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04/06/2017

Le grand point est de préparer les esprits, d'avoir des protecteurs et de toucher tous les cœurs

... Programme lucide, voltairien, et qui sait, macronien ?

A mille lieues de Marine Le Pen et Mélenchon , Les Républicains et les opposants par métier qui manient l'invective pour seul argument .

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Et dire que la foule , et surtout les jeunes se plaisent à suivre ces nullités ! est-ce vraiment ainsi qu'on prépare les esprits ? Lamentable !

 

 

« A Philippe Debrus

14 juillet 1762 1

Lecture faite des lettres de M. Crommelin du 8è juillet, et celle de Mme Calas du 9è juillet à M. Cathala et des autres pièces, mon avis est qu'on cherche tous les moyens qui peuvent s'entraider sans pouvoir s'entrenuire . Je pense comme M. Crommelin qu'on peut tenter de présenter une requête au roi par le moyen de Mme de Pompadour . Cette tentative peut faire un bon effet et n'en peut faire un mauvais . Si elle ne réussit pas, on sera toujours bien reçu à poursuivre l'affaire en forme . Le grand point est de préparer les esprits, d'avoir des protecteurs et de toucher tous les cœurs en faveur de cette famille infortunée . La publication des lettres de la mère et du fils a produit déjà un prodigieux effet ; j'espère qu'on en fera une édition à Paris . Le libraire Duchesne s'en est chargé ; il faut envoyer chez lui une personne intelligente qui lui dise que le public désire ces pièces . M. Damilaville, premier commis des vingtièmes, quai Saint-Bernard, se charge de son côté de presser cette édition . Ces pièces ont entièrement convaincu M. de Nicolaï , premier président du grand conseil . Il l'a mandé à M. le docteur Tronchin et à moi . M. d'Auriac, premier président du grand conseil, gendre de monsieur le chancelier, agit de même . Mme Calas peut les aller remercier l'un et l'autre . Elle peut aller aussi chez M. de Saint-Florentin quand il donne ses audiences à Paris . Ce ministre est très bien disposé en sa faveur . Je souhaite qu'elle puisse lui être présentée par M. Chaban, intendant des postes . M. Chaban demeure avec M. Tronchin, rue Saint-Augustin . Il est surtout important qu’elle puisse se présenter à M. Ménard, premier commis de M. de Saint-Florentin, homme de beaucoup de mérite, qui a un très grand crédit et qui le protègera .

Elle peut aller aussi chez M. Héron, premier commis du conseil, rue Taranne ; à qui j'ai envoyé les lettres imprimées .

J'attends une réponse de M. le duc de La Vallière pour savoir s'il peut présenter notre malheureuse veuve à Mme la marquise de Pompadour . Je vais écrire avant de me coucher à M. le duc de Choiseul pour la seconde fois . Pour épargner à Mme Calas beaucoup de démarches et d'embarras, je me charge de faire une nouvelle requête où toutes les erreurs minutieuses de la première seront corrigées . M. le duc de La Vallière portera cette requête à Mme de Pompadour, pour la présenter au roi . Cette requête peut toucher Sa Majesté et je ne serais point du tout étonné que le roi se charge lui-même d'approfondir l'affaire . Cette démarche n'empêchera point que M. Mariette n'agisse individuellement et que l'on ne tâche d'obtenir de Toulouse les pièces nécessaires . Mais quel huissier osera apporter une sommation au greffier du parlement si ce parlement a défendu comme on le dit la communication des pièces du procès ?

Quoi qu'il arrive je servirai cette dame de tout mon pouvoir . Je la supplierai de vouloir bien accepter une somme de 100 écus pour continuer l'affaire dès qu'elle sera en train .

V.

N.B. – Elle ne ferait point mal d'aller voir M. Audibert , chez MM. Tourton et Baur, fameux banquiers, vers la place Vendôme . »

1 L'édition Lettres inédites dit avoir suivi l'original mais il semble certain qu'elle est faite d’après la copie ; les nombreux soulignements (en italique) de l'une et de l'autre ont été négligés ici de même qu'une mention tardive , « Mémoire de M. de Voltaire du 14 juillet 1762 » . le destinataire est sûrement Debrus ; voir lettre du 31 juillet 1762 à Cathala ( donnée aussi comme à Debrus ) .

 

il n'y a pas ici de milieu entre la réparation éclatante qu'on leur doit s'ils sont innocents, et l’effroyable justice qu'on doit faire d'eux tous s'ils sont coupables

... Dédicace - un peu emphatique il est vrai -- à tous les mis en examen politiques de tous bords d'aujourd'hui et de demain !

 

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« A Henri Cathala

[vers le 13 juillet 1762] 1

L'affaire concernant les Calas devenant de jour en jour plus intéressante, par l'attention qu'on y fait dans une grande partie de l'Europe, et la révision du procès paraissant essuyer quelques difficultés, ne serrait-il pas à propos que la mère signât la requête ci-jointe, sans en parler au sieur Gobert Lavaysse ? Ce jeune homme a ordre de son père de ne se point mêler de cette affaire , quoiqu'il y soit un témoin nécessaire ; et qu'ayant été lui-même accusé, il soit intéressé à détruire les soupçons qu'on jette encore sur lui dans tout le Languedoc .

Lavaysse le père regardé comme le premier avocat de Toulouse, et vivant du produit de sa professions, craint de choquer le parlement, et d'être ruiné, s'il se joint à la famille des Calas pour demander justice .

Mais comme les juges ont répandu dans le public que ce n'est qu'en considération de Lavaysse le père qu'on n'a pas fait mourir toute la famille des Calas, comme on est persuadé dans le Languedoc que Lavaysse le fils devrait être roué avec toute la famille, comme on affecte de dire encore que ce jeune Lavaysse avait été choisi dans une assemblée de protestants pour être le bourreau du parti, il paraît que la veuve Calas ne peut se dispenser de nommer au roi le jeune Lavaysse comme un sujet dont il faut s'assurer pour pénétrer dans la vérité d'une affaire qui intéresse l’État, la religion, et l'honneur de la France . Une telle situation n’admet aucuns ménagements . Il faut que la veuve Calas s'expose, elle, son fils Pierre, et Lavaysse aux extrémités les plus terribles, parce qu'il n'y a pas ici de milieu entre la réparation éclatante qu'on leur doit s'ils sont innocents, et l’effroyable justice qu'on doit faire d'eux tous s'ils sont coupables .

Mais étant persuadé que leur innocence est aussi claire que le jour, je ne balance pas à proposer le modèle de requête ci-joint . Mon avis est qu'on l'envoie par la poste à monsieur le chancelier et à tous les ministres, signée de la main de la veuve Calas, et qu'elle indique la demeure du jeune Lavaysse qui est caché à Paris, sans lui dire qu'elle a présenté cette requête . »

1 D'après une copie par Wagnière qui l'a intitulée « Mémoire ».

 

03/06/2017

des hommes ont pu nous tromper ; et les fripons répondent toujours que Dieu a parlé par la bouche de ces hommes ; et les sots croiront les fripons

... C'est exactement ce qui se passe aux USA menés par un Donald Trump, président qui a prêté serment sur la bible, recueil prétendu de la parole de Dieu à son troupeau, rapportée par des cerveaux dérangés et des hommes avides de pouvoir . "Fripons" dit Voltaire, et moi je dis plus crûment "salopards" !

Faire peur, d'abord faire peur, et puis montrer un peu la carotte d'une vie éternelle dans un paradis de benêts , voilà le point commun de toutes les religions : lamentable, si on se laisse avoir par ces momeries . Passons !   

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Tout ça m'ébouriffe !

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

Aux Délices 12 juillet [1762]

Le nom de Zoïle me pique mon cher philosophe 1. Il est très injuste . Je vais au-delà des bornes quand je loue Corneille, et en deçà quand je le critique . Je crois d'ailleurs faire un ouvrage très utile, et que le comparaison des pièces de Shakespear et de Calderon avec Corneille 2 sur des sujets à peu près semblables est un grand éloge de Pierre et un service à la littérature . Je ne me relâcherai en rien , parce que je suis sûr que j'ai raison . J'en suis sûr parce que j'ai cinquante ans d'expérience, parce que je me connais au théâtre, parce que je consulte toujours des gens qui s'y connaissent, et qui sont entièrement de mon avis . Est-ce à vous à vouloir des ménagements et à conseiller la faiblesse ? Que m'importe que le préjugé crie, quand j'ai pour moi la raison ? Je ne songe qu'au vrai et à l'utile . La Bérénice de Corneille est détestable . Je fais imprimer à côté celle de Racine avec des remarques 3.

Attila est au-dessous des pièces de Danchet . Je m'en tiens au hola de Boileau 4. Je le loue de l'avoir dit et je ne l'approuve pas de l'avoir imprimé parce que cela n'en valait pas la peine . Mon cher philosophe prenez le parti de la vérité, et point de faiblesse humaine .

Sans doute il faut se réjouir que Jean-Jacques ait osé dire ce que tous les honnêtes gens pensent et ce qu'ils devraient dire tous les jours . Mais ce misérable n'en est que plus coupable d'avoir insulté ses amis et ses bienfaiteurs . Sa conduite fait honte à la philosophie 5. Ce petit monstre n'écrivit contre vous et contre les spectacles que pour plaire aux prédicants de Genève : et voilà ces prédicants qui obtiennent qu'on brûle son livre et qu'on décrète l'auteur de prise de corps . Vous m’avouerez que le magot s'est conduit comme un fou . Pour une trentaine de pages qui se trouvent dans un livre inlisible qui sera oublié dans un mois, je ne vois pas qu'il ait fait grand bien . Il s'est borné à dire que des hommes ont pu nous tromper ; et les fripons répondent toujours que Dieu a parlé par la bouche de ces hommes ; et les sots croiront les fripons . Il me paraît que le Testament de Jean Meslier fait un plus grand effet . Tous ceux qui le lisent, demeurent convaincus . Cet homme discute et prouve . Il parle au moment de la mort, au moment où les menteurs disent vrai . Voilà le plus fort de tous les arguments . Jean Meslier doit convertir la terre . Pourquoi son évangile est-il en si peu de mains ? Que vous êtes tièdes à Paris ! Vous laissez la lumière sous le boisseau 6.

Je ne veux point croire que Palissot ait vingt mille livres de rente, mais il en a certainement trop . De pareils exemples découragent . Il m'a envoyé sa comédie . Elle est curieuse par la préface et par les notes .

Je suis actuellement occupé d'une tragédie plus importante, d'un pendu, d'un roué , d'une famille ruinée et dispersée, le tout pour la sainte religion . Vous êtes sans doute instruit de l’horrible aventure des Calas à Toulouse . Je vous conjure de crier et faire crier . Voyez-vous Mme du Deffand , et Mme de Luxembourg ? pouvez-vous les animer ? Adieu mon grand philosophe, écrasez l’infâme . »

1 On ne connait pas la lettre de d'Alembert .

2 avec Corneille est ajouté par V* au-dessus de la ligne .

3 Ce projet fut rempli .

4 Allusion à la fameuse épigramme de Boileau :

Après l'Agésilas,

Hélas !

Mais , après Attila,

Hola !

Certains critiques ont pourtant prétendu que hola ! signifiait « bravo » comme dans l'expression faire le hola . Effectivement, la tragédie d'Attila est très supérieure à celle d'Agésilas .

5 Ce n'était pas , encore une fois, l'avis de tous les Genevois ; ainsi , le lendemain de cette lettre, Tissot écrivait à Zimmermann que l'on aura « contre les lois de l’État, toléré, caressé, courtisé, encensé un homme [Voltaire] dont les ouvrages sont moins intéressants et plus dangereux » et rejeté « un sage dont la présence pourrait diminuer le mal ».

6 Évangile selon Matthieu, V, 15 ; et selon Marc , IV, 21 ; et Luc , XI, 33 .

 

02/06/2017

Sauve qui peut est la devise des pauvres diables comme moi ... proh pudor ! [oh honte !]

... Mister Trump, je parie mon dernier string léopard contre vos oeuvres complètes , que le prétendu respect de votre promesse électorale est uniquement dicté par le rendement des affaires du Trump-Picsou  qui souffriraient d'avoir à payer pour la lutte contre la pollution .

La "grandeur des USA" invoquée ! slogan usé, pour pauvre d'esprit qui se pavane, geai paré des plumes du paon, grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf : plafff !!

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Les pôles d'intérêt de Trump sont les mêmes que ceux de Mario : bad trip for us !

 https://www.quizz.biz/quizz-343112.html

 

 

 

« A Louis-René Caradeuc de La Chalotais

Aux Délices, le 11 juillet [1762]

Monsieur, je suis presque aveugle, et cependant j’écris ; mais c’est que les passions donnent de la force, et les sentiments que vos bontés m’inspirent sont une passion. Vous confondez les jésuites, et vous instruisez les historiens. Le mémoire que vous avez daigné m’envoyer 1 est très plausible . Si vous étiez procureur-général de quelque parlement de mon voisinage, je volerais pour venir vous remercier, quoique je ne sorte plus de ma chaumière ; je viendrais vous prier de guérir les scrupules qui me restent. Si la chose était comme vous le dites, le parlement de Paris, capitale de l’ancienne France, aurait été l’assemblée des états généraux. Pourquoi, dans les états du quatorzième siècle, les parlements n’y eurent-ils pas de séance ? pourquoi le banc du roi en Angleterre est-il différent des états nommés parlement ? pourquoi le gouvernement anglais, ayant en tout imité nos usages 2 et les ayant conservés, a-t-il encore ses états généraux, qui sont abolis en France ? pourquoi le procureur général du roi d’Angleterre conclut-il à ce banc royal, et non au parlement de la nation ? Ce qu’on appelle le grand banc en France est encore le grand banc à Londres . La formule ancienne de vos sessions s’y est conservée . Le procureur général n’agit qu’à ce banc. Ce qu’on appelle parlement en France est donc le banc du roi ; ainsi que ce qu’on nomme parlement en Angleterre représente nos états généraux.

Pourquoi le gouvernement goth, tudesque et vandale ayant été partout le même, serions-nous les seuls chez qui une cour suprême de justice aurait été substituée aux représentants des chefs de la nation ? Les audiences d’Espagne ne sont point las cortes, et n’y ont aucun rapport . La chambre impériale de Wetzlar 3, quoique toujours présidée par un prince, n’a aucune analogie avec la diète de l’Empire.

Aucune cour supérieure ne représente la nation dans aucun pays de l’Europe. Comment la France seule aurait-elle établi ce droit public ? et si elle l’avait établi, comment ne serait-il pas authentique ? Si chaque parlement tient lieu des états généraux pendant la vacance de ces états, il est clair qu’il est à leur place . Que devient donc alors le conseil du roi ?

Vous sentez bien que cela est embarrassant. Mettez la main sur la conscience. Au reste, je suis sans intérêt, ne descendant, que je sache, d’aucun Franc qui ait ravagé les Gaules avec Ildovic nommé Clovis, ni d’aucun seigneur qui ait trahi Louis V et Charles de Lorraine , n’étant d’aucun corps, n’étant ni tonsuré ni maître ès arts , ayant un pied en France et l’autre en Suisse, et les deux sur le bord de la fosse. Je suis assez de l’avis d’un Anglais qui disait que toutes les origines, tous les droits, tous les établissements, ressemblent au plum-pudding : le premier n’y mit que de la farine, un second y ajouta des œufs, un troisième du sucre, un quatrième des raisins ; et ainsi se forma le plum-pudding.

Voyez ce qu’étaient Lin et Clet, supposé qu’il y ait eu des Clet et des Lin 4 ; reconnaîtraient-ils aujourd’hui leurs successeurs ? Le fils de Marie même reconnaîtrait-il sa religion ? Tout dans l’univers est fait de pièces et de morceaux. La société humaine me paraît ressembler à un grand naufrage . Sauve qui peut  est la devise des pauvres diables comme moi. Pour vous, monsieur, qui avez une belle place dans le vaisseau, c’est tout autre chose. Vous avez jeté Loyola à la mer, et votre vaisseau n’en va que mieux. Il y a une chose dont on doit s’apercevoir à Paris, supposé qu’on réfléchisse : c’est que la vraie éloquence n’est plus qu’en province. Les comptes rendus en Bretagne et en Provence 5 sont des chefs-d’œuvre ; Paris n’a rien à leur opposer, il s’en faut beaucoup.

Cependant il y a toujours une douzaine de jésuites à la cour . Ils triomphent à Strasbourg, à Nancy . Le pape donne en Bretagne, chez vous, oui, chez vous, des bénéfices quatre mois de l’année . Vos évêques, proh pudor !6 s’intitulent évêques par la grâce du Saint-Siège, etc., etc., etc., etc.,etc.

Monsieur, vous me remplissez de respect et d’espérance.

Voltaire. »

1 Mémoire touchant l'origine et l'autorité du parlement de France appelé judicium Francorum, 1762 ; voir : http://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1965_num_72_2_2265

3 Wetzlar devint une cité libre d'Empire au XIIè siècle, la chambre impériale survécut jusqu'en 1806, date où l'Empire fut dissous .

4 Lin est le successeur de Pierre ; voir lettre du 26 octobre 1762 à Bernis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/10/20/tenez-monseigneur-lisez-et-labourez-mais-les-cardinaux-ne-so-5863533.html . Clet , ou plutôt Anacletus II est un antipape du XIIè siècle parfaitement historique .

5 Ce sont des ouvrages de La Chalotais et Ripert de Monclar : Réquisitoire à M. le procureur général du parlement de Bretagne . Du 7 décembre 1761 ; Second compte rendu sur l'appel comme d'abus, des constitutions des jésuites, Par M. […] de La Chalotais, procureur général du roi au parlement de Bretagne, les 21, 22 et 24 mai 1762 .

6Oh honte !

 

Il est faux que j'aie jamais rien écrit contre la religion chrétienne ; j'ai toujours recommandé la religion et la tolérance

... Enfin... presque !

 

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http://meteopolitique.com/Fiches/Religion-Spiritualite-La...

 

 

« A Charles Pictet

[vers le 10 juillet 1762]

Je supplie monsieur le colonel Pictet de vouloir bien se faire mieux informer 1. Je ne suis point venu chercher un asile dans la république de Genève . Je n'y ai pris une maison de campagne que pour ma santé . Tout le monde sait que j'allais aux eaux d'Aix ; que M. le professeur Tronchin me les déconseilla et entreprit ma guérison . Je ne suis venu ici que comme cent autres étrangers que la réputation et la science de M. Tronchin y attirent .

J'ai acquis des terres dans le pays de Gex, parce que j'ai du bien dans les provinces voisines . Je pouvais suivre mon goût pour l’agriculture et pour la retraite dans d'autres terres en France, puisque le roi m'a toujours conservé ma charge de gentilhomme ordinaire de la chambre et m'a gratifié d'une pension depuis que je suis ici .

Il ne tenait qu’à moi de revenir auprès du roi de Prusse qui m'a fait l'honneur de m'écrire plusieurs fois, mais je ne l'ai pas voulu, et je ne l'ai pas dû .

J'ai toujours vécu dans la retraite ; et je n'ai couché que deux fois à Genève depuis huit années .

Je n'ai vu qu'une seule fois en ma vie le sieur Jean-Jacques Rousseau à Paris il y a vingt cinq ans 2.

Je suis si éloigné d'être son ennemi que je lui ai fait offrir, il y a quelques années, une de mes maisons pour rétablir sa santé .

Je n'ai point lu ses deux derniers livres ; j'en ai parcouru un à la hâte, ayant des occupations plus pressées, qui demandent tout mon temps .

Il est impossible qu'on ait pu prendre dans mon château de Ferney la résolution de condamner le sieur Rousseau , puisque j'habite depuis trois mois aux Délices où j'ai été malade à la mort .

J'ai été assez heureux pour rendre quelques services à des citoyens de Genève auprès du ministère de France . Voilà toute ma faction .

Je respecte tellement le conseil de Genève, que je n'ai parlé à aucun de ses membres ni du sieur Rousseau, ni de ses livres, cela ne convient pas à un étranger ; je ne m'informe jamais de ce qui se passe à Genève .

Il est faux que j'aie jamais rien écrit contre la religion chrétienne ; j'ai toujours recommandé la religion et la tolérance . Je suis très persuadé qu'un aussi honnête homme que monsieur Pictet, à la famille duquel je suis très attaché, sera fâché de m'avoir rendu si peu de justice .

Je l'assure de mes respectueux sentiments . »

1 Pictet avait écrit à Duvillars le 22 juin 1762 une lettre où il blâmait sévèrement la décision prise par le conseil de Genève à l'égard de Rousseau . Le texte en est conservé aux Archives de Genève, où est aussi enregistré l'ordre de destruction de cette lettre en présence de Pictet .

«  […] Je crois voir dans trois causes la source de cette sentence infamante ; l'une est l’engouement où l'on est de M. de Voltaire , la seconde qu'on aura cru faire sa cour à celle de Versailles, et on aura voulu en troisième lieu réparer par une démarche éclatante le mal que M. d'Alembert peut nous avoir fait par l'article « Genève » du Dictionnaire encyclopédique .

Le premier motif ne peut se justifier par aucun endroit , il n'est jamais permis de flétrir la réputation d'un auteur pour augmenter celle de son adversaire, et encore moins à un tribunal d'entrer dans des vues aussi odieuses ; en vérité, si cette sentence est émanée de Ferney, les moyens que les adhérents de M. de Voltaire emploient pour étayer sa réputation me paraissent bien plus propres à la détruire qu'à y contribuer ; je comprends qu'il faut que cette faction ait prévalu dans le conseil, car comment ne se serait-il pas aperçu de ce qu'il y a d'inconséquent dans sa sentence !

Ce tribunal flétrit par un jugement infâme un citoyen de la république qui a toujours jusqu'à présent bien mérité d'elle par ses démarches et par ses écrits ; on le condamne sur des matières sur lesquelles une explication plus ample eût peut-être ôté toute équivoque, pendant que le même tribunal permet qu'on imprime avec l'approbation publique les ouvrages d'un homme qui insulte à Genève et à la religion qu'on y professe, qui infecte tout ce qui l'environne du poison de ses sentiments erronés , et qui a fait à Genève plus de déistes que Calvin n'y a fait de protestants ; et en faveur de qui le conseil fait-il cette distinction ? en faveur d'un étranger, auquel on a accordé une retraite dans un temps où toute l'Europe la lui refusait ; j'avoue que cette sentence nous couvre de confusion, si l'esprit de parti l'a dictée , et qu'en ce cas elle fait plus de tort à Voltaire et à ses partisans qu'à Rousseau contre lequel elle a été exécutée […] »

Pour sa part, rendant compte des faits à Choiseul , le 12 juillet 1762, le baron de Montpéroux parle de la lettre en question, répandue dans la ville où l'on fait « la censure la plus vive de quelques ouvrages de [Voltaire] ». Il mentionne deux réponses dont l'une dont «  on soupçonne un citoyen attaché à M. de Voltaire d'être l'auteur ». Sur quoi « plusieurs personnes travaillent, pour venger Rousseau, à rassembler tout ce qui leur paraît attaquer la religion dans les ouvrages de M. de Voltaire, et veulent déférer ces extraits au Conseil en demandant qu'ils soient condamnés et flétris ». Montpéroux ajoute «  que l'on est occupé à empêcher les ennemis de cet auteur de faire cette démarche qui embarrasserait beaucoup le magistrat et le forcerait peut-être à sévir contre un étranger, après avoir condamné un citoyen » .

2 Ceci est probablement vrai .

 

01/06/2017

Travaillons à force, et moquons nous du reste

... Beau programme . Qui va l'appliquer, quitte à déplaire aux politiciens sclérosés ?

Il semblerait bien que notre nouveau président y tienne réellement . Tant mieux .

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« A Gabriel Cramer

[vers le 10 juillet 1762] 1

Mon cher Gabriel, c'est moi qui vous conjure d'être sage . Votre lettre 2 est d'une violence extrême . Quand on a écrit de telles lettres il faut se couper la gorge avec celui auquel on a écrit . Je sais quand il faut réprimer le zèle . Supprimez votre lettre je vous en conjure . Ce n'est pas vous qui êtes outragé, c'est moi . C'est à moi à répondre . L'honneur et la vérité m'y forcent . J'aimerais mieux perdre les Délices que de souffrir qu'on dise qu'on m'a donné un asile, et que l'Europe m’en refusait .

Je défie d'ailleurs qu'on trouve dans les écrits que vous avez imprimés de moi une ligne contre la religion et il y en a cent en sa faveur . En un mot il est d'une nécessité absolue que les honnêtes gens voient la lettre ci-jointe que j'envoie au colonel Pictet et à monsieur le premier syndic .

Vous avez eu hier Le Menteur . Travaillons à force, et moquons nous du reste .

Il est nécessaire que je voie mon cher Gabriel . »

1 Manuscrit olographe daté par l'éditeur de « juin 1762 » ; l'édition Gaston Maugras, Querlles de philosophes : Voltaire et J.-J. Rousseau, 1886, inexacte et incomplètes place cette lettre en août . Crowley suggère juillet 1762 ; voir lettre du 10 juillet 1762 à Charles Pictet .