04/07/2018
Je ne connais que les princes protestants qui se conduisent raisonnablement. Ils tiennent les prêtres à la place où ils doivent être, et ils vivent tranquilles (quand la rage de la guerre ne s’en mêle pas)
... Mon pauvre Voltaire, ce n'est malheureusement plus d'actualité .
« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha
19 juillet [1763] 1
Madame, on n’est pas si raisonnable à Genève que l’est Votre Altesse Sérénissime. Il y a beaucoup de philosophes, à la vérité, qui ont un profond mépris pour les infâmes superstitions que le vicaire savoyard semble avoir détruites dans l’Emile de ce pauvre Rousseau. L’article de ce vicaire vaut mieux sans doute que tout le reste du livre. Il est goûté des grands et des petits, et cependant il est anathématisé par le conseil, qui est un peu l’esclave des prêtres. Tout est contradiction dans ce monde. Ce n’en est pas une petite de condamner ce qu’on estime et ce qu’on croit dans le fond de son cœur. Deux cents citoyens ont réclamé contre l’arrêt du petit conseil de Genève, mais bien moins par amitié pour Jean-Jacques que par haine pour les magistrats. Leur requête n’a rien produit, et Jean-Jacques ayant renoncé à son beau titre de citoyen n’a plus de titre que celui de Diogène. Il va transporter son tonneau en Écosse 2 avec milord Maréchal. Ce pauvre diable traîne une vie misérable, et le pape est souverain avec quinze millions de revenu. Voilà comme va le monde.
Nous autres Français, nous chassons les jésuites ; mais nous restons en proie aux convulsionnaires. Je ne connais que les princes protestants qui se conduisent raisonnablement. Ils tiennent les prêtres à la place où ils doivent être, et ils vivent tranquilles (quand la rage de la guerre ne s’en mêle pas).
Madame, j’ai l’honneur de vous envoyer un petit catéchisme qui m’a paru assez raisonnable 3.
Agréez mon profond respect.
V. »
1 Le lendemain 20 juillet 1763, d'Alembert écrit de Potsdam, à un correspondant non identifié, : « Le roi [Frédéric II] me parle souvent de Voltaire, et en e vérité, on ne peut pas mieux sur tous les points . On ne saurait avoir l'esprit plus droit et le goût plus juste que l'a ce prince . »
2 Si Rousseau eut cette intention, il n'y donna pas suite . Dans la lettre du 9 juillet 1763 à laquelle répond V*, la duchesse de Saxe-Gotha écrit : « Je suis charmée d'apprendre que Jean-Jacques soit rétabli dans sa patrie comme citoyen . C'est ainsi au moins que j'explique l'anecdote que vous avez la bonté monsieur de le mander .[...] qu'il soit chrétien ou non je l'estime de tout mon cœur parce que je le crois de bonne foi un véritable honnête homme . Milord Maréchal que j'ai vu ici il y a quelques semaines en fait son idole .[...]. »
3 Voir Le catéchisme de l'honnête homme : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/voltaire-catechisme-de-lhonnete-homme.html
08:52 | Lien permanent | Commentaires (0)
03/07/2018
Si vous avez du loisir, amusez-vous
... étonnant petit Laurent ! Le bac à huit ans !!
Si les maths sont pour toi une passion invincible, grand bien te fasse, mais tu n'es pas un ordinateur, joue , chante, fais de la musique, du sport, des bêtises , adopte un chat-tortue-kangourou-axolotl , rêve , ...

Si jeune, si savant , si ignorant des choses de la vie
https://www.demotivateur.fr/article/en-belgique-un-enfant...
« A Henri Rieu 1
17 juillet 1763
Mon très cher corsaire, tout le monde vous regrette et vous devez vous en douter . Notre petite troupe de Ferney soupire . Vous voilà donc hollandais , tâchez de l’être le moins longtemps que vous pourrez .
Si vous avez du loisir, amusez-vous à lire la tragédie sainte de Saül et de David . Si vous aimez à gratifier le public faites un recueil pour l'édification des saintes âmes, et croyez que la mienne est à vous bien tendrement .
V. »
09:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
02/07/2018
Je ne suis content ni du tripot de la comédie, ni de celui du parlement
... mais je suis particulièrement heureux d'avoir regardé Les Héritiers : https://www.programme-tv.net/news/cinema/210014-les-herit...
Remarquable film , remarquablement programmé le jour de l'hommage à Simone Veil et son époux entrant au Panthéon ( infiniment plus passionnant que le mondial de foot ) , émouvant et encourageant . A ne pas manquer lors de sa rediffusion que j'estime indispensable .
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
A Ferney 15è juillet 1763
Il n'y a point de cas pareil monseigneur ni de billet pareil . Je crois qu'il y a un an ou deux ou trois, on me demanda un rôle pour Mlle Hus . Je donnai mon consentement . Je crus quand vous me donnâtes vos ordres qu'il en était comme des testaments dont le dernier annule tous les autres , et l’envie de vous obéir est toujours ma dernière volonté . Je ne me souviens point du tout d'avoir donné aucun rôle cette année . Je n'ai aucun ambassadeur au tripot et vous êtes maître absolu . Il est vrai qu'on dit que votre protégée 1 n'est que jolie . Tant mieux, vous la formerez, cela vous amusera . Quel reproche avez-vous à me faire s'il vous plait monsieur Grichard ?2 pourquoi grondez-vous ? à qui en avez-vous ? serait-il que vous dussiez amener ici madame votre fille ? Venez, logez aux Délices, vous y serez très commodément, si mieux n'aimez Ferney .
Je ne suis content ni du tripot de la comédie, ni de celui du parlement . Mais je suis si heureux à Ferney que rien ne peut me chagriner, pas même ma santé, et la mort qui approche .
Je vous souhaite vie longue et gaie .
Respect et tendresse .
V. »
1 Voir lettre du 23 décembre 1762 à d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/05/correspondance-annee-1762-partie-33.html
2 M. Grichard est un personnage du Grondeur, de Brueys , mais les paroles en italique ne sont pas dans la pièce . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Augustin_de_Brueys
09:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/07/2018
si j'avais de la santé et de la jeunesse, vous n'en seriez pas quitte pour une simple lettre
... Je vous laisse deviner ce qui pourrait arriver alors ...
« A Ponce Dehaye-Polet, 1 Minime
à Doubrane
près de Cirey, par Vassy
en Champagne
Au château de Ferney
par Genève 15 juillet 1763
Pardonnez, monsieur, à un vieillard malade et presque aveugle, si je ne vous ai pas remercié plus tôt de votre prose flatteuse et de vos jolis vers 2; si j'avais de la santé et de la jeunesse, vous n'en seriez pas quitte pour une simple lettre . Vous avez tant d'esprit que je vous plains d'être minime ; vous me paraissez plus fait pour l'eau d'Eripocrine 3 que pour l'huile du bonhomme napolitain qui ne guérit pas Louis XI .
J'ai l'honneur d'être bien véritablement, monsieur,votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Voir : http://www.e-enlightenment.com/person/dehayponce001256/?s... : et : http://republicofletters.stanford.edu/publications/voltai...
2 Vers non identifiés ; le premier ouvrage publié de Dehaye, Marcellus, 1765, est un plaidoyer en faveur de la tolérance : https://books.google.fr/books?id=0hMzAQAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
3 Ou plutôt Hippocrène .
08:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
30/06/2018
J’aime mieux mourir libre que d’avoir une terre de mon nom.
... et cette terre, je ne veux ni l'occuper d'une tonne de marbre gravé, ni la polluer de mes ossements inutiles ( tout feu tout flamme, vive la crémation ).

You too ! birdy .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
13 juillet [1763] 1
Eh ! qui vous a dit, mes divins anges, que je brochais un drame ? Je vous ai dit que le sang me bouillait : mais que de raisons de le faire bouillir quand je considère tout ce qui se passe dans ce monde ? Si mon pot bout, cela ne dit pas qu’il y ait une tragédie dedans ; mais s’il y en avait une, vous seriez ardemment conjurés de ne la donner jamais sous mon nom. Soyez pleinement convaincus que le public ne se tournera jamais de mon côté quand il verra que je veux paraître toujours sur la scène . On se lasse de voir toujours le même homme. On siffla douze fois Pierre Corneille après sa Rodogune, dont on avait passé bénignement les quatre premiers actes. Voilà comme sont faits les hommes, et surtout les gens de mon pays. Si on eut un enthousiasme extravagant pour l’extravagante et barbare pièce de ce vieux fou de Crébillon, ce fut parce qu’il était misérable, parce qu’il avait été vingt ans sans rien donner 2, et surtout parce qu’on voulait m’humilier. Je n’ai donné Olympie qu’à cause des remarques qui peuvent être utiles aux gens de bien ; c’est pour avoir le plaisir de parler du beau livre des rois, et pour mettre dans tout son jour l’abomination du peuple de Dieu, que j’ai permis que Colini imprimât la pièce. Je ne perds pas une occasion de rendre de petits services à la sacro-sainte 3. Mon zèle est actif. A l’égard de la pièce, je parierai contre qui voudra qu’elle fera un très grand effet sur le théâtre, et j’en ai la preuve . Mais il faut attendre, et j’attends très volontiers.
J’ai toujours trouvé très bon que M. Lekain et Mademoiselle Clairon imprimassent Zulime . Mais ce n’est pas ma faute si un nommé Duchesne ou Grangé 4 en donna une édition clandestine détestable, et si les libraires ne donneraient pas cent écus pour une édition nouvelle . Ce n’est pas ma faute si ce monde est un brigandage. Je donne tout, et on ne me sait gré de rien : c’est un ancien usage.
Mais encore, si je faisais un drame, je ne le ferais pas en six jours . Il m’en coûterait quinze ou seize, car je m’affaiblis de moitié ; et puis, pour les coups de ciseau, il faudrait trois ou quatre mois. Mais mieux vaudrait tout abandonner que d’être connu, et ce ne serait que l’incognito le plus incognito qui pourrait me déterminer. Je vous y mettrais un style dur qui dérouterait le monde . La pièce serait un peu barbare, un peu à l’anglaise . Il y aurait de l’assassinat . Elle serait bien loin de nos mœurs douces . Le spectacle serait assez beau, quelquefois très pittoresque 5. Enfin, si les anges me juraient par leurs ailes qu’ils cacheraient ce secret dans leur tabernacle, je leur jurerais, de mon côté, que les Thieriot et autres n’en croqueraient que d’une dent. Ce drame serait d’un jeune homme qui promettrait quelque chose de bien sinistre, et qu’il faudrait encourager. Ne serait-ce pas un grand plaisir pour vous de vous moquer de ce public si frivole, si changeant, si incertain dans ses goûts, si volage, si français ? Enfin, mes anges, vous avez ranimé ma fureur pour le tripot . En voilà les effets. Mango-Capac est-il imprimé ? Il faut tâcher que le drame inconnu soit un petit Mango, qu’il y ait du fort, du nerveux, du terrible. On ne pleurera pas cette fois ; mais faut-il pleurer toujours ?
Mes anges pardon si je vous importune encore d'un paquet pour frère Damilaville . Permettez-moi cette liberté .
J’ai lu les remontrances. Vraiment le parlement d’Angleterre ne parlait pas autrement à Charles Ier . Cela est mirifique.
Mes anges, je n’ai pas un moment à moi depuis dix ans. Je vous conjure de dire à M. le p[rési]d[ent] de La Marche combien je lui suis obligé. Le contrat de l’acquisition de Ferney est au nom de madame Denis ; je lui ai donné la terre. Comment l’appeler de mon nom ? Je n’ai point d’enfants ; et si Messieurs m’échauffent les oreilles, je quitterai tout plutôt que de ne leur pas répondre ; car, après tout, la vérité est plus forte qu’eux, et je connais gens qui prendront mon parti. J’aime mieux mourir libre que d’avoir une terre de mon nom.
Je n’ai point écrit à M. Chauvelin l’ambassadeur. Que lui dirai-je ? que je suis très mécontent de son frère 6 ?
Mes divins anges, pardonnez mon petit enthousiasme.
Respect et tendresse.
V.»
1 Dans l’édition de Kehl , et suivantes, manque le 4è paragraphe biffé sur la copie Beaumarchais .
2 Les sept premières tragédies de Crébillon furent représentées entre 1705 et 1726 ; les deux suivantes, et dernières, le furent ne 1748 et 1754 ; Le Triumvirat eut une gestation particulièrement laborieuse, Cromwell ne fut jamais représenté .
3 Par ironie, la religion chrétienne .
4 ou Grangé est ajouté au dessus de la ligne sur le manuscrit .
5 Le Triumvirat . Voir celui de Crébillon : http://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/CREBILLON_TRIUMVIRAT.pdf
6L'abbé Henri-Philippe de Chauvelin : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Philippe_de_Chauvelin
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29/06/2018
Je vous jure que ma vivacité pour cette affaire ne se ralentira jamais
... Voltaire l'a dit et l'a fait, non pas seulement pour l'affaire Calas mais aussi pour une dizaine d'autres, et de nos jours Simone Veil , femme admirable qui va le rejoindre au Panthéon, nous fait voir ce que c'est qu'être vraiment engagé . Puissent-ils être nombreux ceux qui s'engagent pour le bien avec tant de coeur .

Lumineuse .
« A Philippe Debrus
à Genève
12 juillet [1763]
On me mande, monsieur, que les pièces du procès sont arrivées, et que ce Pilate de procureur général n'a jamais voulu qu'on produisit les requêtes que l'innocent Calas avait présentées pour faire entendre des témoins en sa faveur . Je vous jure que ma vivacité pour cette affaire ne se ralentira jamais . Faites-moi l’amitié de me communiquer toutes les nouvelles que vous aurez ; il n'y a qu'à les envoyer chez MM. Souchay, je vous les rendrai toujours le jour suivant .
Mille compliments à vous et à vos amis . »
09:27 | Lien permanent | Commentaires (0)
28/06/2018
On trouve les remontrances du parlement un libelle séditieux, mais je ne me mêle pas de ces affaires-là
... qu'on trouve dans la réforme constitutionnelle, qui avec son flot d'amendements au gré de députés dont l'intelligence laisse parfois à désirer , nous vaut, par exemple, un «principe de la tradition chrétienne de la France» d'Eric Ciotti qui se fait heureusement renvoyer au vestiaire , et ce n'est malheureusement pas la seule ânerie qui va être défendue bec et ongles par nos beaux parleurs avides de reconnaissance .
Voir : http://www.lefigaro.fr/politique/2018/06/27/01002-2018062...

« A Etienne-Noël Damilaville
12 juillet [1763] 1
Orate fratres .2
Dieu bénit nos travaux . Jean-Jacques l'apostat n'a pas laissé de rendre de grands services par son vicaire savoyard .
Presque tout le peuple de Genève est devenu philosophe . On a trouvé très mauvais que le conseil de Genève ait fait bruler le livre de Jean-Jacques . Ce n'est pas ainsi disent-ils qu'on doit traiter un citoyen . Deux cents personnes parmi lesquelles il y avait trois prêtres sont venues faire de très fortes remontrances, mais il faut que vous sachiez que Jean-Jacques n'a été condamné que parce qu'on m'aime pas sa personne .
Admirez la Providence . L'auteur de L’Oracle des fidèles 3, livre excellent trop peu connu, était un valet de chambre d'un conseiller clerc de la seconde des enquêtes nommé Nigon de Bercy 4, cloître Notre-Dame . Il est venu chez moi, il y est, c'est une espèce de sauvage comme le curé Meslier .
Vous rendriez service aux frères, si vous faisiez informer chez le conseiller Nigon de Bercy ce que c'est qu'un Savoyard nommé Simon Bugex 5 qui a été chez lui en qualité de valet de chambre et de copiste . Apparemment ce Simon Bugex, auteur de L'Oracle des fidèles, était paroissien du vicaire savoyard de Jean-Jacques . C'est bien dommage de la tragédie de Socrate soit un ouvrage détestable, mais on ne peut le faire bon et jouable . On trouve les remontrances du p[ar]l[emen]t un libelle séditieux, mais je ne me mêle pas de ces affaires-là .
Orate fratres et vigilate 6.
Ecr l'inf. »
1 L'édition Correspondance littéraire donne le texte de cette lettre suivi d'une « Épître aux fidèles, par le grand apôtre des Délices » ; voir lettre du 15 mai 1763 à Helvétius : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/05/11/quelle-plus-belle-vengeance-a-prendre-de-la-sottise-et-de-la-6050586.html
2 Priez frères .
3 Sur cet ouvrage, voir lettre du 8 décembre 1760 à Thieriot : « L'Oracle des anciens fidèles, pour servir de suite et d'éclaircissement à la sainte Bible, Berne , 1760, de Simon Bigex . V* désigne le véritable auteur dans sa lettre à Damilaville du 12 juillet 1763 ; l'attribution qu'il fait ici de l’ouvrage est-elle une plaisanterie ? Sur Bigex, voir Louis Bouvier : « Simon Bigex, secrétaire de Voltaire », Revue savoisienne, Annecy, 15 novembre 1863, IV, 85-87 . »
4 Simon Nigon de Berty : voir : http://www.worldcat.org/search?q=su%3ANigon+de+Berty%2C+Simon%2C+1702-1772.&qt=hot_subject
5 On verra bientôt que V* engagea à son service ce Bugex, dont le nom, quelque peu transformé en Bigex, lui servit parfois de pseudonyme .
6 Priez frères et soyez vigilants .
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