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16/12/2014

L'argent et les cœurs se resserrent quand la poudre à canon se dilate

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« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de SAXE-GOTHA
Aux Délices, 8 décembre 1759
Madame, j'ai eu l'honneur d'écrire à Mlle de Pestris ou Pertris 1, à Gotha, par Nuremberg. J'ai peut-être mal orthographié le nom et celui de Mme de Beckolsheim 2; mais je me flatte que l'on aura suppléé à l'ignorance d'un pauvre habitant de la Suisse française, et que la lettre aura été rendue. Elle était accompagnée, madame, d'un petit billet d'avis que j'eus l'honneur d'écrire à Votre Altesse sérénissime, touchant votre banquier de Leipsick 3, et son compte était dans une lettre jointe à ce billet d'avis. Votre Altesse sérénissime sait combien les temps sont difficiles. L'argent et les cœurs se resserrent quand la poudre à canon se dilate : c'est une expérience de physique qui n'est aujourd'hui que trop commune. J'ai peur d'ailleurs que votre banquier, madame, n'ait eu trop de confiance, et qu'il n'ait perdu le moment de s'accommoder avec ses créanciers 4. Et j'avoue que je crains qu'un jour vous ne souffriez quelque perte de la faillite à laquelle il est exposé. Mais les affaires de votre auguste maison sont si bien réglées, votre prudence et celle de monseigneur le duc les gouverne avec une économie si sage, et en même temps si noble, que Vos Altesses sérénissimes ne peuvent souffrir beaucoup des malheurs des particuliers. Pour les affaires publiques, je ne sais rien de nouveau depuis la perte qu'ont faite les Français de leur vaisselle et de leurs flottes. Voilà de bons catholiques privés de morue pour leur carême, et n'ayant plus de castors pour couvrir leurs têtes, qu'on disait légères et qui sont à présent appesanties.
Je ne sais rien de la position du roi de Prusse depuis l'aventure de Maxen. J'ignore s'il est vrai que les Russes rentrent en Silésie ; tout ce que je sais, c'est que je voudrais que la grande maîtresse des cœurs me présentât un matin à Votre Altesse sérénissime, et mît à ses pieds son courtisan, pénétré du plus profond respect. »

1 Ici commencent les nouvelles négociations de Voltaire pour obtenir la paix. Voyez la lettre de novembre à d'Argental (seul) : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/25/un-principe-aussi-vrai-que-triste-c-est-qu-il-n-y-a-rien-a-g-5496848.html

  On se sert du nom de Pertris ou Pertriset pour correspondre. (Georges Avenel.)

2 La lettre de V* à Frédéric II avait été portée par Bechtolsheim ; voir la lettre d'accompagnement de la duchesse à Frédéric du 15 novembre 1759 (Œuvres de Frédéric ) : page 195 : http://friedrich.uni-trier.de/fr/oeuvres/18/195/

Pour « Mlle de Pestris ou Pertris » voir la lettre du 29 avril 1759 à la duchesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/06/13/les-maux-de-la-guerre-influent-sur-tout-on-parle-de-paix-et-on-couvre-la-te.html

La duchesse de Saxe-Gotha répondra dans sa lettre du 18 décembre 1759 : « La demoiselle Pertriset n'est guère aimable mais son adresse est excellente . » Voir dans : https://archive.org/stream/voltaireferney00volt/voltaireferney00volt_djvu.txt

3 Frédéric II.

4 Ses ennemis.

 

15/12/2014

obtenir la signature de M. de Barol sur le contrat

... Semble bougrement plus facile à obtenir que celle de Thierry  Lepaon sur sa lettre de démission  à la direction de la Confrèrie Généralement Tortueuse .

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« A François Guillet, baron de Monthoux

8 décembre 1759

[Lui demande d'obtenir la signature de M. de Barol sur le contrat ]1

1 Le manuscrit olographe est passé à la vente de la marquise de Barol, 1883 . Le catalogue a tort de désigner Moultou comme destinataire : V* ne fit en effet sa connaissance qu'en 1762 . M. de Barol était le précédent propriétaire du château d'Annemasse . Nous sommes donc à l'époque où V* prêta de l'argent à Monthoux contre une première hypothèque sur la demeure, ce qui fixe la date de cette lettre .

 

14/12/2014

Mandez-moi, je vous prie, comment vont les affaires publiques ; ce n'est pas curiosité, c'est nécessité.

... Mon avenir, et le vôtre bien sûr, en dépendent .

 

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« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'ÉPINAY
Aux Délices, 7 décembre 1759.
J'ai deux grâces à vous demander, ma chère philosophe, lesquelles ne tiennent en rien à la philosophie : la première, c'est de vouloir bien m'envoyer un second exemplaire de la Mort et de l'Apparition de mon cher frère Berthier; la seconde, de vouloir bien vous abaisser en ma faveur jusqu'à jeter un coup d'œil sur les misérables affaires de ce monde matériel, et de me dire si les actions des fermes sont un effet qui puisse et qui doive subsister. Ce sont deux propositions de théologie et de finances dont je suis honteux. Le paquet Berthier pourrait être contre- signé Bouret, car ce cher et bienfaisant Bouret a la bonté de me contre-signer tout ce que je veux. Ma respectable philosophe, vous êtes bien tiède : quoi ! vous et le prophète de Bohême 1, vous êtes à Paris, et l'infâme n'est pas encore anéantie 2! Il faudra que je vienne travailler à la vigne.
Ma chère philosophe, vous n'avez pas eu de confiance en moi, et vous l'avez prodiguée à des prêtres genevois. Vos livres 3 courent Genève ; je suis obligé de vous en avertir 4; je vous aime.
Vous avez été déjà la dupe d'un Genevois 5 ; ah! ma philosophe, ne vous fiez qu'aux solitaires comme moi, et aux Bohémiens 6; ne me trahissez pas, mais tâchez de rattraper tous vos exemplaires. Votre fils serait un jour désespéré si cela transpirait.
Mandez-moi, je vous prie, comment vont les affaires publiques ; ce n'est pas curiosité, c'est nécessité. Je suis dans la même barque que vous : il est vrai que j'y suis à fond de cale, et vous autres au timon ; mais nous sommes battus des mêmes vents. Ma belle philosophe, vous êtes vraie ; mettez-moi au fait, je vous en prie, et daignez conserver quelque amitié pour l'ermite. »

2 Nouvelle préparation de la formule qui prendra sa forme définitive « écrasez l'infâme » . la suite fait allusion à la parabole des « ouvriers de la dernière heure » dans l'évangile de Matthieu .

3 Lettres à mon fils, 1758, in-8°; 1759, in-12 : Mes Moments heureux, 1758, in-8°; 1759, in-12.

4 Le 23 avril 1759, elle a écrit de la Briche à Sedaine : « Je vous montrerai quelque jour une assez bonne lettre que j'écrivis à Voltaire […] on avait imprimé à Genève une de mes lettres qu'on m'avait volée . Je le sus à temps pour en empêcher le débit . Mais il s’en échappa quelques exemplaires à mes recherches, Voltaire m'en écrivit et je lui répondis. » cet extrait est tiré d'un catalogue de vente ; on est surpris que la date ne corresponde pas mieux à celle de la présente lettre .

5 Jean.-Jacques Rousseau.

6 C'est-à-dire à Grimm.

 

 

13/12/2014

on n'est pas toujours sur Pégase, on est ballotté dans le même vaisseau où vous criez tous miséricorde

...

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.

Envoyé de Parme

rue de la Sourdière

à Paris
5 décembre [1759] 1
Mon cher ange, que dites-vous de Luc, qui me mande le 17 : Je vous écrirai plus au long de Dresde? et le troisième jour vous savez ce qui lui arrive 2. Vous voyez qu'il ne faut compter sur rien, pas même sur nos flottes, pas même sur les tragédies de M. de Thibouville 3. Voyez ce qui arrive à frère Berthier ; il va à Versailles dans toute sa gloire, et meurt en bâillant 4. On n'est sûr de rien dans ce monde ; j'en excepte Tancrède. Vous devez être sûr, mon divin ange, que je la mettrai à vos pieds ; et, si elle a le sort de Thibouville, ce ne sera pas sans y avoir bien songé. Je me flatte que Spartacus 5 va se montrer. Seriez-vous assez ange pour faire dire au faiseur de Spartacus que mes chevaliers n'osent se battre contre ses gladiateurs, et que mon estime et mon amitié lui ont cédé volontiers le pas ?
Je vois que la prose du traducteur de Pope 6 ne lui a point du tout réussi. Pourriez-vous avoir la bonté de me dire si ses successeurs écrivent plus rondement et ont le style moins dur?
Que pense-t-on des billets ou actions des fermes ? Il est bien bas de vous parler de cette prose, ou plutôt de ces chiffres, au lieu de vous envoyer des tirades d'Amènaïde, en vers croisés ; mais on n'est pas toujours sur Pégase, on est ballotté dans le même vaisseau où vous criez tous miséricorde.

Vous croyez bien que je n'ai pas oublié avec M. le duc de Choiseul l'anecdote du 17 novembre 7. Oh je crois qu'il doit être content et lassé de moi . Mettez-moi mon divin ange sous ses ailes et sous les vôtres et sous celles de Mme Scaliger

V. 

Et jamais à Genève s'il vous plait, mais par Genève. Voulez-vous qu'on me prenne pour un huguenot réfugié ?»

1 Date complétée par d'Argental

2 Le 20 novembre se donna le combat de Maxen, et le lendemain un corps prussien, fort de seize bataillons et de trente-cinq escadrons, se rendit au général autrichien Daun. (Beuchot.)

3 Namir n'avait eu qu'une représentation.. Voir le lettre du 24 octobre 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/24/on-paye-cher-les-malheurs-de-nos-generaux.html

4 Ce qui n'arrive que dans la satire de V* : Relation de […] et de la mort […] du jésuite Berthier .

5 Voir encore lettre du 24 octobre 1759 à d'Argental .

6 Silhouette, qui vient d'être destitué .

7 Toujours le rappel de « dans trois jours je vous en écrirai davantage de Dresde . »

 

 

12/12/2014

quelle idée, quel contraste, quel mot

... Mais quel imbécile, quel crétin fieffé que ce Mélenchon qui insulte Mme Angela Merkel . Ce tout en gueule , aux propos creux, serait juste capable d'être roi dans un bac à sable . Vraiment bas de plafond, le Mélenchon , le Front de Gauche est à ras les pâquerettes (en hiver , c'est en dessous de tout ) .

 Enflure costumée ! on t'a reconnu Jean-Luc !

 

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« A Frédéric II, roi de Prusse

[4 décembre 1759]

[Lettre relative aux négociations de paix] 1

/Le rat-aspic : quelle idée, quel contraste, quel mot [ ...]

1 Cette lettre fut envoyée à la duchesse de Saxe-Gotha le 4 et lui parvint le 11 décembre 1759, ainsi qu'elle l'écrit le lendemain ; ( voir lettre du 8 décembre 1759 à la duchesse : page 252 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f264.image )

V* répond à une lettre du 19 novembre de Frédéric II qui commençait par ces mots : «  Je viens de recevoir la lettre du rat ou de l'aspic, du 6 novembre ... » ; voir lettre du 30 novembre 1759 à Choiseul : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/12/05/je-les-ai-fort-assures-que-j-avais-trouve-le-pupitre-qu-il-ne-restait-plus.html

Les quelques mots conservés sont pris de Sander dans les Hinterlassene Werke Friedrichs II, 1789 . D'autre part, le 18 décembre 1759, Frédéric II écrivit à son ambassadeur à Londres, le baron de Knyphausen : «  Je ne vous fais ma présente lettre que pour dire , pour votre direction seule et sous le sceau du secret , que je viens de recevoir une lettre de très bon lieu et de main confidente, sur laquelle je crois pouvoir compter d'autant que jusqu'à présent les nouvelles de celui qui me l'a faite, ne m'ont pas encore failli . En conséquence l'on m'avertit en date du 4 de ce mois que la cour de Versailles, vu le dérangement de ses affaires, avait envie de céder bien à l'Angleterre la Canada, ou comme sont proprement les termes de la lettre, les pays de la morue et des castors, pourvu que la France retirât quelques avantages dans les Pays-Bas . Que de cette façon-là elle ferait sa paix et retirerait d’abord tout ce qu'elle avait de troupes dans l’Allemagne, enfin, selon que je dois présumer par cette lettre, que la cour de France serait capable, moyennant ces conditions , d'abandonner la reine-impératrice et se autres alliés présents . » Il n'y a guère de doute que la « main confidente » est celle de V*, dont on reconnaît l'influence sur le ministère jusque dans la teneur des propositions consistant à abandonner le Canada .

 

 

il a la première des qualités que Cicéron recommandait à un orateur, la probité

... La probité a plus d'un argument attirant ! Non ? Difficile d'y renoncer .

Je serai toujours épaté par le talent des illustrateurs des qualités morales .

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Voir page 147 : https://books.google.fr/books?id=pXtUAAAAYAAJ&pg=PA147&lpg=PA147&dq=cic%C3%A9ron+%2B+probit%C3%A9&source=bl&ots=29J0NDUwOb&sig=LS6o1v3aBd8Smu5fWzGxgVh6DN8&hl=fr&sa=X&ei=3cOKVPqlGcyqUaqlgPgD&ved=0CCYQ6AEwAQ#v=onepage&q=cic%C3%A9ron%20%2B%20probit%C3%A9&f=false

 

 

 

 

 

« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck

4 décembre [1759]

Je vois madame par votre charmante lettre que votre auguste impératrice est dans le temple du bonheur comme dans celui de l'immortalité . Qui a bâti l'un , mérite bien d'habiter l'autre .

Vous devez avoir reçu ma réponse 1 à la première lettre dans laquelle vous me parliez de ce temple que vous orniez de tous les charmes de votre esprit . Vous ne me faites l'honneur de m'écrire que quand vous avez des succès à mander . Vos lettres sont pour moi des postillons sonnant du cor . Vous devriez mettre des feuilles de laurier dans le paquet comme les anciens Romains . J’ai partagé votre joie et votre enthousiasme, je vous supplie , madame de peindre de vos belles couleurs à M. le comte de Caunits et à M. le comte de Choiseul tous les sentiments que vous m'avez fait éprouver .

Voici un temps heureux pour vous madame . On dit que votre procès est en très bon train et je juge par tout ce que vous voulez bien me dire de vos affaires que la terre de Kniphauze vous reviendra grâce aux soins infatigables de cet admirable M. du Triangle qui prend si bien le parti des dames à qui l'on fait des injustices . J’en reviens toujours là . Je ne serai point content que votre adverse partie ne soit condamnée aux dépens et à l'amende au moins . Ne tient-il donc qu'à ruiner deux ou trois familles ? et en sera-t-il quitte après cela pour garder une moitié de votre bien ? Espérez en votre avocat de Bruxelles . Comptez sur lui, madame . Il a affaire à un perfide chicaneur , mais personne ne sait mieux faire valoir les lois que votre avocat, personne en met les affaires dans un plus beau jour . Et d'ailleurs il a la première des qualités que Cicéron recommandait à un orateur, la probité . J'espère tout de lui : on dit que les procès sont longs en Allemagne, mais le conseil aulique et Dieu sont justes .

Dites-moi je vous en prie , madame, si vous êtes satisfaite de votre destinée, si les dépenses de vos voyages ne vous ont point épuisée . Tout m'intéresse de vous . Je voudrais savoir jusqu'aux moindres particularités de votre vie . Je suis à vos ordres jusqu'à la fin de la mienne .

V. »

 

11/12/2014

quand on aura passé quinze jours sans avoir un nouveau ministre ou un nouvel édit, quand la conversation ne roulera plus sur les malheurs publics, quand vous n'aurez rien à faire, donnez-moi vos ordres, madame, et je vous enverrai de quoi vous amuser

... et de quoi me censurer "

Ce n'est pas demain la veille si j'en crois le cours des évènements .

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« A  Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

à Saint Joseph,

à Paris

3 décembre 1759.

Je ne vous ai point dépêché, madame, ce vieux chant de la Pucelle 1 que le roi de Prusse m'a renvoyé ( unique restitution qu'il a faite en sa vie). Les plaisanteries ne m'ont pas paru de saison ; il faut que les lettres et les vers arrivent du moins à propos. Je suis persuadé qu'ils seraient mal reçus immédiatement après la lecture de quelque arrêt du conseil qui vous ôterait la moitié de votre bien, et je crains toujours qu'on ne se trouve dans ce cas. Je ne conçois pas non plus comment on a le front de donner à Paris des pièces nouvelles: cela n'est pardonnable qu'à moi, dans mon enceinte des Alpes et du mont Jura. Il m'est permis de faire construire un petit théâtre, de jouer avec mes amis et devant mes amis ; mais je ne voudrais pas me hasarder dans Paris avec des gens de mauvaise humeur. Je voudrais que l'assemblée fût composée d'âmes plus contentes et plus tranquilles.
D'ailleurs vous m'apprenez que les personnes qui ont du goût ne vont plus guère aux spectacles, témoin Mme la duchesse de Luxembourg, 2 et je ne sais si le goût n'est point changé, comme tout le reste, dans ceux qui les fréquentent. Je ne reconnais plus la France ni sur terre, ni sur mer, ni en vers, ni en prose.
Vous me demandez ce que vous pouvez lire d'intéressant ; madame, lisez les gazettes : tout y est surprenant comme dans un roman. On y voit des vaisseaux chargés de jésuites 3, et on ne se lasse point d'admirer qu'ils ne soient encore chassés que d'un seul royaume ; on y voit les Français battus dans les quatre parties du monde, le marquis de Brandebourg faisant tête tout seul à quatre grands royaumes armés contre lui, nos ministres dégringolant l'un après l'autre comme les personnages de la lanterne magique,4 nos bateaux plats, nos descentes dans la rivière de la Vilaine 5. Une récapitulation de tout cela pourrait composer un volume qui ne serait pas gai, mais qui occuperait l'imagination. Je croyais qu'on donnerait les finances à l'abbé du Resnel ; car, puisqu'il a traduit le Tout est bien de Pope en vers, il doit en savoir plus que le Silhouette, qui ne l'a traduit qu'en prose. Ce n'est pas que ce M. de Silhouette n'ait de l'esprit, et même du génie, et qu'il ne soit fort instruit ; mais il paraît qu'il n'a connu ni la nation, ni les financiers, ni la cour ; qu'il a voulu gouverner en temps de guerre comme à-peine on le pourrait faire en temps de paix, et qu'il a ruiné le crédit qu'il cherchait, comptant pouvoir suffire aux besoins de l'État avec un argent qu'il n'avait pas. Ses idées m'ont paru très-belles, mais employées très-mal à propos. Je croyais sa tête formée sur les principes de l'Angleterre, mais il a fait tout le contraire de ce qu'on fait à Londres, où il avait vécu un an chez mon banquier Bénezet. L'Angleterre se soutient par le crédit, et ce crédit est si grand que le gouvernement n'emprunte qu'à quatre pour cent tout au plus. Nous n'avons encore su imiter les Anglais ni en finances, ni en marine, ni en philosophie, ni en agriculture. Il ne manque plus à ma chère patrie que de se battre pour des billets de confession, pour des places à l'hôpital, et de se jeter à la tête la faïence à cul noir sur laquelle elle mange, après avoir vendu sa vaisselle d'argent.
Vous m'avez parlé, madame, de la Lorraine et de la terre de Craon 6; vous me la faites regretter, puisque vous prétendez que vous pourriez quelque jour aller en Lorraine. Je me serais volontiers accommodé de Craon, si je m'étais flatté d'avoir l'honneur de vous y recevoir avec Mme la maréchale de Mirepoix ; mais ce sont là de beaux rêves. Ce n'est pas la faute du jésuite Menoux si je n'ai pas eu Craon; je crois que la véritable raison est que Mme la maréchale de Mirepoix n'a pas pu finir cette affaire. Le jésuite Menoux n'est point un sot comme vous le soupçonnez; c'est tout le contraire : il a attrapé un million au roi Stanislas sous prétexte de faire des missions dans des villages lorrains qui n'en ont que faire ; il s'est fait bâtir un palais à Nancy. Il fit croire au goguenard de pape Benoît XIII 7, auteur de trois livres ennuyeux in-folio 8, qu'il les traduisait tous trois ; il lui en montra deux pages, en obtint un bon bénéfice dont il dépouilla des bénédictins, et se moqua ainsi de Benoît XIII et de saint Benoît. Au reste il est grand cabaleur, grand intrigant, alerte, serviable, ennemi dangereux, et grand convertisseur. Je me tiens plus habile que lui, puisque, sans être jésuite, je me suis fait une petite retraite de deux lieues de pays à moi appartenantes.
J'en ai l'obligation à M. le duc de Choiseul, le plus généreux des hommes. Libre et indépendant, je ne me troquerais pas contre le général des jésuites.
Jouissez, madame, des douceurs d'une vie tout opposée; conversez avec vos amis ; nourrissez votre âme. Les charrues qui fendent la terre, les troupeaux qui l'engraissent, les greniers et les pressoirs, les prairies qui bordent les forêts, ne valent pas un moment de votre conversation.
Quand il gèlera bien fort, lorsqu'on ne pourra plus se battre ni en Canada ni en Allemagne ; quand on aura passé 9 quinze jours sans avoir un nouveau ministre ou un nouvel édit, quand la conversation ne roulera plus sur les malheurs publics, quand vous n'aurez rien à faire, donnez-moi vos ordres, madame, et je vous enverrai de quoi vous amuser et de quoi me censurer.
Je voudrais pouvoir vous apporter ces pauvretés moi-même, et jouir de la consolation de vous revoir ; mais je n'aime ni Paris, ni la vie qu'on y mène, ni la figure que j'y ferais, ni même celle qu'on y fait. Je dois aimer, madame, la retraite et vous. Je vous présente mon très-tendre respect.

 

Il faut que je vous informe d'un petit trait qui apprendra aux rois à être modestes . Le roi de Prusse m'écrit du 147 novembre, Daun s'enfuit, je vous écrirai dans trois jours de Dresde, et le troisème jour il est détruit

 »

1 Dans sa lettre du 28 octobre 1759, Mme du Deffand rappelait : « Mais monsieur si vous aviez autant de bonté que je voudrais, vous auriez un chier de papier sur votre bureau où vous écririez dans vos moments de loisir tout ce qui vous passerait par la tête » , «  Je compte sur les chants de La Pucelle que vous me promettez ; prenez soin de mon amusement , je vous supplie ... »

2 Wagnière a écrit Lux et V* a complété au-dessus de la ligne .

4 Connue depuis longtemps la lanterne magique fut décrite pour la première fois de façon exacte par Athanassius Kircher, Ars magna lucis et umbrae, 1646 . elle fut rendue populaire à Paris par le physicien Nollet qui en faisait la démonstration dans ses conférences, V* s'y amusait lui-même aux Délices et à Ferney .

5 Quelques vaisseaux de la flotte de Conflans avaient trouvé refuge dans l’embouchure de la Vilaine, près de La Roche-Bernard, vers l’actuel barrage d'Arzal .

6 Lettre de Mme du Deffand du 28 octobre 1759: «  N'avez-vous pas eu envie, monsieur, d'acheter une terre en Lorraine, cette terre n'était-ce pas Craon ? Le père de Menoux n'était-il pas votre négociateur, et le père de Menoux n'est-il pas un sot ? Si vous avez encore cette fantaisie, chargez-moi de cette affaire ; je suis intime amie de Mme la maréchale de Mirepoix et de M. le président de Beauvau ; je voudrais que vous eussiez un établissement dans cette province . Que sait-on ce qui arriverait ? Enfin j'en prendrais l'espérance, de ne pas mourir sans avoir l'honneur de vous revoir, soit vous en nous venant trouver, soit moi en vous allant chercher . »

7 En fait Benoît XIV .

9 Passé a été ajouté par V* au dessus de la ligne .