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10/12/2014

Je ne sais ce que je fais, tant j'ai (je n'ose pas dire) de plaisir

... Si au moins c'était vrai pour moi !

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« A Charles de BROSSES , baron de Montfalcon.
3 décembre [1759].
La poste part, monsieur, dans le moment. Je n'ai donc que ce moment pour vous dire que j'envoie un gros paquet à monsieur le procureur général de Dijon ; que ce paquet prouve à mon avis que ce n'est ni à vous ni à moi à payer jamais cent pistoles de frais que la justice de Gex pourrait faire pour une demi- douzaine de noix ; que je vous supplie de lire mon paquet et de l'appuyer 1.

Le roi de Prusse me mande du 17 novembre que, dans trois jours, il m'écrira de Dresde, et le troisième jour il est détruit . Bel et grand exemple ! J'attends vos ordres pour Tournay 2. Pardon, le papier se trouve coupé. Je ne sais ce que je fais, tant j'ai (je n'ose pas dire) de plaisir.

V. »

1 Il s'agissait des frais d'un procès criminel fait à un sieur Panchaud, de la Perrière (entre Tournay et Genève), pour un coup de sabre porté dans une rixe occasionnée par un vol de noix. Ces frais étaient à la charge du seigneur haut-justicier. Peu empressé de les payer, Voltaire soutenait que la Perrière ne dépendait pas de Tournay. (Note du premier éditeur.)

2 V* demandait le 14 novembre : « … faites-moi une vente absolue de la terre que vous m'avez vendue à vie. » De Brosses répondra vers le 20 novembre : « … j'aimerais mieux vous vendre Tournay que de vendre ma vaisselle d'argent à notre invincible monarque . Mais avec cela je suis bien perplexe … public et particulier, tout est en l'air ou déjà au fond de l'abîme . Que ferai-je de votre argent ? … Enfin vous savez ce que j’eus l'honneur de vous répondre … qu'elle ne serait jamais aliénée à moins de deux cent mille livres argent courant . … Il faut déduire ce que vous m'avez déjà payé . »

 

 

09/12/2014

Jugez des hommes, jugez des rois

... Les rois et toutes les têtes régnantes plus ou moins démocratiquement, républicaines ou non, ne sont que des animaux mammifères à bouche ventrale, soumis aux mêmes besoins que le vulgum pecus ; tant vaut ce dernier, tant vaut le roi .

 

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« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

2 décembre [1759] au soir

Mon cher correspondant, nous ne saurons que demain si le maréchal Daun a vengé la défaite du maréchal de Conflans sur vingt mille Prussiens, et si le roi de Prusse est aussi malheureux sur terre que nous sur mer .

Je vous ai déjà mandé que Laroche, libraire, m'a envoyé pour 6 livres 10 sous l'ordonnance des eaux et forêts que vous me faisiez avoir pour 50 sous . Je n'ai pas besoin des deux volumes marqués sur les deux petites cartes que vous avez eu la bonté de m'envoyer .

Mais j'ai besoin de l’ordonnance criminelle et du code rural par Boucher d'Argis 1 – 5 livres, nouveau dénombrement du royaume in-4° - 12 livres 2. Laroche ne doit pas les vendre davantage . Ce prix est sur la catalogue des libraires associés . Je crois que la librairie est heureusement une sorte de commerce qui n'a jamais passé par vos mains . Les libraires ne sont pas tous gens de bien . J'ai toujours honte des petits détails dans lesquels votre amitié veut bien entrer .

Jugez des hommes, jugez des rois .

Le roi de Prusse m'écrit le 17 novembre, je vous écrirai bientôt de Dresde 3, et le 20, il est détruit 4 .

Je vous 5 »

1 Antoine-Gaspard Boucher d'Argis : Code rural , ou maximes et règlements concernant les biens de campagne, par M..., avocat au Parlement, 1749;voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Gaspard_Boucher_d%27Argis

2 Nouveau dénombrement du royaume par généralités, élections, paroisses et feux, 1735 ; voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k839077

et : http://fr.rodovid.org/wk/Source:Nouveau_d%C3%A9nombrement....

3 Frédéric II écrivait : « Nous touchons à la fin de notre campagne ; elle sera bonne, et je vous écrirai, dans une huitaine de jours , de Dresde, avec plus de tranquillité et de suite qu'à présent. »

5 La lettre est déchirée et s'arrête brusquement .

 

08/12/2014

Il est même difficile de comprendre que ceux à qui cet argent est dû tardent tant à le recevoir

... Recherche gagnant du loto désespérément ?

Je n'ai pas cette chance , le père Noël devrait y pourvoir .

 Par exemple :

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« A François Guillet, baron de Monthoux

au château

d’Annemasse recommandé à M. Mirabaud

Aux Délices 2 décembre 1759 1

Monsieur, les inquiétudes des jurisconsultes de Genève m’en donneraient si votre parole d'honneur me rassurait . Ils prétendent que le contrat n'a point son effet puisqu'on a manqué à la clause principale de rapporter les pièces justificatives qui prouvaient que l'argent à vous prêté monsieur est pour son prix non payé de la terre d'Annemasse . Ils disent que je perds ma sureté et mon hypothèque si je ne fais les diligences nécessaires . Je vous supplie instamment monsieur de nous épargner à tous deux un tel désagrément . Vous êtes le maître d'exiger le reçu de l'argent que vous avez donné . Il n’y a rien de si simple et de si facile . Il est même difficile de comprendre que ceux à qui cet argent est dû tardent tant à le recevoir . Je vous prie monsieur de m'honorer d'une réponse prompte et positive .

À l'égard de l'avoine nous n'aurons pas de difficulté sur le prix, et vous me ferez plaisir de m'en envoyer beaucoup . J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments qui vous sont dus

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

1 Guillet a noté : « 2 décembre 1759 . Pour le prix de l’avoine de M. de Voltaire m'écrit qu'on n'aura pas de différend. » . Voir lettre du 17 octobre 1759 au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/04/j-ai-heureusement-monsieur-trouve-l-argent-dont-vous-avez-be-5482624.html

et du 15 novembre 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/24/comme-le-prix-varie-toutes-les-semaines-il-vaudrait-mieux-qu-5496462.html

 

nous ne saurons que lundi la vérité et encore ne la saurons nous pas entière

... Comme d'hab !

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Alors chantons , en chemise à fleurs pour effacer l'hiver : https://www.youtube.com/watch?v=bxS9N-npE2Q

 

 

 

« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

La nouvelle écrite de Ratisbonne le 24 qu'un corps prussien de plus de 18000 hommes avait été entièrement détruit le 20 sur la rive gauche de l'Elbe 1, est tellement circonstanciée qu'elle peut au moins flatter ceux qui ne croient pas légèrement ; mais nous ne saurons que lundi la vérité et encore ne la saurons nous pas entière .

Si mon cher correspondant a quelque nouvelle touchant les finances, il me fera grand plaisir de me mettre au fait .

Le libraire Laroche m'a envoyé l’ordonnance des eaux et forêts par la poste au lieu de me l'envoyer par la messagerie comme il le devait . Il a voulu réparer par cette promptitude affectée , le tort qu'il avait eu de négliger de me répondre depuis huit jours sur cet article , et il prétend avoir donné un écu au courrier pour se charger du livre, moyennant quoi le port coûte plus cher que le livre même .

Je vois bien que j'ai grand tort quand je crains d'abuser des bontés de mon cher correspondant pour des bagatelles, dont il daigne prendre autant de soin que des choses essentielles .

Je vous embrasse de tout mon cœur .

V.

31è novembre [1er décembre] 1759 aux Délices »2

1 Le 20 novembre, la bataille de Maxen avait vu la défaite des Prussiens avec de grands pertes . Finck leur chef passa en jugement et fut emprisonné .

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Maxen

et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_August_von_Finck

2 La date correcte est notée deux fois sur le manuscrit .

 

07/12/2014

Rien n'est si cher que de rendre justice

...

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« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

30 novembre [1759]

Un Suisse comme moi, mon cher correspondant ne connait ni les Beaujon 1 ni les Gaussen 2 ni rien de la marine . Je prie Dieu seulement que notre marine ne soit pas anéantie . Et je vous félicite de ne point souffrir de toutes les secousses que le royaume vient d'éprouver .

Le vin de Beaujolais me consolera un peu . Je vous fais mes remerciements ; vous mangez donc à cul noir comme toute la France 3. Il n'y a sorte de bontés que vous n'ayez pour moi . Le libraire Laroche prétend qu'il m'envoie l'ordonnance des eaux et forêts . S'il l'a envoyée je vous supplie de vous en faire informer . Il me faudrait aussi l'ordonnance criminelle 4 attendu que l'on juge à présent un procès criminel dans mes terres . Rien n'est si cher que de rendre justice .

J'ai pensé il y a quinze jours qu'il était bon d'acheter actions sur les fermes quand elles étaient à 600 . Le fonds est sûr . Je crois que 30000 livres ne seraient pas mal employées dans dans cet effet . Mais il faudrait vendre annuités et loteries 5, et je les crois actuellement invendables . Ne reprendront-ils pas faveur si M. de Montmartel règne sous le nom de M. Bertin 6? Mais alors les actions des fermes ne hausseront-elles pas aussi ? qu'en pensez-vous ? que me conseillez-vous ? Je commence à être bien pauvre . Je vous embrasse tendrement .

V. »

1 Nicolas Beaujon était un banquier chargé des comptes de la Marine .

2 Jean-Pierre Gaussen était un banquier genevois établi à Londres .

4 L'édit d'août 1670 ; voir Lavisse, Histoire de France, 1905, VII, I, 291-292 .

5 Billets a été ajouté au-dessus de la ligne .

6 A propos du remplacement de Silhouette par Bertin , De Brosses écrivait à V* vers le 20 novembre 1759 : « Le contrôleur général branle au manche . On parle beaucoup de M. Joly de Fleury ». Et Thieriot, le 28 : « Vos espérances et les nôtres sur l'administration de M. de Silhouette se sont bientôt évanouies […] . Le roi a forcé M. Bertin de prendre le contrôle général . Il ne l'a accepté qu'en demandant un conseil qu'il se formera de quatre personnes choisies . » Bertin succéda à Silhouette le 21 novembre 1759 .

 

06/12/2014

et c'est par delà le grand chemin , vers le lac ; que le crime concernant les deux noix a été commis

...

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  Et les autres sont vouées au même sort !

 Ah ! les joies du maraudage !

 

 

« A Louis-Gaspard Fabry

Aux Délices 30 novembre 1759 1

Monsieur, les moments que vous voudrez bien venir passer avec nous aux Délices seront bien chers . Si quelque affaire vous arrête, pourrai-je saisir cet intervalle de temps pour vous prier, monsieur de vouloir bien me donner quelques lumières sur la position de la maison nommée La Perrière et ses dépendances le long du lac, dans lesquelles dépendances on a volé deux noix et reçu un coup de sabre 2, le tout estimé environ mille écus selon l'usage .

1° On prétend que cet endroit est du territoire de Versoy .

2° D'autres disent qu'il est du fief de Saint Victor .

3° Je ne trouve dans mon terrier ni Panchaud, ni la Fayard, sa femme , qui posséda ce bien, ni les Frizé, dont les Fayard achetèrent .

4° Si ce terrain relevait de moi, le colonel Pretet 3 qui le fit subhaster 4 l'année 1751, me devrait des lods et ventes ; et je n'en ai point entendu parler .

5° La seigneurie de Tournay ne s'étend point jusqu'au lac ; elle finit au grand chemin, et c'est par delà le grand chemin , vers le lac ; que le crime concernant les deux noix a été commis .

6° En 1727, au mois d'août, 24 du mois, un Genevois nommé Sonnet ayant tué un homme au même endroit, la chose fut jugée au nom et aux frais du roi .

Je vous supplie instamment, monsieur, de m'aider de vos lumières .

Je vous avais bien dit que Silhouette ne resterait pas en place . Montmartel gouvernera sous le nom de M. Bertin 5. Le temps est très favorable pour le succès de vos idées . Je me flatte que M. de Fleury s'y prête .

Sans cérémonie et de tout mon cœur votre très humble et très obéissant serviteur .

V. »

1 La date est donnée par sa comparaison avec une lettre de De Brosses à V* ainsi que par les sujets abordés . Si V* a demandé à Fabry de venir aux Délices, ce peut être au sujet du procès avec le curé Ancian , curé de Moëns , et de la dette des communiers dont Fabry expose la solution proposée par V* dans une lettre à Joly de Fleury du 29 novembre : un « arrêt contradictoire du parlement de Dijon du 14 août 1758 » condamne las habitants de Ferney à restituer le dîme de Collovrex perçu par eux pendant plusieurs années et à tous les dépens . Le 12 avril, Joly de Fleury a ordonné que toue les habitants «  imposeraient sur eux pendant trois années consécutives au marc la livre de leur taille et par un rôle séparé la somme de 2102 livres 4 sous 8 deniers », ordonnance qui «  a rencontré une grande difficulté dans son exécution . Les habitants non communiers et les propriétaires forains ont prétendu ne devoir point être compris dans le rôle de l'imposition , attendu qu'ils n'ont aucunement profité des fruits de la dîme […] et qu'ils n'ont pris aucune part […] au procès ; cette prétention qui paraît fondée rejetait tout le poids de l'imposition sur un petit nombre d’habitants pauvres et hors d'état de supporter une charge si forte . M. de Voltaire touché de leur situation a bien voulu […] leur [prêter] sous le nom de madame Denis sa nièce sans aucun intérêt une somme de 2100 livres imputable chaque année sur la rente de 120 livres, prix d'une amodiation que les habitants de Ferney lui ont passé d'un marais, et d'un pré faisant partie de leurs communaux « . Fabry envoie à Joly de Fleury l’extrait original du contrat en lui demandant d'en autoriser l'exécution .

2 Il s'agissait des frais d'un procès criminel fait à un sieur Panchaud, de la Perrière (entre Tournay et Genève), pour un coup de sabre porté dans une rixe occasionnée par un vol de noix. Ces frais étaient à la charge du seigneur haut-justicier. Peu empressé de les payer, Voltaire soutenait que la Perrière ne dépendait pas de Tournay. (Note du premier éditeur.)

3 Ou plutôt Pictet .

4 Vendre par autorité de justice .

5 Henri-Léonard-Jean-Baptiste Bertin ;oir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Bertin

 

 

05/12/2014

je les ai fort assurés que j'avais trouvé le pupitre, qu'il ne restait plus qu'à trouver le traité à signer dessus

...

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 Table "à la Tronchin"

http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9odore_Tronchin

 

 

 

« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul

[30 novembre 1759]1

[Transmettant une lettre de Frédéric II 2, V* se compare lui-même au bureau sur lequel il souhaite que fût signé le traité de paix]"

1 L'existence de cette lettre est connue par ce qu'en dit V* lui-même en début de sa lettre du 30 novembre 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/30/on-dit-qu-une-nouvelle-scene-de-finances-va-egayer-la-nation.html

Et aussi par les premiers mots de la lettre du 20 décembre 1759 de Choiseul : « Je réponds mon cher ermite à vos lettres du 30 novembre , une autre sans date, à celles des 3 décembre et 15 décembre . » Choiseul continue : « J'aime mieux votre lettre du 30 novembre que toutes celles de Luc et même que les exploits des différentes parties belligérantes ; vous avez un esprit charmant . J'ai montré cette lettre au roi et à sa société ; je les ai fort assurés que j'avais trouvé le pupitre, qu'il ne restait plus qu'à trouver le traité à signer dessus une base aussi agréable . » Plus loin , Choiseul rejette comme inadmissible la demande de restitution de la Lorraine présentée par Frédéric .Voir le nota bene de la lettre du 19 novembre 1759 de Frédéric , ci-dessous .

 

2 Lettre du 19 novembre 1759 de Frédéric : « DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Wilsdruf, 19 novembre 1759.
Je viens de recevoir la lettre du rat ou de l'aspic, du 6 novembre, sur le point de finir la campagne. Les Autrichiens s'en vont en Bohême, où je leur ai fait brûler, par représailles des incendies qu'ils ont causés dans mes pays, deux grands magasins. Je rends la retraite du benoît héros aussi difficile que possible, et j'espère qu'il essuiera quelques mauvaises aventures entre ci et quelques jours. Vous apprendrez par la déclaration de la Haye si le roi d'Angleterre et moi nous sommes pacifiques. Cette démarche éclatante ouvrira les yeux au public, et fera distinguer les boute-feux de l'Europe de ceux qui aiment l'humanité, la tranquillité et la paix. La porte est ouverte, peut venir au parloir qui voudra. La France est maîtresse de s'expliquer.
C'est aux Français qui sont naturellement éloquents à parler, à nous à les écouter avec admiration, et à leur répondre dans un mauvais baragouin, le mieux que nous pourrons. Il s'agit de la sincérité que chacun apportera dans la négociation. Je suis persuadé que l'on pourra trouver des tempéraments pour s'accommoder. L'Angleterre a à la tête de ses affaires un ministre modéré et sage. Il faut de tous les côtés bannir les projets extravagants, et consulter la raison plutôt que l'imagination. Pour moi, je me conforme à l'exemple du doux Sauveur qui, lorsqu'il alla la première fois au temple, se contenta d'écouter les pharisiens et les scribes. Ne pensez pas que les Anglais me confient tous leurs secrets; ils ne sont point pressés de s'accommoder; leur commerce ne souffre point, leurs affaires prospèrent, et l'État ne manque ni de ressources ni de crédit. Je fais une guerre plus dure qu'eux par la multitude d'ennemis qui m'attaquent, et dont le fardeau est accablant.
Cependant je répondrai toujours bien de la fin de la campagne; il est impossible d'en faire autant pour tous les événements. Je suis sur le point de m'accommoder avec les Russes ; ainsi il ne me restera que la reine d'Hongrie, les malandrins du Saint-Empire, et les brigands de Laponie, pour l'année qui vient. Notre démarche nous a été dictée par le cœur, par un sentiment d'humanité qui voudrait tarir ces torrents de sang qui inondent presque toute notre sphère, qui voudrait mettre fin aux massacres, aux barbaries, aux incendies, et à toutes les abominations commises par des hommes que la malheureuse habitude de se baigner dans le sang rend de jour en jour plus féroces. Pour peu que cette guerre continue, notre Europe retombera dans les ténèbres de l'ignorance, et nos contemporains deviendront semblables à des bêtes farouches. Il est temps de mettre fin à ces horreurs. Tous ces désastres sont une suite de l'ambition de l'Autriche et de la France.
Qu'ils prescrivent des bornes à leurs vastes projets ; que si ce n'est la raison, que l'épuisement de leurs finances et le mauvais état de leurs affaires les rendent sages, et que la rougeur leur monte au front en apprenant que le ciel, qui a soutenu les faibles contre l'effort des puissants, a accordé à ces premiers assez de modération pour ne point abuser de leur fortune et pour leur offrir la paix. Voilà tout ce qu'un pauvre lion, fatigué, harassé, égratigné, mordu, boiteux et fêlé, vous peut dire. J'ai encore bien des affaires, et je ne pourrai vous écrire à tête reposée qu'après être arrivé à Dresde. Le projet de faire la paix est celui de rendre raisonnables des hommes accoutumés à être absolus, et qui ont des volontés obstinées. Réussissez; je vous féliciterai de vos succès, et je m'en féliciterai davantage. Adieu au rat qui fait de si beaux rêves qu'on les prendrait pour des inspirations; qu'il jouisse, dans son trou, du repos, de la tranquillité, de la paix qu'il possède, et que nous désirons. Ainsi soit-il.
FÉDÉRIC.
N. B. Vous savez que les interprètes et les commentateurs de l'Écriture ont des opinions différentes sur le sens des passages. Suivant le révérend père Dionysius-Hortella, il faut, lorsque César est roi des Juifs, et bien juif lui-même, et lorsqu'il est duc de Lorraine, que les Turcs et les Français donnent à César ce qui est à César. Il dit qu'un pareil exemple de restitution encouragerait toutes les petites puissances de l'Europe à l'imiter : qu'en pensez-vous? Ce savant docteur ne raisonne pas si mal. »