ne sais si je dois écrire au prince Henri2. J'attends sur cela vos conseils, quoique le temps presse. Vous êtes au fait, je vous prie de m'y mettre3. Votre cœur vous dit quelle est ma triste situation. Tout cela ne contribue pas à guérir un vieux malade. J'attends de vous ma consolation. Je vous embrasse de tout mon cœur. »

1 La Pucelle .

2 Frère de Frédéric II de Prusse .

 

06/02/2012

Il faut encore de l'art et de la conduite jusque dans l'ivresse de la plaisanterie, et la folie même doit être conduite par la sagesse

 

dollydort1218.JPG

Dolly dort .

Jamais sur ses deux oreilles .

 

 

 

 

« A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Aux Délices, par Genève, 13 juin [1755]

Je n'ai de termes ni en vers, ni en prose, ni en français, ni en chinois, mon cher et respectable ami, pour vous dire à quel point vos bontés tendres et attentives pénètrent mon cœur. Vous êtes le saint Denis qui vient au secours de Jeanne. J'ai reçu votre lettre par M. Mallet, mais les choses sont pires que vous ne les croyez. M. le duc de La Vallière1 me mande qu'on lui a offert un exemplaire2 pour mille écus; le beau-frère de Darget en a donné une ou deux copies. Je ne sais pas ce que ce Darget a fait, mais je sais que, dans tous les pays où il y a des libraires, on cherche à imprimer cette détestable et scandaleuse copie. Il faut, de toute nécessité, que je fasse transcrire la véritable. Je suivrai votre conseil, je l'enverrai à M. de La Vallière, et à la personne dont vous me parlez 3. Vous l'aurez sans doute; mais que de temps demande cette opération ! Je me donnerai bien de la peine, et, pendant ce temps-là, l'ouvrage paraîtra tronqué, défiguré, et dans toute son abomination. Au reste, vous avez trop de goût pour ne pas penser que les grossièretés ne conviennent pas même aux ouvrages les plus libres, il y en a très-peu dans l'Arioste. Deux ou trois coups, dit-elle, est fort plat, et Rien du tout, lui dit-elle, est plaisant4. Tous les gros mots sont horribles dans un poème, de quelque nature qu'il soit. Il faut encore de l'art et de la conduite jusque dans l'ivresse de la plaisanterie, et la folie même doit être conduite par la sagesse. Le résident de France 5 et un magistrat sont venus chez moi lire la véritable leçon. Ils ont été intéressés, en pouffant de rire ils ont dit qu'il faudrait être un sot pour être scandalisé. Voilà où j'en suis, c'est- à-dire au désespoir car, malgré l'indulgence de deux hommes graves, je suis plus grave qu'eux. Une vieille plaisanterie de trente ans jure trop avec mon âge et ma situation. Dieu veuille me rendre ma raison tragique, et m'envoyer à Pékin6 .
On dit qu'il est venu à Paris un nouvel acteur égal à Lekain 7, ce serait bien là notre affaire. Adieu, mon ange je ferai ce que je pourrai. Dieu a donc béni Mahomet ? Est-il possible que Rome sauvée ait été mal jouée et plus mal imprimée, et qu'on ne puisse pas reprendre sa revanche? Il faut bien du temps pour faire revenir les hommes. Les talents ne sont point faits pour rendre heureux; il n'y a que votre amitié qui ait ce privilège. Adieu , mille tendres respects à tous les anges. Mme Denis vous dit toutes les mêmes choses que moi »

2 De La Pucelle, dans une version scabreuse et fausse .

3 Mme de Pompadour.

4 Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-chant-second-83161156.html

Chant II de La Pucelle :

A sa réponse et sage et mesurée, 
Le roi vit bien qu’elle était inspirée. 
« Or sus, dit-il, si vous en savez tant, 
Fille de bien. dites-moi dans l’instant 
Ce que j’ai fait cette nuit à ma belle; 
Mais parlez net. ¾ Rien du tout, » lui dit-elle. 
Le roi surpris soudain s’agenouilla, 
Cria tout haut: « Miracle! » et se signa. 

5 M. de Montpéroux

6 La finition de L’Orphelin de la Chine .

7 Il s'agit probablement de Clavareau de Rochebelle, qui débuta, le 28 avril 1755, par le rôle d'Andronic, et joua successivement ceux de Zamore et du comte d'Essex, mais qui ne fut pas admis à la Comédie Française .

http://books.google.fr/books?id=yHYGAAAAQAAJ&pg=PA402&dq=clavareau+de+rochebelle&hl=fr&sa=X&ei=gdsvT96GI5SD8gPHraj2Dg&ved=0CDIQ6AEwAA#v=onepage&q=clavareau%20de%20rochebelle&f=false

05/02/2012

ce poème, et la vie de l'auteur, et tout au monde, sont bien peu de chose

 J'ai choisi ce titre uniquement pour contrarier l'auteur de ces lignes ; Voltaire, "la vie de l'auteur" , lorsqu'il s'agit de toi, n'est pas "bien peu de chose" pour moi .  Sinon , je cesserais immédiatement de le lire et de comprendre sa pensée . Je peux vous assurer que ce n'est pas pour demain !

!1189.JPG

 !

 

 

 

« A M. Claude-Etienne DARGET.

Aux Délices, près de Genève, 11 juin 1755.

Premièrement je vous jure, mon ancien ami, que je n'ai point lu les réponses de La Beaumelle1 . En second lieu, vous devez le connaître pour le plus impudent et le plus sot menteur qui ait jamais écrit, c'est un homme qui, sans avoir seulement un livre sous les yeux, s'avisa de faire des notes au Siècle de Louis XIV, et d'imprimer mon propre ouvrage en le défigurant, avançant à tort et à travers tous les faits qui lui venaient en tête, comme on calomnie dans la conversation. C'est un coquin qui, sans presque vous connaître, vous insulte, vous et M. d'Argens, et tout ce qui était auprès du roi de Prusse, pour gagner quinze ducats. C'est ainsi que la canaille de la littérature est faite. Encore une fois, je n'ai point lu sa réponse, et rien ne troublerait le repos de ma retraite sans le manuscrit dont vous me parlez2. Il ne devait jamais sortir des mains de celui à qui on l'avait confié, il me l'avait juré, et il m'a écrit encore qu'il ne l'avait jamais prêté à personne. C'est un grand bonheur qu'on se soit adressé à vous, et que cet ancien manuscrit soit entre des mains aussi fidèles que les vôtres. Vous savez d'ailleurs que ce Tinois qui transcrivit cet ouvrage se mêlait de rimailler.
Le frère de M. Champaux m'avait donné Tinois comme un homme de lettres; c'est un fou, il fait des vers aussi facilement que le poète Mai3, et aussi mal. Il faut qu'il en ait cousu plus de deux cents de sa façon à cet ouvrage, qui n'est plus par conséquent le mien. Dieu me préserve d'un copiste versificateur . On m'a dit que La Beaumelle, dans un de ses libelles, s'était vanté d'avoir le poème que vous avez, et qu'il a promis au public de le faire imprimer après ma mort. Je sais qu'il en a attrapé quelques lambeaux. S'il avait tout l'ouvrage qu'on m'impute, il y a longtemps qu'il l'eût imprimé, comme il imprime tout ce qui lui tombe sous la main. Il fait un métier de corsaire en trafiquant du bien d'autrui. Les Mandrins sont bien moins coupables que ces fripons de la littérature, qui vivent des secrets de famille qu'ils ont volés, et qui font courir, d'un bout de l'Europe à l'autre, le scandale et la calomnie.
Il y a aussi un nommé Chévrier4 qui s'est vanté, dans les feuilles de Fréron, de posséder tout le poème mais je doute fort qu'il en ait quelques morceaux. Il en court à Paris cinq ou six cents vers, on me les a envoyés, je ne m'y suis pas reconnu. Cela est aussi défiguré que la prétendue Histoire universelle, que cet étourdi de Jean Néaulme acheta d'un fripon. Tout le monde se saisit de mon bien comme si j'étais déjà mort, et le dénature pour le vendre.
Ma consolation est que les fragments de ce poème, que j'avais entièrement oublié, et qui fut commencé il y a trente ans, soient entre vos mains. Mais soyez très-sûr que vous ne pouvez en avoir qu'un exemplaire fort infidèle. Je suis affligé, je vous l'avoue, que vous en ayez fait une lecture publique. Vingt lettres de Paris m'apprirent que ce poème avait été lu tout entier à Vincennes, j'étais bien loin de croire que ce fût vous qui l'eussiez lu. Je fis part à M. le comte d'Argenson de mes alarmes je lui demandai aussi bien qu'à M. de Malesherbes les ordres les plus sévères pour en empêcher la publication. J'étais d'autant plus alarmé que, dans ce temps-là même, un nommé Grasset écrivit à Paris au sieur Corbi5, qu'il en avait acheté un exemplaire manuscrit mille écus.
Enfin je suis rassuré par votre lettre6, et vous voyez par la mienne que je ne vous cache rien de tout ce qui regarde cet ancien manuscrit. Après toutes ces explications je n'ai qu'une grâce à vous demander. Vous avez entre les mains un ouvrage tronqué, incorrect, et très-indécent, faites une belle action, jetez- le au feu, vous ne ferez pas un grand sacrifice, et vous assurerez le repos de ma vie. Je suis vieux et infirme, je voudrais mourir en paix, et vous en avoir l'obligation.
Le roi de Prusse a voulu avoir pour son copiste le fils de ce Villaume7 que j'ai emmené de Potsdam avec moi. Je le lui ai rendu, et j'ai payé son voyage, je crois qu'il en sera content, heureusement il ne fait point de vers. Adieu, conservez-moi votre amitié; écrivez-moi. Voulez-vous bien remercier pour moi M. de Croismare de son souvenir, et permettre que je fasse mes compliments à M. Duverney? Je me flatte que votre sort est très- agréable, je m'y intéresserai toujours très-tendrement, soyez-en
bien sûr.
Ma pauvre santé ne me permet plus guère d'écrire de ma main. Pardonnez à un malade. Comptez que ce poème, et la vie de l'auteur, et tout au monde, sont bien peu de chose. »

2 La Pucelle que Darget a lue à Vincennes.

3 Le poète Mai ou May mort en 1719 eut une vie longue et misérable et fut un un poète sans succès . Il est cité dans la Fête de Bélébat de V* , 1725 : Voir page 286 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411318m/f301.image.r=.langFR

4 Voir lettre du 15 octobre 1754 à d'Argental où V* nomme outre Tinois, un certain Chevrier : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/09/28/on-me-vole-mon-bien-de-tous-cotes-et-on-le-denature-pour-le.html

7 C'est certainement de lui dont parle Colini dans Mon séjour auprès de M. de Voltaire , page 72 : « … deux domestiques, dont un était de Potzdam, et servait de copiste. »

 

03/02/2012

si, après cela, vous voulez venir dans une des plus agréables solitudes du monde

 

confluent rhone arve.jpg

Confluent Rhône (limpide) - Arve (trouble) , canton-république de Genève

 

 

 

«  A M. THIERIOT 

Aux Délices, 6 juin [1755]

Je n'ai point encore, mon cher et ancien ami, de nouvelles de vos desseins et de vos marches. Mais si vous voulez cet ouvrage1 dont vous me parlâtes dans une de vos dernières lettres, je vous l'enverrai tout entier. On en a des copies si plates et si défigurées que vous serez bien aise de l'avoir complet et correct. Vous en disposerez à votre fantaisie, et si, après cela, vous voulez venir dans une des plus agréables solitudes du monde, vous aurez le plaisir de voir d'un coup d'œil Genève, son lac, le Rhône, une autre rivière2, des campagnes et les Alpes. La nature n'en peut pas rassembler davantage, et la philosophie ne peut choisir un séjour plus libre et plus tranquille. Vale. »

1 La Pucelle .

2 L'Arve .

 

mtblancgeneve.jpg

Le Massif du Mont Blanc vu de Genève, de gauche à droite:
l'Aiguille du Midi, le Mont Blanc du Tacul, le Mont Maudit, le Mont Blanc et l'Aiguille de Bionnassay.

Le plus triste effet de la perte de la santé, ..., c'est de ne point voir ses amis, c'est de ne leur point écrire.

http://player.canalplus.fr/#/585757  :  Humour, sur un état des lieux qui laisse un terrible goût amer !

Le débat Fillon – Aubry, flot de paroles, m'a laissé de glace , la preuve :

flot de paroles me laisse de glace.JPG

 

 

 


« A M. DE BRENLES.

Aux Délices, 6 juin [1755]

Le plus triste effet de la perte de la santé, mon cher et aimable philosophe, n'est pas de prendre tous les jours de la casse, et de la manne délayée dans de l'huile, par ordre de M. Tronchin, c'est de ne point voir ses amis, c'est de ne leur point écrire. Le découragement est venu combler mes maux.
J'aurais dû être ranimé par des traverses que le bon pays de Paris m'a envoyées dans ma solitude mais je ne sens plus que la privation de la santé et la vôtre. Je fais un peu ajuster cette maison, qui est trop loin de vous pour être appelée les Délices. Je fais aussi accommoder notre Monrion, et je ne jouis ni de l'un ni de l'autre. Il faudrait au moins être débarrassé des ouvriers, qui m'accablent ici, pour venir dans votre voisinage, et j'ai bien peur d'en avoir encore pour longtemps. Notre ami Dupont m'a mandé qu'il viendrait nous voir en septembre, c'est à Monrion qu'il faudra nous rassembler.
Il y a actuellement un nommé Grasset à Lausanne, il se mêle de librairie, et est lié avec M. Bousquet1. Cet homme vient de Paris, et je suis informé qu'on l'a pressé de faire imprimer des ouvrages qu'on m'impute2. Je n'ose vous prier d'envoyer chercher le sieur Grasset mais si par hasard il vous tombait sous la main, vous me feriez plaisir de l'engager à s'adresser directement à moi, il trouverait probablement plus d'avantage à mériter ma reconnaissance par une conduite honnête qu'il n'aurait de profit à imprimer de mauvais ouvrages.
Il est vrai que je me suis amusé à faire quelques vers3 sur votre beau lac, et à chanter votre liberté. Ce sont deux beaux sujets mais je n'ai plus de voix, et je détonne. Quant j'aurai le bonheur de vous voir, je vous montrerai ce petit ouvrage; je n'en suis pas encore content.
Adieu, mon cher philosophe ,vivez heureux avec celle qui partage votre philosophie, augmentez votre famille, et conservez- la. Mille tendres compliments, je vous en prie, à M. Polier4, quand
vous le verrez. Adieu, aimez toujours un peu ce solitaire qui vous aime tendrement. V. »

1 Marc-Michel Bousquet ,imprimeur à Lausanne , qui fut un temps employeur de François Grasset , après que celui-ci ait travaillé chez les frères Cramer .

2 Entre autres, La Pucelle .

3 L'Epître sur le lac de Genève : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-34308349.html

 

01/02/2012

On vient chez moi, on se promène, on boit, on lit, on est en liberté, et moi aussi

... on écoute de la musique :  http://www.youtube.com/watch?v=cL5NI7fxdRA&feature=related

tu-viens-faire-dodo-chez-moi.jpg

on boit.gif

Comment on lit.jpg

Libre ...

chat libre.JPG

 

 

« A M. DUPONT 1

Avocat à Colmar

Aux Délices, près de Genève, 6 juin [1755]

Mon cher ami, est-il bien vrai que vous pourrez venir, pendant vos vacances, dans ce pays de la liberté, où vous trouverez plus de philosophes que dans le vôtre? Vous y verrez du moins deux solitaires qui vous aiment de tout leur cœur. Soit que nous vous recevions dans la cabane de Monrion, soit que nous jouissions de votre charmant commerce dans notre habitation des Délices, vous contribuerez également à notre bonheur ; on s'accoutume bien vite à une belle vue, à une galerie, à des jardins. Ce sont des plaisirs muets qui deviennent bientôt insipides. Il n'y a que la société d'un ami, et d'un ami philosophe, qui donne des plaisirs toujours nouveaux. Je mène à peu près la même vie aux Délices qu'à Colmar. Point de visites, point de devoirs, nulle gêne, de quelque espèce qu'elle puisse être. On vient chez moi, on se promène, on boit, on lit, on est en liberté, et moi aussi, on s'est accoutumé tout d'un coup à la vie que je mène. Plût à Dieu que vous pussiez la partager quelque temps, et que madame votre femme pût vous accompagner! Vos enfants, votre fortune, vous fixent à Colmar, et nous en sommes bien fâchés.
V. et D.2 »

2 Voltaire et Mme Denis Marie-Louise, sa nièce et compagne .