28/01/2014
J'ai beaucoup lu, je n'ai trouvé qu'incertitude, mensonge, fanatisme...J'aime mieux planter, semer, bâtir, meubler, et surtout être libre
... Et cette liberté me permet de lire Voltaire et autres , d'éviter des engagements politiques douteux pour ne pas dire frelatés, d'écrire dans ces colonnes .
Je peux semer et planter, mais il y a belle lurette que je ne bâtis plus, même ne tire plus des plans sur la comète et me contente de meubler ... ce qui me reste de cervelle .
« A Élie BERTRAND.
Premier pasteur
de Berne 1
à Berne
Aux Délices, 9 janvier [1759].
Mon cher ami, dites-moi, je vous prie, en confidence, et au nom de l'amitié, quel est l'auteur de ce libelle inséré dans le Mercure suisse. On m'assure que c'est un bourgeois de Lausanne, et, d'un autre côté, on me certifie que c'est un prêtre de Vevay. Je suspends mon jugement, ainsi qu'il le faut quand on nous assure quelque chose. J'ai écrit au sieur Bontemps de vous faire tenir le montant de la friperie italienne 2. En vérité, je n'ai guère le temps de lire les extraits de livres inconnus. Quand on bâtit deux châteaux, et que ce n'est pas en Espagne, on ne lit guère que des mémoires d'ouvriers. Cela n'est pas extrêmement philosophique, mais c'est un amusement ; c'est le hochet de mon âge. J'ai beaucoup lu, je n'ai trouvé qu'incertitude, mensonge, fanatisme. Je suis à peu près aussi savant sur ce qui regarde notre être que je l'étais en nourrice. J'aime mieux planter, semer, bâtir, meubler, et surtout être libre. Je vous souhaite, pour 1759 et pour 1859, repos et santé. Ce sont les vœux que je fais pour M. et Mme de Freydenrik; présentez-leur, je vous en supplie, mes tendres respects.
V. »
1 Sur le manuscrit on a remplacé Lausanne par Berne .
2 Voir lettre du 7 octobre 1758 à Bertrand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/15/quoique-j-aie-l-air-de-n-avoir-rien-a-faire-5222171.html
et du 27 décembre 1758 à Bertrand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/12/les-ouvriers-font-attendre-et-le-journal-devient-un-almanach-5269275.html
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27/01/2014
Je n'ose même aller à la messe de peur que la chambre des comptes ne saisisse mon fief
... Voilà la pauvre excuse que François (Ier élu par ordre chronologique) donna à François Ier papa (mais non marié) pour justifier ses liaisons hors mariage . L'entrevue fut brève, les sourires crispés, l'absolution hors de question, la pénitence suit son cours .
"Merci à mon François préféré ! " et dixit Deus .
« A Germain-Gilles-Richard de RUFFEY 1
Aux Délices 7 janvier 1759
Ainsi donc, monsieur, vous m'envoyez des roses, et quidquid calcaveris rosa fiet.2 Avez-vous vu M. le président de Brosses 3? S'il vient dans un an à Tournay, il demandera où était le château.
Le plaisir de bâtir et de planter flatte un peu l'amour-propre, et cela est vrai ; mais le plaisir de mettre les choses dans l'ordre est bien plus grand. J'ai une telle horreur pour la difformité que j'ai rajusté deux maisons en Suisse, uniquement parce que leur irrégularité me blessait la vue 4. Les propriétaires ne sont pas fâchés de trouver un homme de mon humeur. Je ne me mêle point de réformer les mauvais livres, qui pleuvent dans Paris, mais bien les maisons où je loge.
Hoc curo et omnis in hoc sum 5.
J'ai été trop fâché de n'avoir pu avoir l'honneur de vous loger dans mon chétif ermitage des Délices, pour ne pas bâtir au plus vite quelque chose de plus digne de vous recevoir. Votre chambre des comptes n'entendra pas sitôt parler de moi. L'acquisition de la terre de Ferney m'a causé plus d'embarras que celle de Tournay; tout a été fini en un quart d'heure avec M. de Brosses; mais pour Ferney, il n'en va pas de même : monseigneur Paramont, le sérénissime comte de La Marche, me remet la moitié des droits, et son conseil exige que je spécifie ce qui dépend de lui et ce qui n'en dépend pas ; c'est une distinction très-difficile à faire et qui demande des recherches de bénédictins. Je me donne bien de garde de faire des actes de seigneur à Ferney. Je n'ai point encore signé le contrat : je n'agis jusqu'à présent qu'avec une procuration du vendeur. Je n'ose même aller à la messe de peur que la chambre des comptes ne saisisse mon fief. N'aurai-je pas même encore, s'il vous plaît, six mois après la signature pour vous donner aveu et dénombrement ? Je m'en rapporte à vous ; j'espère qu'on ne me chicanera pas ; mais, mon cher président, ce que j'ai bien plus à cœur et ce que je regarde comme la plus belle des acquisitions, c'est d'avoir quelque part dans le souvenir de Mme de Ruffey 6. S'il y a beaucoup de dames à Dijon qui lui ressemblent, c'est à Dijon qu'il faut vivre. Aussi aurais-je déjà fait le voyage si je n'avais embrassé bien fermement le parti de la retraite pour le reste de ma vie.
Vous pourrez dire de moi :
Namque sub Œbaliæ memini me turribus altis
Corycium vidisse senem, cui pauca beati
Jugera ruris erant, etc.7
Et qu'est-ce qui me retient sur les bords de mon lac ?
Libertas, quae sera tamen respexit inertem.8
Voilà trop de latin. Je vous dirai en français que toute ma famille est aux pieds de Mme de Ruffey, et que mon cœur est à vous pour jamais. »
1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilles_Germain_Richard_de_Ruffey
Cette lettre est une réponse à celle du 1er janvier de de Ruffey.
2 Et sous tes pas naitront des roses .
3 M. de Brosses ne faisait qu'arriver à Dijon, de retour de Tournay, qu'il venait de vendre à vie à Voltaire.
4 V* a tendance à exagérer un peu mais il faut reconnaître qu'il a commencé les améliorations de ses logis dès son séjour à Cirey, puis aussi notablement aux Délices , avant de s'attaquer à Tournay et Ferney .
5 Voilà ce qui m'inquiète et ce qui m'occupe tout entier .Horace, Épîtres, I,i,ii .
6 Mme de Ruffey avait accompagné son mari dans la visite qu'il fit à Voltaire en octobre 1758.
7 Et en effet je me souviens d'avoir vu, au pied des hautes tours de la cité d'Oebalos, un vieillard corycien qui avait quelques arpents d'une terre bénie . Virgile, Georgiques, IV, v, 125 et 127-128 .
8 La liberté, qui bien tard est venue me favoriser, malgré mon insouciance . Virgile, Bucoliques, I, 28 .
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26/01/2014
si j'étais plus jeune je ferais l'impossible pour me damner avec vous ou avec madame votre fille
... Petit canaillou !
« A Louise-Suzanne Gallatin
Vaudenet 1
[vers le 5 janvier 1759]
Par l'enchainement des causes secondes, madame, il arrive que de neuf chevaux de carrosse nous n'en avons aujourd'hui pas un 2. Pour Dieu, tâchez de venir dîner avec nous à deux heures . Nous raisonnerons, ma chère voisine . J'ai à cœur ce chemin autant que vous . J'ai écrit à M. de Brosses 3. Je suis prêt à donner cinq cents livres, mais il faut qu'il y consente . Je ne conçois pas qu'il puisse refuser un consentement qui ne lui coûte rien . Les difficultés et les petitesses me révoltent, je l'en croit incapable . Il faut que j'aie l'honneur de vous parler . Vous savez que je ne vais jamais dans votre ville hérétique . Je ne veux point me damner . Cependant si j'étais plus jeune je ferais l'impossible pour me damner avec vous ou avec madame votre fille . Ce m'est tout un . Mille respects .
V.
J'ai fait attendre le porteur ; j'en demande très humblement pardon, mais nous gobelottions 4 avec les amis de M. et de Mme Gallatin et nous buvions à leur santé . Je leur présente mes respects . Je mets dans ce paquet l'écrit en question . J'attends la réponse de M. De Brosses . Je me charge de tout le chemin de Prégny à Tournay ; et j'entrerai dans les dépenses du chemin de Prégny à Genève, en conséquence des sentiments magnanimes que le président ne manquera pas de me témoigner , car il est attaché à M. et à Mme Gallatin Vaudenet comme moi . Tout ce qui me fâche c'est qu'ils ne soient pas venus manger avec leurs amis, un dindon aux truffes de Ferney tendre comme un pigeonneau, et gros comme l'évêque de Genève . Quand aurons-nous l'ami Gauffecourt ? Je lui arrange un appartement .
Mille tendres respects ,
l'ermite V. »
1 Épouse d'Abraham Gallatin depuis 1932 ; voir : http://www.gen-gen.ch/GALLATIN-VAUDENET/Susanne+Louise/36144?CheckCookie=1
2 Mme Denis écrit le 3 janvier 1759 à Gabriel Cramer : « Je suis désolée, monsieur de ne point voir Mme Cramer et je ne sais par où m'y prendre pour y parvenir ; nous n'allons point à Lausanne . Mon oncle y a envoyé ce matin Jean-Louis [Wagnière] et Maton ce qui nous prend trois chevaux et les quatre autres sont à Ferney . Je vous avoue qu'il est triste d'avoir huit chevaux et d'être toujours à pied, il ne nous reste que l'étalon […]
Je serai quatre jours sans chevaux […] parce que mon oncle fait voiturer des bois de charpente . »
3 Voir lettre du 29 décembre 1758 à de Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/17/pardon-des-importunites-monsieur-vous-en-aurez-bien-d-autres-5273797.html
et celle du 3 janvier 1759 à Fabry : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/22/il-est-juste-monsieur-que-je-prenne-les-interets-des-pauvres-5278613.html
4 « Ce mot est bas et signifie boire et grenouiller dans quelque cabaret ou autre lieu . »
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25/01/2014
les opinions ont plus causé de maux sur ce petit globe, que la peste ou les tremblements de terre . Et ne voulez-vous pas qu'on attaque, à forces réunies , ces opinions ?
... Opinions de droite ou de gauche, extrêmes ou pas, divisent jusqu'à l'absurde les humains . Chaque mini -chapelle fait brûler de l'encens à la gloire du meneur le plus fort en gueule pour espérer avoir quelques miettes de son pouvoir . Les électeurs ne sont que des supporters qui chantent "on a gagné !" ou hurlent "ils ont perdu !!" selon les sorts/l'essor de leurs candidats . Est-ainsi qu'on peut améliorer notre nation et le monde ?
« A Élie Bertrand [ ?] 1
Aux Délices , 5 janvier 1759
Il n'est pas moins nécessaire mon très cher ami, de prêcher la tolérance chez vous que parmi nous . Vous ne sauriez justifier, ne vous en déplaise , les lois exclusives ou pénales des Anglais, des Danois, de la Suède, contre nous, sans autoriser nos lois contre vous . Elle sont toutes, je vous l'avoue, également absurdes, inhumaines, contraires à la bonne politique ; mais nous n'avons fait que vous imiter . Je n'ai pu, par vos lois, acheter un tombeau en Sichem 2. Si un des vôtres croit devoir préférer, pour le salut de son âme, la messe au prêche, il cesse aussitôt d'être citoyen, il perd tout, jusqu'à sa patrie . Vous ne souffririez pas qu'aucun prêtre dit sa messe à voix basse, dans une chambre close, dans aucune de vos villes . N'avez-vous pas chassé des ministres qui ne croyaient pas pouvoir signer je ne sais quelle formulaire de doctrine ? n'avez-vous pas exilé, pour un oui et un non , de pauvres memnonistes pacifiques, malgré les sages représentations des états généraux qui les ont accueillis ? n'y a-t-il pas encore un nombre de ces exilés tranquilles dans les montagnes de l'évêché de Bâle, que vous ne rappelez point ? n'a-t- on pas déposé un pasteur parce qu'il ne voulait pas que ses ouailles fussent damnées éternellement ? Vous n’êtes pas plus sages que nous, convenez-en, mon cher philosophe, et avouez en même temps que les opinions ont plus causé de maux sur ce petit globe, que la peste ou les tremblements de terre . Et ne voulez-vous pas qu'on attaque, à forces réunies , ces opinions ? N'est-ce pas faire un bien au monde que de renverser le trône de la superstition qui arma dans tous les temps les hommes furieux les uns contre les autres ? Adorer Dieu, laisser à chacun la liberté de le servir selon ses idées, aimer ses semblables, les éclairer si l'on peut, les plaindre s'ils sont dans l'erreur, ne prêter aucune importance à des questions qui n'auraient jamais causé de troubles si l'on n'y avait attaché aucune gravité : voilà ma religion qui vaut mieux que tous vos systèmes et tous vos symboles .
Je n'ai lu aucun des livres dont vous me parlez, mon cher philosophe ; je m’en tiens aux anciens ouvrages qui m'instruisent, les modernes m'apprennent peu de choses . J'avoue que Montesquieu manque souvent d'ordre, malgré ses divisions en livres et en chapitres ; que quelquefois il donne une épigramme pour une définition, et une antithèse pour une pensée nouvelle ; qu'il n'est pas toujours exact dans ses citations ; mais ce sera à jamais un génie heureux et profond, qui pense et fait penser .3 Son livre devrait être le bréviaire de ceux qui sont appelés à gouverner les autres . Il restera, et les folliculaires seront oubliés .
Quant à tous vos écrits sur l'agriculture, je crois qu'un paysan de bon sens en sait plus que vos écrivains qui du fond de leur cabinet veulent apprendre à labourer les terres . Je laboure, et n'écris pas sur le labourage . Chaque siècle a eu sa marotte . Au renouvellement des lettres, on a commencé par se disputer pour des dogmes et pour des règles de syntaxe ; au goût pour la rouille des vieilles monnaies ont succédé les recherches sur la métaphysique, que personne ne comprend . On a abandonné ces questions inintelligibles pour la machine pneumatique et pour les machines électriques, qui apprennent quelque chose : puis tout le monde a voulu amasser des coquilles et des pétrifications . Après cela on a essayé modestement d'arranger l'univers, tandis que d'autres, aussi modestes, voulaient réformer les empires par de nouvelles lois . Enfin, descendant du sceptre à la charrue, de nouveaux Triptolême veulent enseigner aux hommes ce que tout le monde sait et pratique mieux qu'ils ne disent . Telle est la succession des modes qui changent ; mais mon amitié pour vous ne changera jamais . »
1Le destinataire n'est pas indiqué sur la copie de cette lettre ; Charrot suggère Vernes, mais il serait étonnant que V* ne parle pas de son mariage trois jours après . Besterman considère qu'il s'agit presque certainement de Bertrand en raison des références à Berne, de plus il observe que le ton général de la lettre suggère une année postérieure .
2C'est dans ce tombeau que les Hébreux enterrèrent les ossements de Joseph ramenés d’Égypte ; Josué, XXIV, 32-...
3On peut comparer ce jugement sur Montesquieu avec celui qu'on a vu dans la lettre du 14 septembre 1751 au duc d'Uzès : page 703 : http://books.google.fr/books?id=vSoTAAAAQAAJ&pg=PA703&lpg=PA703&dq=voltaire+au+duc+d%27uz%C3%A8s+14+septembre+1751&source=bl&ots=jOiLNTR7Go&sig=_iel4mMWNwNAKdBNr1YTqkBp-D0&hl=fr&sa=X&ei=HULkUoLuDMrK0QXCk4FA&ved=0CC4Q6AEwAA#v=onepage&q=voltaire%20au%20duc%20d%27uz%C3%A8s%2014%20septembre%201751&f=false
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24/01/2014
Ce sont eux qui sont les dupes car ils ne savent pas jouir
... Yes !!!
« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon
5 janvier [1759], aux Délices
(j'aimerais mieux dater de Tournay)
Lynx envers nos pareils et taupes envers nous !1
Il vous sied vraiment bien monsieur, de me dire en courant que je cours, de me dire vivement que je suis vif, et d'ajouter méchamment, vous qui écrivez si bien, que je ne lis pas ce que vous écrivez 2. Je lis vos lettres avec le plus grand plaisir . Je lirai votre Sallustre à mon grand profit, si vous daignez me l'envoyer , et je le ferai même imprimer à Genève avec une préface où je vous louerai depuis les pieds jusqu'à la tête , si vous voulez être imprimé et si votre modestie ne me lie la main et la langue . Je lis et je relis votre contrat, et plus je le relis plus je vois que vous m'avez dicté la loi en vainqueur, mais j'en suis fort aise j'aime à embellir les lieux que j'habite, et je fais à la fois votre bien et mon plaisir . J'ai déjà ordonné qu'on jetât à bas la moitié du château et qu'on changeât l'autre . Les fossés seront grands et réguliers . Nous auront des ponts tournants, et vos arbres de Dodone 3 seront mieux employés à ces embellissements qu'à chauffer la ville de Genève .
Il vaudrait mieux en abattre pour 50 ou 60 louis pour des réparations excellentes que d'en couper pour cent quarante louis comme vous l'avez fait . Je me tiens meilleur père de famille que vous car je ne détruis que pour édifier ; et vous avez, ne vous déplaise, dévasté la moitié de votre forêt pour avoir de l'argent comptant . Vous avez négligé votre terre et moi je la cultive avant d'en être le maître, et vous serez un jour tout étonné d'avoir un château très beau, très peigné et des campagnes fertiles, labourées et semées à la nouvelle mode , et de belles prairies qui sont aujourd'hui couvertes de taupes et que vous verrez arrosées de petits ruisseaux .
Remerciez Dieu de m'avoir fait Suisse, Genevois et Bourguignon, de Parisien que j'étais . Nos Genevois disent que je suis une dupe . Ce sont eux qui sont les dupes car ils ne savent pas jouir et moi je jouis de tout le bien que je fais à votre maison ; comptez que je ne fais cas ici que de votre amitié .
Je vous prie de vouloir bien, monsieur, me dire positivement si mon contrat ne me donne pas le droit de nommer des officiers . Vous m'assurâtes en signant l'acte, que ce droit était incontestable et sous-entendu dans l'acte même . Mais j’aime mieux vous entendre que de sous entendre .
Je vous recommande enixe et fortiter 4 ce maroufle de curé chicaneur qui passe sa vie à plaider et à ruiner de pauvres diables . L'évêque et prince de Genève 5 (qui heureusement n'est rien de tout cela) m'a envoyé une lettre dans laquelle il lave la tête au curé . Mais vous devriez écraser cette tête dure . Il serait plaisant qu'un président et un intendant réunis ne puissent venir à bout de secourir de pauvres diables qu'un prêtre persécute . Il sont été très mal défendus . Ils n'avaient qu'à dire simplement qu'ils étaient possesseurs de bonne foi et qu'ils s'en rapportaient à la cour . Ils n'auraient point été condamnés à 1500 livres de frais pour un objet de trente livres par an . Ne pourraient -ils pas aussi , en qualité de pauvres de Ferney (pauvres de nom, pauvres d'effet et de d'esprit), présenter requête in forma pauperis ?6 1500 livres de frais ! payer le vin que le curé a bu à Dijon et à Mâcon ! cela est abominable . Au nom de Dieu ! miséricorde ! summum jus, summa injuria .7
Les peuples seront-ils encore longtemps ruinés pour aller se faire bafouer, abhorrer et égorger en Germanie , et pour enrichir Marquet et compagnie ,
Et Pâris, et fratres, et qui rapuere sub illia .8
Mille tendres respects .
V.
J'ai encore une grâce à vous demander, c'est de dire à M. de Fleury, votre ami, qu'il n'y a point d'intendant si aimable que lui dans le monde .
Autre grâce : permission de chasse dans le royaume des lièvres pour mon parent Daumart, mousquetaire du roi ; pourrait-il être lieutenant des chasses ? Le gibier serait gardé et les magnifiques seigneurs horlogers 9 ne le mangeraient pas . »
1Fable La Besace de La Fontaine .http://fr.wikisource.org/wiki/La_Besace
2Le 4 janvier 1759 De Brosses écrit , de Dijon, à Charles-Catherine Loppin, baron de Gemeaux : « J'ai passé quinze jours d'arrache-pied avec lui [Voltaire]qui m'ont absolument mis sur les dents . C'est une chose qu'on ne peut pas imaginer, et encore moins décrire, que les écarts d son imagination vagabonde et de sa conversation disparate . Il faut que les fées m'aient absolument protégé pour que j'aie pu finir une affaire avec un homme si voltigeant, qui n'a ni ordre, ni suite, ni arrêt dans ses pensées . J'aimerais autant faire des armes contre une puce . Ce n'est pas seulement un esprit qu'il a , ce sont tous les esprits ensemble qui reviennent dans son crâne et y tiennent le sabbat . »
4 De toutes mes forces.
5 L'évêque de Belley était prince-évêque in partibus infidelium de Genève ; voir lettre du 16 décembre 1758 à Deschamps de Chaumont évêque d'Annecy : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/28/des-les-premiers-temps-de-l-eglise-les-saints-peres-se-sont-5257676.html
6Voir lettre du 29 décembre 1758 à Le Bault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/18/un-cure-de-moens-notre-voisin-le-plus-grand-le-plus-dur-le-p-5275076.html
7 Voir lettre du 1er janvier 1759 à Fabry : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/21/summum-jus-summa-injuria-comble-du-droit-comble-de-l-injusti-5277653.html
8Et Pâris, et ses frères, et ceux qui ont volé sous leurs ordres ; V* joue sur le nom de Pâris = héros antique ou Paris-Duverney, banquier .
9Les Genevois .
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23/01/2014
des vaches, des contrats , des bœufs et des curés ne me permettent à présent de jouer
... Joli méli-mélo où les curés et les contrats me semblent être les principaux fauteurs de trouble , j'allais dire comme d'habitude .
Restons au calme
« A Davis-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches 1
major des gardes de Son Altesse Royale
Lausanne
4 janvier [1759]
Je vous rends frère et belle-sœur, monsieur le major batavique 2, et je voudrais pouvoir me mettre à leur suite pour venir m'enrôler tout vieux que je suis, sous vos drapeaux, dans votre belle troupe, non troupe guerrière mais troupe comique . Deux terres à arranger, un petit castel à bâtir, un autre à raccommoder, des vaches, des contrats , des bœufs et des curés ne me permettent à présent de jouer un autre rôle que celui de M. de Grimaudin dans son château de Gaillardin 3. Je regrette encore plus Lausanne que je n'aime le pays de Gex, tout beau qu'il est . Si j'ai un jour à moi je l'emploierai à venir vous claquer . Je me mets aux pieds de vos respectables et charmantes actrices . Je prie M. le marquis de Gentil 4 de ne me pas oublier absolument . Je serai éternellement votre diener 5 avec tous les sentiments que vous inspirez .
V. »
2 Terme employé par plaisanterie , d'Hermenches est au service armé de Hollande ; on ne trouve ce mot attesté que dans l'expression larme batavique, terme de verrerie . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Larme_de_verre
et : http://omnilogie.fr/O/Les_larmes_bataviques_ou_larmes_du_prince_Rupert
3 Personnage et lieu de scène d'une comédie de Dancourt : Les Vacances des procureurs . Voir : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/DANCOURT_VACANCES.xml
4Sans doute Philippe Francis Frederic de Langallerie, fils de Philippe de Gentil de Langalerie : http://pierre-marteau.com/wiki/index.php?title=Philippe_Francis_Frederic_de_Langallerie
5 Serviteur, en allemand .
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22/01/2014
Il est juste, Monsieur, que je prenne les intérêts des pauvres habitants de ferney
... S'il est des hommes de bonne volonté, Voltaire en est un des plus remarquables et ceux qui médisent de lui sont de tristes ânes .
Lettre autographe de la main de Jean-Louis Wagnière , cédée par le baron G. Girod de l'Ain (Paris) au Centre des Monuments Nationaux, se trouvant désormais au château de Voltaire à Ferney-Voltaire .
« Ferney 3è janvier 1759
De la main de Wagnière Secrétaire de Voltaire .
Adressée à Mr Fabry.
Il est juste, Monsieur, que je prenne les intérêts des pauvres
habitants de ferney, quoique je ne sois pas encor leur seigneur n’ayant
pû signer jusqu’à présent le contract avec Monsieur Du Boisy .
Monsieur l’Intendant de Bourgogne 1, Monsieur le Président de
Brosses, et quelques autres magistrats, m’ont fait l’honneur de
me mander qu’ils feraient tout ce qui dépendrait d’eux pour
adoucir la vexation qu’éprouvent ces pauvres gens ; le sieur Nicot
procureur à gex mande aux communiers de fernex que le curé de Moëns leur persécuteur, est venu le trouver pour leur dire qu’il
les poursuivrait à toute outrance, ce sont ses propres mots, et j’ai la
lettre . je vous supplie, monsieur, d’en avertir monsieur l’Intendant qui
est le père des communautés ; vous partagez ses fonctions et ses
sentiments. Il est bon de lui représenter : 1° qu’il est bien
étrange qu’un curé ait fait à des pauvres pour 1500£ de frais
pour une rente de trente livres. 2° que les communiers de ferney
à ayant plaidé sous le nom de pauvres, tels qu’ils le sont, peuvent
être en droit d’agir, in forma pauperum 2 décembre , selon les lois romaines, reconnües en Bourgogne. 3° que le curé de Moëns ayant fait le voïage de Dijon et de Mâcon, pour d’autres procès dont il s’est
chargé encore ; il n’est pas juste qu’il ait compté dans les frais
aux pauvres de ferney, tous les voïages qu’il a entrepris pour faire
d’autres malheureux.
Si vous voulez bien, Monsieur, donner ces informations à
Monsieur l’Intendant, comme je vous en supplie, faites moi
la grâce de les accompagner de la protestation de ma reconnaissance 3 et de mon attachement pour lui.
Je profite de cette occasion pour vous parler d’une
autre affaire . un genevois, nommé Mons.r Mallet, vassal de ferney, a gaté tout le grand chemin dans la longueur d’environ quatre cent toises,
au moins, en faisant bâtir sa maison, et n’a point fait
rétablir ce chemin, il est devenu de jour en jour plus
impraticable. Ne jugez vous pas qu’il doit contribuer au moins
contribuer 4 une part considérable à cette réparation nécessaire ;
le reste de cette petite route étant continuellement sous les eaux
et la communication étant souvent interrompüe , n’est il pas de
l’intérêt de mes paÿsans qu’ils travaillent à leur propre
chemin . je suis d’autant plus en droit de le demander, que
je leur fais gagner à tous depuis deux mois plus d’argent
qu’ils n’en gagnaient auparavant dans une année ? ne dois-je pas
presenter requête à Monsieur l’Intendant pour cet objet de
police ? je me chargerai, si on ordonne des corvées de donner
aux travailleurs un petit salaire.
Je vous repête, Monsieur, que je me charge de tous ces soins,
quoi que la terre de ferney ne m’appartienne pas encore ; je n’ai
qu’une promesse de vente, et une autorisation de toute la famille
de monsieur de Budé, pour faire dans cette terre tout ce que
je jugerai à propos ;
Ce que le conseil de Monseigneur le Comte de la Marche exige
de moi est cause de long retardement de la signature du
contract ; il faut que je spécifie les domaines relevant
de gex et d’autres seigneurs ; je n’ai point d’aveu et
dénombrement, fernex aïant été longtemps dans la maison de
Budé, sans qu’on ait été obligé d’en faire.
Je crois avoir déjà eu l’honneur de vous mander que plusieurs
seigneurs voisins prétendent des droits de mouvance qui ne sont
pas éclaircis ; Genève, l’abbé de Prévesin, la Dame de la Batie,5 le
seigneur de feuillasse 6, les Jésuites même, à ce qu’on dit,
prétendent des lods et ventes ; et probablement leurs
prétentions sont préjudiciables aux droits de Monseig.r le Comte
de la Marche qui sont les vôtres . j’ai lieu de croire que vous
pouvez m’aider, Monsieur, dans les recherches pénibles que je
suis obligé de faire ; vos lumières et vos bontés accelereront
la fin d’une affaire que j’ai d’autant plus à cœur qu’elle vous
regarde.
Si vos occupations vous dérobent le temps de rendre compte de
ma lettre à Monsieur l’Intendant, vous pouvez la lui
envoïer.
J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous
dois
Monsieur
Votre très humble et très obéis.t
Serviteur Voltaire »
1Jean-François Joly de Fleury : l'intendant du Pays de l’État de Bourgogne, incluant Gex . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Joly_de_Fleury
2 Voir lettre du 29 décembre 1758 à Le Bault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/18/un-cure-de-moens-notre-voisin-le-plus-grand-le-plus-dur-le-p-5275076.html
3« de ma reconnaissance » : ajout de la main de Voltaire au dessus de la ligne .
4 V* perpétue l'usage du XVIIè siècle en utilisant contribuer à la forme active .
5 Françoise Turrettini, dame de la Batie-Beauregard, veuve du baron David de Vasserot ; voir page 482 : http://books.google.fr/books?id=vXdTfsfJDrAC&pg=PA481&lpg=PA481&dq=baron+David+de+Vasserot&source=bl&ots=yjpVxmj5cc&sig=MY6_xQxcHc69ccFJs_Q2knp-mKA&hl=fr&sa=X&ei=ydPfUvTxN-ST0QWX8oDYBA&ved=0CDMQ6AEwAQ#v=onepage&q=baron%20David%20de%20Vasserot&f=false
(Rechercher « Turrettini » dans : http://w3public.ville-ge.ch/bge/volage.nsf/Attachments/ms... )
6 Hyacinthe de Pingon : page 134 : http://books.google.fr/books?id=4CXF_qbFPLIC&pg=PA134&lpg=PA134&dq=Hyacinthe+de+Pingon&source=bl&ots=Bre4fe9Dvv&sig=uMa7In5XWnmgBTnFszONj3GIwHA&hl=fr&sa=X&ei=mdXfUsS5EuWd0QXS8oCgAw&ved=0CFMQ6AEwBw#v=onepage&q=Hyacinthe%20de%20Pingon&f=false
Voir pages 473, 483, 804, 1007, : http://books.google.fr/books?id=gz9CM4MEBVcC&pg=PA804...
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