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20/07/2016

Il a tonné sur une montagne dont le sommet est inaccessible ; donc il y a des dieux qui habitent sur cette montagne, et qui lancent le tonnerre

... Et la trouille fait le reste : religions et prêtres, fidèles et fanatiques, charité et guerres, recherche du paradis et angoisse de l'enfer .

Ô incorrigibles humains crédules et superstitieux !

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Plutôt que de se trainer à genoux en peuple soumis et lâche, mettons nous à la muscu ! l'exemple vient d'en haut ! Non ?

 

 

 

« A Jean-Jacques Dortous de Mairan

Au château de Ferney en Bourgogne

par Genève, 16 august 1761

Votre lettre du 2è août , monsieur, me flatte autant qu’elle m’instruit ; vous m’avez donné un peu de vanité toute ma vie ; car il me semble que j’ai été de votre avis sur tout. J’ai pensé invariablement comme vous sur l’estimation des forces 1, malgré la mauvaise foi de Maupertuis, et même de Bernouilli, et de Muchenbrok 2. Et comme les vieillards aiment à conter, je vous dirai qu’en passant à Leyde, le frère Muschembrok, qui était un bon machiniste et un bon homme, me dit : « Monsieur, les partisans des carrés de la vitesse sont des fripons ; mais je n’ose pas le dire. »

J’ai été entièrement de votre opinion sur l’aurore boréale, et je souscris à tout ce que vous dites sur le mont Olympe, d’autant plus que vous citez Homère. J’ai toujours été persuadé que les phénomènes célestes ont été en grande partie la source des fables. Il a tonné sur une montagne dont le sommet est inaccessible ; donc il y a des dieux qui habitent sur cette montagne, et qui lancent le tonnerre . Le soleil paraît 3 d’orient en occident ; donc il a de bons chevaux . La lune parcourt un moins grand espace ; donc, si le soleil a quatre chevaux, la lune doit n’en avoir que deux . Il ne pleut point sur la tête de celui qui voit un arc-en-ciel ; donc l’arc-en-ciel est un signe  qu’il n’y aura jamais de déluge, etc., etc., etc., etc., etc., etc.

Je n’ai jamais osé vous braver, monsieur, que sur les Egyptiens ; et je croirai que ce peuple est très nouveau, jusqu’à ce que vous m’ayez prouvé qu’un pays inondé tous les ans, et par conséquent inhabitable sans le secours des plus grands travaux, a été pourtant habité avant les belles plaines de l’Asie. Tous vos doutes et toutes vos sages réflexions envoyées au jésuite Parenin 4 sont d’un philosophe ; mais Parenin était sur les lieux, et vous savez que ni lui ni personne n’ont pensé que les adorateurs d’un chien et d’un bœuf aient instruit le gouvernement chinois, adorateur d’un seul Dieu depuis environ cinq mille ans. Pour nous autres barbares qui existons d’hier, et qui devons notre religion à un petit peuple abominable, rogneur d’espèces, et marchand de vieilles culottes, je ne vous en parle pas ; car nous n’avons été que des polissons en tout genre jusqu’à l’établissement de l’Académie, et au phénomène du Cid.

Je suis persuadé, monsieur, que vous vous intéressez à la gloire de ce grand homme 5. Pressez l’Académie, je vous en supplie, de vouloir bien me renvoyer incessamment l’Épître dédicatoire que je lui adresse, la préface du Cid, les notes sur le Cid, les Horace, et Cinna, afin que je commence à élever le monument que je destine à la gloire de la nation.

Il me faut la sanction de l’Académie. Je corrigerai sur-le-champ tout ce que vous aurez trouvé défectueux ; car je corrige encore plus vite et plus volontiers que je ne compose.

Je crois, monsieur, que vous voyez quelquefois madame Geoffrin ; je vous supplie de lui dire combien mademoiselle Corneille et moi nous sommes touchés de son procédé généreux. Elle a souscrit pour la valeur de six exemplaires : elle ne pouvait répondre plus noblement aux impertinences d’un factum ridicule 6, dont assurément mademoiselle Corneille n’est point complice. Cette jeune personne a autant de naïveté que Pierre Corneille avait de grandeur. On lui lisait Cinna ces jours passés  quand elle entendit ce vers : 

Je vous aime, Emilie, et le ciel me foudroie, etc. 7

Fi donc, dit-elle, ne prononcez pas ces vilains mots-là. C’est de votre oncle, lui répondit-on. Tant pis, dit-elle ; est-ce qu’on parle ainsi à sa maîtresse ? Adieu, monsieur ; je recommande l’oncle et la nièce à votre zèle, à votre diligence, à votre bon goût, à vos bontés. Je vous félicite d’une vieillesse plus saine que la mienne ; vivez aussi longtemps que le secrétaire votre prédécesseur 8, dont vous avez le mérite, l’érudition, et les grâces.

Votre très humble et très obéissant serviteur

Le Suisse V. »

3 Mot suivi de courir dans l'édition de Kehl .

5 Kehl remplace grand homme par grand Corneille

7 Corneille, Cinna, III, 4 .

8 Fontenelle qui vécut centenaire .

 

19/07/2016

Les belles reçoivent froidement les cajoleries ; mais les laides y sont fort sensibles

... Mon cher Voltaire, tu es d'une lucidité exemplaire .

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« A Etienne de Lafargue 1

A Ferney le 16 août 1761

Moins je mérite vos beaux vers 2, monsieur, et plus j'en suis touché . Les belles reçoivent froidement les cajoleries ; mais les laides y sont fort sensibles . Je vous répondrais en vers, si je n'atais pas entièrement occupé de ceux de Corneille . Chaque moment que je dérobe au commentaire que j'ai promis sur les ouvrages de ce grand homme, est un marcin que je lui fais ; mais je ne puis me refuser au plaisir de vous remercier, et de vous dire avec combien d'estime j'ai l'honneur d'être, etc. »

 

to every nation, and especially to those who greatly think, and bravely die/à toutes les nations, et particulièrement à celles « qui voient grand et qui meurent courageusement »

... Puisse la France voir grand et ne pas mourir !

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« A Hans Stanley 1

[août 1761]

Sir,

I hear that when you take our settlements, you take subscriptions 2 too . Corneille belongs to every nation, and especially to those who greatly think, and bravely die 3: had Shakespeare left a grand-daughter, I would subscribe for her . Give me leave to thank you for what you do in favour of Corneille's blood .

I am, with respect, Sir,

Your most humble obedient servant 4

Voltaire.

2 Stanley souscrivit pour douze exemplaires .

3 Pope, Elegy to the memory of an unfortunate lady (Élégie à la mémoire d'une dame infortunée) : https://en.wikipedia.org/wiki/Elegy_to_the_Memory_of_an_Unfortunate_Lady et voir le vers 10 de [58] : http://www.gutenberg.org/cache/epub/9413/pg9413.html

4 « Monsieur, J'entends dire que lorsque vous prenez nos établissements vous prenez aussi nos souscriptions . Corneille appartient à toutes les nations, et particulièrement à celles « qui voient grand et qui meurent courageusement » : si Shakespeare avait laissé une petite-fille je souscrirais pour elle . Permettez-moi de vous remercier pour ce que vous faites en faveur du sang de Corneille . Je suis, avec respect, monsieur, votre très humble serviteur, Voltaire »

 

18/07/2016

Je serai plus inflexible pour les ouvrages de mes amis que je ne l'ai été pour les miens

... Et lorsque les amis ne sont autres que l'auteur lui-même, on obéit alors aux commandements divins : "aime ton prochain comme toi-même", et "descends-le en flammes s'il ne te rend pas la pareille !"

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 Jusqu'où peut-on aller ?

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

[août 1761] 1

Je me plains de Thieriot ; mais mon académicien de Dijon se plaindra bien davantage si les comédiens ajoutent la moindre chose au Droit du seigneur . Ils le gâteraient infailliblement, comme ils gâtèrent L'Enfant prodigue . Je serai plus inflexible pour les ouvrages de mes amis que je ne l'ai été pour les miens . On a fait tout ce qu'on a pu, dans Tancrède, pour me rendre ridicule ; je ne souffrirai pas qu'on en use ainsi avec mon petit académicien .

Je m'unis toujours aux prières des frères, et je salue avec eux l'être des êtres . »

1 L'édition de Kehl amalgame ce fragment dans la lettre du 7 septembre 1761 au même : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-38-122359402.html

 

Ils aiment mieux jouer à l'homme-de-brou , souper chez M. le duc de Villars, conduire des dames en cabriolet et se donner du bon temps ; ils ont raison

... Tout compte fait, madame, je préfère jouer aux cartes !

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« A Gabriel et Philibert Cramer

[août 1761]

On envoie à monsieur Gabriel la feuille L, qu'il faudra un peu remanier . On demande les feuilles précédentes . On trouve cette histoire très amusante, et on est bien fâché qu'il y en ait eu une première édition . On apprend que messieurs Gabriel et Philibert n'impriment plus Mme Belot 1. On croit que messieurs Gabriel et Philibert se donnent beaucoup de bon temps, et on espère qu'ils se donneront un peu plus sérieusement à l'art des Elzévir et des Etienne . On se flatte que l'édition de Corneille leur fera honneur .

Quand monsieur Gabriel aura un peu de temps à lui il est prié de vouloir bien mettre par écrit, un petit mémoire au juste de tous les frais, avec la papier de Divonne, pour 200 exemplaires en beau papier, pour 2000 en papier ordinaire, pour la main-d’œuvre, pour ports et emballages .

Ni monsieur Gabriel , ni monsieur Philibert n'ont voulu voir l’Épître dédicatoire à l'Académie, ni les remarques sur Le Cid, Cinna, Pompée, etc. Ils aiment mieux jouer à l'homme-de-brou 2, souper chez M. le duc de Villars, conduire des dames en cabriolet et se donner du bon temps ; ils ont raison, mais j'en suis fâché et je désespère de les corriger . »

1 Voir lettre à Octavie Belot du 27 août 1761 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-37-122329684.html ; V* lui avait offert l'édition du Droit du seigneur .

2 L'expression n'est pas connue, on pense à un jeu de cartes (édition Bestermann).

NDLR : Effectivement, dans ma jeunesse on jouait à l'Homme noir, jeu de carte où l'on doit constituer des paires pour se débarrasser de celles-ci, faire choisir à l'aveugle une carte de son jeu au joueur le plus proche, et où le perdant se retrouve être le dernier à avoir en main le valet de pique (James).

 

17/07/2016

j'abhorre plus que jamais les ennemis de la raison

... Et s'il est une chose qui ne souffre pas d'exception, c'est bien celle-ci . Vous me direz "il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis", et bien je préfère rejoindre le camp des idiots , sans plaisir, mais sans honte , avec même un peu de fierté légitime .

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« A Etienne-Noël Damilaville

et à

Nicolas-Claude Thieriot

Le 15 d'auguste [1761] 1

Que les frères m'accusent de paresse, s'ils l'osent . J'ai tout Corneille sur les bras, l'Histoire générale des mœurs, le Czar, Jeanne, etc., etc. et vingt lettres par jour à répondre : et il faut écrire à M. de Lafargue, et je ne sais où le prendre . Il me semble que frère Thieriot sait sa demeure ; il s'agit de ses vers, cela est important . Comment va l'Encyclopédie ? cela est un peu plus important .

Oui, volontiers, que les Sadducéens périssent, mais que les Pharisiens ne soient pas épargnés . On nous défait des chats, mais on nous laisse dévorer par des chiens .

On a eu grande peine à trouver le Grizel que demandent les frères : c'est grand dommage que pour notre édification nous ne puissions pas recouvrer cet ouvrage rare, d'autant plus utile à la bonne cause qu'il rend la mauvaise extrêmement ridicule .

Frère Thieriot est devenu bien paresseux . Un véritable frère ne devrait-il pas avoir déjà envoyé les Recherches sur le théâtre ? Il faut le mettre en pénitence . Il n'est pas permis d'être tiède sur les ouvrages et sur le sang du grand Corneille .

J'embrasse les frères, et j'abhorre plus que jamais les ennemis de la raison et des lettres . »

1 Le manuscrit copie Beaumarchais-Kehl inclut des extraits de la lettre du 20 août 1761 aux mêmes, et on y a aussi incorporé un passage de la lettre suivante : « A Damilaville et à Thieriot [vers août 1761] / […] Je ne sais pas trop comment ira cette entreprise . Pur moi, je ne réponds que de mon travail et de mon zèle tant que je respirerai . J'ai déjà commenté six tragédies . Je m'instruit par ce travail ; j'espère que j'en instruirai d'autres, et que le théâtre y gagnera . Si, comme auteur, je n'ai pu servir ma nation, je la servirai du moins comme commentateur […]. »

 

16/07/2016

les Français parlent vite, et agissent lentement : leur vivacité est dans les propositions, et non dans l’action , témoin cent projets que j’ai vus commencés avec chaleur, et abandonnés avec dégoût.

... Sans vouloir être pessimiste, je dois reconnaître que l'ami Voltaire dirait encore la même chose de nos jours , si ce n'est pire tant la reculade semble être notre sport national dès que la moindre retouche aux sacro-saints avantages acquis est évoquée . Dites-moi si je me trompe !

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On en a eu plus que pour notre argent avec les déclarations d'une mauvaise foi digne du Guiness book, hier, de la part des opposants au gouvernement , belle bande de chacals , plus forts en gueule  qu'en actions . Ces menteurs professionnels méritent des baffes, Jules Renard les a bien décrits .

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Je reçois une lettre de mes anges, du 5è august, en revenant d’une représentation de Tancrède, que des comédiens de province nous ont donnée avec assez d’appareil. Je ne dis pas qu’ils aient tous joué comme mademoiselle Clairon ; mais nous avions un père qui faisait pleurer, et c’est ce que votre Brizard ne fera jamais. Ce père s'appelle Roqueville 1, et avec quelques coups de rabot, il serait fort supérieur à Sarrazin . Il faut pourtant qu’il y ait quelque chose de bon dans cette pièce ; car les hommes, les femmes, et les petits garçons fondaient en larmes. On l’a jouée, Dieu merci, comme je l’ai faite, et elle n’en a pas été plus mauvaise. Les Anglais mêmes pleuraient : nous ne devons plus songer qu’à les attendrir ; mais le petit  Bussy 2 n’est point du tout attendrissant.

Ô mes anges ! je vous prédis que Zulime fera pleurer aussi, malgré ce grand benêt de Ramire à qui je voudrais donner des nazardes.

Il faut que ce soit Fréron qui ait conservé ce vers, 

J’abjure un lâche amour qui me tient sous sa loi.

Madame Denis a toujours récité :

J’abjure un lâche amour qui vous ravit ma foi. 3

Pierre, que vous autres Français nommez le cruel 4, d’après les Italiens, n’était pas plus cruel qu’un autre. On lui donna ce sobriquet pour avoir fait pendre quelques prêtres qui le méritaient bien ; on l’accusa ensuite d’avoir empoisonné sa femme, qui était une grande catin. C’était un jeune homme fier, courageux, violent, passionné, actif, laborieux, un homme tel qu’il en faut au théâtre. Donnez-vous du temps, mes anges, pour cette pièce ; faites-moi vivre encore deux ans, et vous l’aurez.

Je vous remercie de tout mon cœur du Cid . Les comédiens sont des balourds de commencer la pièce par la querelle du comte et de don Diègue ; ils méritent le soufflet qu’on donne au vieux bonhomme, et il faut que ce soit à tour de bras. Comment ont-ils pu retrancher la première scène de Chimène et d’Elvire, sans laquelle il est impossible qu’on s’intéresse à un amour dont on n’aura

point entendu parler ?

Vous parlez quelquefois de fondements, mes anges, et même, permettez-moi de vous le dire, de fondements dont on peut très bien se passer, et qui servent plus à refroidir qu’à préparer 5: mais qu’y a-t-il de plus 6 nécessaire que de préparer les regrets et les larmes par l’exposition du plus tendre amour et des plus douces espérances, qui sont détruites tout d’un coup par cette querelle des deux pères  .

Je viens aux souscriptions. Je reçois, dans ce moment, un billet d’un conseiller  du roi, contrôleur des rentes, ainsi couché par écrit : 

Je retiens deux exemplaires, et paierai le prix qui sera fixé. Signé Bazard, 8è  août 1761. 

Voilà ce qui s’appelle entendre une affaire. Tout le monde doit en agir comme le sieur Bazard. Les Cramer verront comment ils arrangeront l’édition : ce qui est très sûr, c’est qu’ils en useront avec noblesse. Ce n’est point ici une souscription, c’est un avis que chaque particulier donne aux Cramer qu’il retient un exemplaire, s’il en a envie. Mon lot à moi c’est de bien travailler pour la gloire de Corneille et de ma nation.

Les particuliers auront l’exemplaire, soit in-4°, soit in-8°, pour la moitié moins qu’ils le payeraient chez quelque libraire de l’Europe que ce pût être. Le bénéfice pour mademoiselle Corneille ne viendra que de la générosité du roi, des princes, et des premières personnes de l’État, qui voudront favoriser une si noble entreprise. Mademoiselle Corneille a l’obligation à madame de Pompadour et à M. le duc de Choiseul des quatre cents louis que le roi veut bien donner ; mais elle doit être fort mécontente de M. le contrôleur-général, à qui j’ai donné de fort bons dîners aux Délices, et qui ne m’a point fait de réponse sur les quatre cents louis d’or. Je ne demande pas qu’on les paie d’avance ; mais j’écris à M. de Montmartel 7 pour lui demander quatre billets de cent louis chacun, payables à la réception du premier volume . Je ne m’embarquerai pas sans cette assurance ; je donne mon temps, mon travail, et mon argent ; il est juste qu’on me seconde, sans quoi il n’y a rien de fait. Je veux accoutumer ma nation à être du moins aussi noble que la nation anglaise, si elle n’est pas aussi brillante dans les quatre parties du monde. Surtout, avant de rien entreprendre, il me faut la sanction de l’Académie ; je vous envoie donc Cinna, mes chers anges, et je vous prie de le recommander à M. Duclos. Quand on m’aura renvoyé l’épître dédicatoire et les observations sur Cinna et les Horaces,  j’enverrai le reste. Je souhaite qu’on aille aussi vite que moi ; mais les Français parlent vite, et agissent lentement : leur vivacité est dans les propositions, et non dans l’action , témoin cent projets que j’ai vus commencés avec chaleur, et abandonnés avec dégoût.

O mes anges ! vous ne me parlez point de l’arrêt contre les jésuites 8 . Je l’ai eu sur-le-champ cet arrêt, et sans vous. Vous me dites un mot du petit Hurtaud, et rien de Pondichéri. J’avoue que le tripot est la plus belle chose du monde ; mais Pondichéri et les jésuites sont quelque chose. Vous me parlez de l’Enfant prodigue, que les comédiens ont gâté absolument, et de Nanine, qu’ils n’ont pu gâter parce que j’y étais. Donnons vite bien des comédies nouvelles ; car lorsque les jansénistes seront les maîtres, ils feront fermer les théâtres. Nous allons tomber de Charybde en Scylla . Ô le pauvre royaume ! ô la pauvre nation ! J’écris trop, et je n’ai pas le temps d’écrire.

Mes anges, je baise le bout de vos ailes.

V.

15è august 1761. »

1 Cettte phrase manque dans l'édition Kehl . On sait très peu de choses sur ce Roqueville ; voir l'ouvrage de Fuchs sur les comédiens de province, p. 180 : La vie théatrale en province lexique des troupes de comédiens .

2 Envoyé extraordinaire en Angleterre, chargé de négocier la paix à Londres ; voir lettre du 1er juin 1761 à Chennevières : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/05/01/j-ai-ete-accable-de-mille-petites-affaires-qui-font-mourir-e-5795742.html

5 Voir extraits d'une lettre de d'Argental sur Zulime de juillet 1761 ; voir lettre du 8 juillet 1761 à d'Argental .

6 Plus est ajouté par V* au dessus de la ligne .

7 Lettre non connue .

8 Le 6 août, le parlement fit brûler vingt-quatre gros volumes de théologiens jésuites.