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06/01/2018

Pour moi, qui ne suis ni papiste ni huguenot, et qui depuis un mois ne me mets point à table, j’avoue ingénument que je suis de la plus grande indifférence sur le gras et sur le maigre

... A la vérité, la période festive passée n'a pas été sous le signe du jeûne, et le gras et le maigre ont connu une consommation qui a fait l'affaire du monde agricole et piscicole .

NDLR -- James a d'abord écrit "jeune", et si quelque lecteur préfère cette première version , libre à lui, les réveillons ne sont que deux par an .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

6 février 1763 à Ferney 1

En réponse à la lettre du 29 janvier, reçue le 5 février, nous répondrons le 6è et notre lettre partira le 7 .

Nous commençons par dire que nos anges sont toujours aussi injustes qu’adorables. Ils ont condamné Marie Corneille pour n’avoir point écrit depuis longtemps à père et mère, à mesdemoiselles de Vilgenou et de Félix, et même à l’étonnant Le Brun ; et cependant Marie avait rempli tous ses devoirs, sans oublier même ce Le Brun.

Nos anges gardiens condamnent ladite Marie pour n’avoir point demandé le consentement de père et mère à son mariage ; et nos anges doivent avoir entre leurs mains la lettre de Marie à père et mère, accompagnée de la mienne 2.

Nos anges ont condamné M. Dupuits pour n’avoir point écrit au beau-père et à la belle-mère futurs ; et la lettre de M. Dupuits doit avoir été adressée à nos anges mêmes : M. Dupuits m’assure qu’il a pris cette liberté.

Il ne nous manque que de savoir la demeure du père Corneille ; car, jusqu’à ce que nous soyons instruits, nous ne pouvons mettre qu’à monsieur, M. Corneille, dans les rues.

Vous demandez les noms et qualités du gendre et de ses père et mère, et vous devez les avoir reçus avec une lettre de madame Denis et une de M. Dupuits. Il ne me reste qu’à vous demander pardon pour madame Denis, qui oublia d’envoyer le paquet à l’adresse de M. de Courteilles.

Vous voyez donc, mes chers anges, que nous avons rempli tous nos devoirs dans la plus grande exactitude. Je vous confie que madame Denis craint beaucoup que la tête de François Corneille ne ressemble à Pertharite, Agésilas, Surenna, et ne soit fort mal timbrée. Je n’ai su que depuis quelques jours que, dans le voyage que fit chez moi François Corneille lorsque j’étais très malade, François dit à Marie , gardez-vous surtout de vous marier jamais ; je n’y consentirai point . Fuyez le mariage comme la peste ; ma fille, point de mariage, je vous en prie.

Je vous confie encore une autre douleur de madame Denis : elle tremble que les réponses ne viennent pas assez tôt, qu’elle ne soit obligée de marier Marie en carême, qu’il ne faille demander une permission à l’évêque d’Annecy, difficile à obtenir ; que ses perdrix de Valais, ses coqs de bruyère, ne soient inutiles, et qu’on ne soit réduit à manger des carpes et des truites un jour de noce, attendu que M. le comte d’Harcourt et compagnie, qui seront de la noce, sont d’excellents catholiques. Pour moi, qui ne suis ni papiste ni huguenot, et qui depuis un mois ne me mets point à table, j’avoue ingénument que je suis de la plus grande indifférence sur le gras et sur le maigre . Je ne sers ni Baal ni le Dieu d’Israël 3, et je ne mange ni coq de bruyère ni truite.

Je suis profondément affligé que Son altesse Philibert Cramer se soit mêlée de la négociation entre M. le contrôleur-général et M. Tronchin, pour la souscription du roi . Je l’avais prié, par son frère le libraire, de n’en rien faire, parce qu’il ne tenait qu’à moi de toucher huit mille livres du roi pour mademoiselle Corneille par les mains de M. de Laborde, et qui s’en serait bien fait rembourser ; il aurait donné même dix mille livres.

Vous avez très grande raison, mes divins anges, de dire que les rentes viagères ne conviennent point ; je vois que Philibert veut avoir pour lui les rentes viagères, et payer les dix mille livres . Je suis bien aise qu’il soit en état de faire ces virements de parties, et qu’il ait fait avec moi cette petite fortune.

A l’égard de Sa Majesté, si nous pouvions obtenir qu’il fût permis de mettre dans le contrat qu’elle daigne donner huit ou dix mille livres, cela n’empêcherait pas de lui envoyer tant d’exemplaires de Corneille qu’elle en voudrait ; ce serait seulement une chose très honorable pour mademoiselle Corneille, pour les lettres, et pour nous ; j’en ai écrit à M. le duc de Choiseul 4. Si la chose se fait, tant mieux ; sinon il faudra se consoler comme de toutes les choses de ce monde, et assurément le malheur est léger.

Toutes ces terribles affaires, mes divins anges, n’empêcheront point que vous n’ayez l’amoureuse Zulime, le bon Bénassar, et le froid Ramire, avec la manière absolument nécessaire dont il faut jouer la dernière scène ; cela sera joint à une petite préface, en forme de lettre, à la demoiselle Clairon 5, attendu que la pièce est tout amour, et que nous disserterons beaucoup sur cette passion agréable et honnête. Daignez donc me mander quand vous voudrez jouer Zulime, et alors tous vos ordres seront exécutés.

Je reviens, avec votre permission, mes anges, à notre mariage, qui m’intéresse plus que celui d’Atide et de Ramire. En voilà déjà un de rompu 6 ; il ne faut pas qu’il arrive la même chose à l’autre. Est-il vrai que François Corneille soit aussi têtu qu’imbécile, et diamétralement opposé à l’hymen de Marie ? En ce cas, il faudrait lui détacher mademoiselle Félix, qui sait comme il faut le conduire, et le mettre à la charrue sans qu’il regimbe . Mais je ne sais point la demeure de mademoiselle Félix. Quand nous lui avons écrit 7, c’était par le canal du pindarique Le Brun. Nous ne savons encore si nos lettres ont été reçues, et il me paraît difficile que j’aie un commerce bien régulier avec cet élève de Pindare. Le mieux serait de ne point lâcher les vingt-cinq louis à François qu’il n’eût signé ; et si, par une impertinence imprévue, François refusait d’écrire tout ce qu’il sait, c’est-à-dire d’écrire son nom, alors François de Voltaire, qui est la justice même, le laisserait mourir de faim, et il ne tâterait jamais des souscriptions. Marie Corneille est majeure dans deux mois, nous la marierions malgré François, et nous abandonnerions le père à son sens réprouvé.

Calmez-vous, mes chers anges, sur la fatale feuille qui déplairait tant à messieurs 8. Cette feuille n’a point été tirée, je l’ai bien empêché. Philibert Cramer a très mal fait de la coudre à son exemplaire. Je sentis bien que ces mots  cent quatre-vingt membres se démirent de leurs charges ; les murmures furent grands dans la ville, et le roi fut assassiné 9, etc. , que ces mots, dis-je, pourraient faire soupçonner à des grammairiens que cet assassinat fut le fruit immédiat du lit de justice, comme en effet Damiens l’avoua dans ses interrogatoires à Versailles et à Paris. Je sais bien qu’il est permis de dire une vérité que le parlement a fait imprimer lui-même ; mais j’ai bien senti aussi que le parlement serait fâché qu’on vît dans l’histoire ce qu’on voit dans le procès-verbal. Cette seule particule et est un coup mortel. Un seul mot peut quelquefois causer un grand mal. Cette même particule, très mal expliquée par M. de Silhouette dans le traité d’Utrecht, a causé la dernière guerre, dans laquelle nous avons perdu le Canada ; je ne perdrais pas même Ferney, car je l’ai donné à ma nièce ; mais malgré mon juste ressentiment contre l’infâme condamnation de la Loi naturelle 10, je fis jeter au feu cette feuille ; je mis à la place  ces émotions furent bientôt ensevelies dans une consternation générale, par l’accident le plus imprévu et le plus effroyable . Le roi fut assassiné, le 5 de janvier, dans la cour de Versailles, etc. »

J’ai inséré même des choses trop flatteuses pour le parlement dans la même feuille ; et je dis expressément   Le parlement faisait voir qu’il n’avait en vue que le bien de l’État, et qu’il croyait que son devoir n’était pas de plaire, mais de servir 11En un mot, j’ai tourné les choses de manière que, sans blesser la vérité, j’ai tâché de ne déplaire à personne. D’ailleurs dans toute l’histoire de Damiens, je me borne uniquement à citer les interrogatoires. Au reste, l’ouvrage n’est pas encore achevé d’imprimer.

Ce dimanche 6, sexagésime . Nous venons de fiancer nos futurs ; de là je conclus qu’il faut que François se presse.

Voici, mes anges, une lettre de M. Dupuits, par laquelle il vous remercie de toutes vos bontés.

Je me prosterne devant mes deux anges gardiens. 

V.»

 

1 La copie Beaumarchais omet le premier paragraphe, suivie par les autres éditions .

2Ces lettres ne sont pas connues .

3 Athalie, III, 3 de Racine . La formule était passée en proverbe .

4 On ne connait pas cette lettre .

5 Cette préface parut effectivement à la tête de Zulime .

6 Celui de Vaugrenant .

8 Les parlementaires .

9 Ce passage figurait originellement au chapitre LIX du Siècle de Louis XIV ; V* le rejeta finalement dans le Précis du siècle de Louis XV, où il plaça la référence au parlement à la fin du chapitre XXXVI, tandis que le récit de l'attentat contre le roi ouvrait le chapitre suivant .

11 Ce passage fut supprimé , à juste titre : les intentions du parlement étaient loin d'être aussi pures que le disait cette phrase .

05/01/2018

il faut avoir soin que les lignes soient également espacées

... Tenez vous le pour dit, vous politicards de tous poils qui vous gargarisez de la ridicule formule "il faut faire bouger les lignes". Pour autant que je sache, à mon modeste niveau, je ne vois que les poissons pour faire réellement bouger les lignes .

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 5 février 1763]

Je renvoie à Caro la feuille V., de l'Histoire, et la feuille X de Pertharite, avec l’errata du tome trois . Le reste me paraît aller assez bien, mais il faut avoir soin que les lignes soient également espacées .

Je supplie monsieur Cramer de m'envoyer trois exemplaires de la feuille V de l'Histoire générale , vingt-quatre exemplaires des Éclaircissements historiques 1, et de ne pas perdre un moment pour ce qui regarde la tolérance et les rogatons que je lui ai envoyés ; je l'embrasse de tout mon cœur .

N. B. qu'il y a un mot à corriger à la page 315 de la feuille V de l'Histoire . »

Si les avocats n'ont pas le droit de plaider, il n'y aura donc plus ni droit ni loi en France

... Ce qui heureusement n'est pas le cas en France, mais  nombre de pays connaissent les arrestations arbitraires y compris celles d'avocats . La liste en est longue . Et je plains notre président d'avoir à fréquenter des chefs d'Etats qui pratiquent plus la schlage que la justice .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

[vers le 4 février 1763] 1

J'ai pris la liberté , mon cher frère, d'écrire à M. d'Aguesseau et à M. de Crosne la lettre dont je vous envoie copie 2. Je ne sais si MM. de Beaumont, Mariette et Loyseau ne feraient pas bien de présenter requête contre l’insolence du présidial de Montpellier qui a fait saisir leurs factums . Il me semble que c'est outrager à la fois le conseil à qui on les a présentés et les avocats qui les ont faits . Si les avocats n'ont pas le droit de plaider, il n'y aura donc plus ni droit ni loi en France . Je m'imagine que ces trois messieurs ne souffriront pas un tel outrage . Il n'appartient qu'au juges devant qui l'on plaide de supprimer un factum en le déclarant injurieux et abusif, mais ce n'est pas assurément aux parties à se faire justice elles-mêmes . J'espère surtout que cette démarche du présidial de Montpellier, commandée par le parlement de Toulouse sera une excellente pierre en faveur des Calas . On ne doit plus regarder les juges du Languedoc que comme des criminels qui cherchent à écarter les preuves de leur crime aux yeux de leur province .

 

Je rouvre ma lettre pour supplier mon frère de faire parvenir mon certificat de vie à M. de Laleu, notaire, car enfin je suis en vie encore, et c'est assurément pour vous aimer . »

j’ai toujours souhaité que les femmes gouvernassent

... Le monde n'en serait peut-être pas bien meilleur, mais à coup sûr il ne serait pas plus mauvais ( ma mère persiste a être contre un gouvernement féminin, préjugé d'un autre âge, victime d'un formatage qui fait encore des siennes ).

Ami Voltaire, tu avais presque trois siècles d'avance ! bravo !!

 

 

« A Caroline-Louise de Hesse-Darmstadt, margravine de Baden-Durlach 1

Au château de Ferney par Genève

4 février 1763

Madame, j’aime mieux avoir l’honneur d’écrire à Votre Altesse Sérénissime d’une main étrangère, que de ne vous point écrire du tout. Je deviens presque aveugle, et il ne faut pas l’être quand on veut faire sa cour à Carls-rueh . J’apprends avec bien de la douleur que Votre Altesse Sérénissime a été malade tout comme une autre ; la beauté et le mérite ne guérissent de rien ; les médecins ne guérissent pas davantage  il n’y a que le régime qui rétablisse la santé.

Je ne suis point en état, madame, de venir me mettre à vos pieds ; que feriez-vous d’un vieil aveugle ? Mais si quelqu’un de mes enfants peut trouver grâce devant vos yeux, ils viendront demander votre protection.

Je marie dans quelques jours la nièce de Pierre Corneille à un jeune gentilhomme de mon voisinage . La consolation de la vieillesse est de rendre la jeunesse heureuse. S’il faisait plus beau, et si j’étais moins décrépit, je mènerais la noce danser devant votre château, comme faisaient les anciens troubadours ; nous y chanterions les plaisirs de la paix, dont l’Allemagne avait besoin comme nous.

J’espère, dans quelques semaines, envoyer à vos pieds le second tome de la vie de Pierre-le-Grand, ne pouvant le porter moi-même. Votre Altesse Sérénissime y verra des choses assez curieuses ; mais ma plume ne vaut pas vos crayons, et mes peintures ne valent pas vos pastels.

La czarine régnante a grande envie d’imiter la reine Christine, non pas en abdiquant, mais en cultivant les arts et les sciences ; on la dit fort belle et fort aimable . Voilà quatre impératrices tout de suite ; cela tourne un peu la loi salique en ridicule. Pour moi, madame, depuis que j’ai eu l’honneur de vous faire ma cour, j’ai toujours souhaité que les femmes gouvernassent.

Agréez le profond respect avec lequel je serai toute ma vie,

madame,

de Votre Altesse Sérénissime,

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

04/01/2018

Employer ainsi sa peine, son temps, son éloquence, son crédit ; et loin de recevoir un salaire, procurer des secours à des opprimés, c'est là ce qui est véritablement grand

... Et vous devez y penser aussi, monsieur le Président, en vous demandant "en vous levant le matin, ce que vous pouvez faire pour la nation " .

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

4è février 1763 au château de Ferney 1

Mon cher et illustre confrère,

Il me semble que si quelques pédants ont attaqué en France la philosophie, ils ne s'en sont pas bien trouvés, et qu’elle a fait une alliance avec les puissances du Nord . Cette belle lettre de l'impératrice de Russie vous venge bien . Cela ressemble à la lettre que Philippe écrit à Aristote, à la différence près qu'Aristote eut l'honneur d'accepter l'éducation d'Alexandre, et que vous avez la gloire de la refuser .

Je me souviens que dans mon enfance je n'aurais pas imaginé qu'on écrirait un jour de pareilles lettres de Moscou, à un académicien de Paris . Je suis du temps de la création, et voilà quatre femmes de suite qui ont perfectionné ce qu'un homme a commencé . Votre galanterie française doit quelques compliments au sexe féminin sur cette singularité dont l'histoire ne fournit aucun exemple .

La belle lettre que celle de Catherine ! Ni sainte Catherine d'Alexandrie , ni sainte Catherine de Boulogne, ni sainte Catherine de Sienne n'en auraient jamais écrit de pareilles . Si les princesses se mettent aussi à cultiver leur esprit, la loi salique n’aura pas beau jeu .

Ne remarquez-vous pas que les grands exemples et les grandes leçons nous viennent souvent du Nord ? Les Neuton, les Loke, les Gustave, les Pierre de Grand et gens de cette espèce ne furent point élevés à Rome dans le collège de la Propagande . J’ai parcouru ces jours passés une grosse Apologie des jésuites 2, pleine d'Itos et de Pathos 3. On y fait le dénombrement des grands génies qui illustrent notre siècle . Ils sont tous jésuites . C'est , dit l'auteur, un Perusault 4, un Neuville 5, un Chapelain 6, un Baudory 7, un Buffier 8, un Desbillons 9, un Castel 10, un La Borde 11, un Briet 12, un Garnier 13, un Pezenas 14, un Simonnet 15, un Huth 16, et ce Berthier 17, ajoute-t-on, qui a été si longtemps l'oracle des gens de lettres .

Je suis assez comme M. Chicaneau 18, je ne connais pas un de ces gens-là, excepté frère Berthier que je croyais mort sur le chemin de Versailles 19, mais enfin je suis ravi que la France ait encore de grands hommes .

On dit aussi que l'on compte parmi ces sublimes génies un M. Le Roi 20, prédicateur de Saint-Eustache qui prêche avec l'éloquence du révérend père Garasse .

À vous parler sérieusement, je trouve que si quelque chose fait honneur au siècle, ce sont les trois factums de MM. Mariette, de Beaumont, de Loyseau en faveur de la famille infortunée de Calas . Employer ainsi sa peine, son temps, son éloquence, son crédit ; et loin de recevoir un salaire, procurer des secours à des opprimés, c'est là ce qui est véritablement grand, et ce qui ressemble plus aux temps des Cicéron et des Hortensius, qu'à ceux de Briet, de Huth, et de frère Berthier . J'attends tranquillement le jugement qu'on rendra, car Dieu merci, l’Europe a déjà jugé, et je ne connais de tribunal infaillible que celui de tous les honnêtes gens de différents pays qui pensent de même . Ils composent sans le savoir un corps qui ne peut errer, parce qu'ils n'ont point l'esprit du corps .

Je ne sais ce que c'est que le petit libelle 21 dont vous me parlez, où l'on me dit des injures à propos d'un examen de quelques pièces de Crébillon . Je ne connais ni cet examen ni ces injures ; j'aurais trop à faire s'il me fallait lire tous ces rogatons .

Pierre le Grand et le grand Corneille m'occupent assez . J'en suis malheureusement à Pertharite, et je marie la nièce pour me consoler . Nous mettrons dans le contrat qu’elle est cousine germaine de Chimène et qu'elle ne reconnait pour ses parents , ni Grimoald, ni Unulphe 22. Elle pourra bien avoir fait un enfant avant que l'édition soit achevée ; beaucoup de grands seigneurs ont souscrit généreusement, les graveurs disent que leurs noms ne sont pas des lettres de change .

J'envoie à l'Académie l'Heraclius que j'ai traduit de Calderon, et qui est imprimé avec l'Heraclius français . Vous jugerez quel est l'original , de Calderon ou de Corneille ; vous poufferez de rire ; cependant vous verrez qu'il y a dans ce Calderon de bien brillantes étincelles de génie . Vous recevrez aussi bientôt une certaine Histoire générale . Le genre humain y est peint cette fois-ci de trois quarts , il ne l'était que de profil aux autres éditions . Quoique je sois bien vieux, j'apprends tous les jours à le connaître .

Adieu, mon très illustre philosophe, je suis obligé de dicter, je deviens aveugle comme La Mothe . Quand l'abbé Trublet 23 le saura, il trouvera mes vers meilleurs . »

1 On dispose de plusieurs copies de cette lettre ; la première envoyée à Mme Du Deffand et portant en-tête la mention de Wagnière « Lettre de M. de Voltaire à M. d'Alembert du 4è février 1763 » . semble présenter le meilleur texte et a été préférée pour l'impression . On peut aussi citer entre autres, la copie envoyée à la reine de Suède ; l'édition Lettre de M. de Voltaire à M. d'Alembert 1763, brochure de 8 pages signée A qui date la lettre du 11 février , ce qui est peu vraisemblable, la réponse de d'Alembert étant datée du 12 février 163 . Le texte de cette édition est pratiquement semblable à celui de la copie de Wagnière, la seule différence notable étant l'addition des mots le jour de la naissance d'Alexandre au premier paragraphe, après écrivit à Aristote ; voir plus loin une autre variante commune à une autre édition . Une seconde édition de de la lettre est représentée par les Lettres de M. de Voltaire à ses amis du Parnasse, 1766, dont le texte est semblable à celui du manuscrit 1, avec une addition concernant Berthier ; en effet au cinquième paragraphe, les mots mais enfin se trouvent remplacés par et qui se confessa malheureusement sans le savoir au gazetier ecclésiastique l'abbé Poignard, qui lui refusa par trois fois l'absolution . Notons enfin que les Mémoires secrets reproduisent aussi la lettre , à la date du 9 mars 1763 . Ici encore , une seule variante à signaler , qui se trouve aussi dans l'édition séparée décrite la première : le sixième paragraphe, après révérend père Garasse, est complétée par les mots ; , jésuite, qui a écrit il y a plus de cent ans contre les esprits forts, en style bouffon et burlesque . Les autres variantes , pour la plupart simplement orthographiques, ou tout simplement insignifiantes, ont été ignorées ; il est difficile de savoir si elles sont dues à V* ou aux éditeurs .

2 Voir lettre du 30 janvier 1763 à Ruffey ; les mots en italique ne sont pas une citation directe de l'ouvrage de Cerutti et les noms cités se trouvent au chapitre XX. Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/12/26/en-vous-remerciant-de-l-epigramme-sur-le-cocu-du-parlement.html

4 Sylvain Perussault, auteur de sermons .

5 Charles Frey de Neuville, autre prédicateur dont le sermon le plus connu est l'Oraison funèbre de Son Éminence le cardinal de Fleury […] prononcée […] dans l'église de Paris le 25 mai 1743, 1743 .V* possédait ses Observations sur l'institut de la société des jésuites, 1762 , peut-être œuvre de Pierre-Claude Frey de Neuville .

6 Charles-Jean -Baptiste Le Chapelain, auteur d'ouvrages de piété et de sermons .

7 Joseph Du Baudory, auteur d’œuvres diverses .

8 Claude Buffier, auteur de nombreux ouvrages et d'articles publiés dans les Mémoires de Trévoux, objet des railleries de Desfontaines dans le Dictionnaire néologique ; V* possédait sa Pratique de la mémoire artificielle, 1705 .

9 François-Joseph Terrasse Desbillons, polygraphe estimé .

10 Le père Castel, physicien cartésien, dont V* a admiré le Clavecin oculaire .

11 Vivien de La Borde, auteur d'essais de théologie pastorale .

12 Philippe Briet auteur de vastes Annales mundi, 1662-1663 .

13 Jean Garnier, savant auteur du Liber diurnus romanorum pontificum, 1680 , et du Systema bibliothécae collegii parisiensis Societatis Jesu, 1678 .

14 Esprit Pezenas, astronome et mathématicien .

15 Edmond Simonnet, auteur de Institutiones theologicae ad usum seminariorum, 1721-1728, en onze volumes .

16 Adam Huth, deux fois provincial des jésuites .

17 On a vu dans la lettre du 6 septembre 1762 à d'Argental que Berthier avait été nommé sous-précepteur du dauphin .Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/08/03/malheur-aux-compliments-quand-ils-sont-longs-5968453.html

18 Allusion aux Plaideurs ,II, 5, de Racine

19 En allant prendre ses fonctions de sous-précepteur .

20 La présence de ce Le Roi, qui n'est pas un jésuite, pourrait surprendre . Il s’agit du curé de Saint Herbland, diocèse de Rouen, qui prêchant à Saint Eustache, avait osé mettre sur le même plan Bayle et Voltaire . D'Alembert en a averti V* dans sa lettre du 31 mars 1762, et lui a recommandé de ne pas « oublier cet honnête homme » à la « première bonne digestion qu'il aurait ».

21 Ce « libelle » est constitué par une ou deux livraisons de La Renommée littéraire, attribué à Ecouchard Le Brun, il était peut-être d'un autre Ecouchard prénommé Jean-Etienne, dit « Le Brun de Granville » . Le premier numéro de cette feuille contenait une réponse à l’Éloge de M. de Crébillon ; V*, au rapport de d'Alembert du 12 janvier 1763, s'y trouve « assez maltraité » , voir lettre du 18 janvier 1763 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/16/jean-jacques-fait-des-lacets-dans-son-village-avec-les-monta.html

22 Personnages de Pertharite, de Corneille . V* se moque de ces noms en oubliant qu'il a lui aussi forgé d'assez d'étranges noms dans ses tragédies .

23 Sur Trublet, voir lettre du 27 avril 1761 à Trublet :

Je recommande toujours les cartons à Paris

... Voir : https://magalerieaparis.wordpress.com/category/tetsu/

 et : https://www.bedetheque.com/BD-DOC-Carton-Les-cahiers-du-d...

 Couverture de (DOC) Carton - Les cahiers du dessin d'humour -1- Sempé

Couverture de (DOC) Carton - Les cahiers du dessin d'humour -2- Chaval

Couverture de (DOC) Carton - Les cahiers du dessin d'humour -3- Dubout

Couverture de (DOC) Carton - Les cahiers du dessin d'humour -4- Cabu

Couverture de (DOC) Carton - Les cahiers du dessin d'humour -5- Mordillo

Couverture de (DOC) Carton - Les cahiers du dessin d'humour -10- Tetsu

 

 

« A Gabriel Cramer

[3 février 1763] 1

Caro si vous aviez seulement trois 2es tomes du czar reliés envoyez-les moi sur-le-champ je vous en conjure .

Je recommande toujours les cartons à Paris . Cela est essentiel . »

 

1 Pour la date il semble que cette lettre répond à un mot de Cramer écrit en réponse à la lettre de la veille, Cramer annonce qu'il ne dispose pas des exemplaires reliés demandés par V* .

03/01/2018

quand la note est grande, le texte est court

... Ce qui me fait penser immédiatement aux textes de lois ensevelis sous des tonnes d'amendements tous plus oiseux et superflus les uns que les autres .

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« A Gabriel Cramer

On envoie à monsieur Gabriel cet ouvrage qu'on croit intéressant et nécessaire . On espère que monsieur Cramer ne repentira pas de l'avoir imprimé ; il a été vu par des docteurs en Israël qui l'ont trouvé fort honnête ; il n'y aura que l'abbé de Caveyrac, et le sieur de La Bordes 1 qui pourront s'en plaindre . On vous demande la plus extrême célérité, sans préjudice de Pierre Corneille, et de l'Histoire générale . Il est inutile de dire que les notes doivent être fort ménagées comme dans le Corneille, également réparties des deux côtés au bas des pages, et que quand la note est grande, le texte est court .

On attend incessamment quinze exemplaires du second volume du czar en maroquin, et quinze en veau .

Bien des compliments .

2è janvier [février ] 1763 2. »

1 Ce La Bordes est un des juges défavorables à Calas ; voir lettre du 20 février 1763 à Debrus : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/22/on-aura-soin-d-elle-si-elle-tombe-malade.html

2 Wagnière a rectifié 1762 en 1763, mais oublié de corriger le mois .