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12/01/2018

Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci, et où n’y en a-t-il point ?

...

 

« A Bernard-Louis Chauvelin

Ferney 14è février 1763

Je deviens à peu près aveugle, monsieur, un petit garçon qui passe pour être plus aveugle que moi, et qui vous a servi comme s’il était clairvoyant, s’est un peu mêlé des affaires de Ferney. Ce fut hier que le mariage fut consommé . Je comptais avoir l’honneur d’en écrire à Votre Excellence. Deux époux qui s’aiment sont les vassaux naturels de madame l’ambassadrice et de vous. Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci, et où n’y en a-t-il point ?

J’arrive au pied des Alpes, je m’y établis . Dieu m’envoie mademoiselle Corneille, je la marie à un jeune gentilhomme qui se trouve tout juste mon plus proche voisin ; je me fais deux enfants que la nature ne m’avait point donnés ; ma famille, loin d’en murmurer, en est charmée ; tout cela tient un peu du roman.

Pour rendre le roman plus plaisant, c’est un jésuite qui a marié mes deux petits. Joignez à tout cela la naïveté de mademoiselle Corneille, à présent madame Dupuits, naïveté aussi singulière que l’était la sublimité de son grand-père.

Je jouis d’un autre plaisir, c’est celui du succès de l’affaire des Calas . Elle a déjà été rapportée au conseil de la manière la plus favorable, c’est-à-dire la plus juste. Ceci est bien une autre preuve de la destinée ; la veuve Calas était mourante auprès de Toulouse ; elle était bien loin de venir demander justice à Paris, elle disait : Si le fanatisme a roué mon mari dans la province, on me brûlera dans la capitale . Son fils vient me trouver au milieu de mes neiges. Quel rapport, je vous prie, d’un roué de Toulouse à ma retraite ? Enfin nous venons à bout de forcer cette femme infortunée à faire le voyage, et, malgré tous les obstacles imaginables, nous sommes sur le point de réussir : et contre qui ! contre un parlement entier ; et dans quel temps ! Repassez, je vous prie, dans votre esprit, tout ce que vous avez fait et tout ce que vous avez vu ; examinez si ce qui n’était pas vraisemblable n’est pas toujours précisément ce qui est arrivé, et jugez s’il ne faut pas croire au destin, comme les Turcs. Qui aurait dit, il y a cinq ans, que le roi de Prusse résisterait aux trois quarts de l’Europe, et que vous seriez trop heureux de céder le Canada aux Anglais ?

Vous n’aurez rien de moi, monsieur, pour le mois de février ; mais, à la fin de mars, je vous demanderai votre attention sur quelque chose de fort sérieux.

Je me mets aux pieds de vos deux très aimables Excellences ; madame Denis et mes deux petits (1), qui demeurent toujours avec moi, joignent leurs sentiments aux miens, et notre petit château espère toujours avoir l’honneur de vous héberger quand vous prendrez le chemin de la France.

V... l’aveugle. »

11/01/2018

le bel art de la déclamation, c’est-à-dire dans l’art de se rendre maître des cœurs

... et souvent des esprits !

Nombreux  sont  les embrigadés à l'écoute  de discours charmeurs ou flamboyants, irrationnels ou non, moutons de Panurge tout juste bons à tondre , religieux et politiques confondus .

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Yo ! Comment se faire pigeonner !

 

 

«  Au marquis Francesco Albergati Capacelli, Senatore

à Bologna

A Ferney 14è février 1763 1

Que vous êtes heureux, monsieur, et que je suis malheureux ! Vous et vos amis vous faites de beaux vers ; vous avez votre beau théâtre parmi de jeunes seigneurs et de jeunes dames qui se perfectionnent dans le bel art de la déclamation, c’est-à-dire dans l’art de se rendre maître des cœurs. Pour moi, je deviens sourd et aveugle de plus en plus. La ville de Genève ne me fournit presque plus d’acteurs ni d’actrices ; j’avais fait venir Lekain, qui est le meilleur comédien de Paris ; mais il a fallu bientôt le rendre à la capitale : en un mot, je crois que je ferai bientôt une grange de mon théâtre, et que j’y mettrai des gerbes de blé au lieu de lauriers.

J’avais un peu de honte de me donner du plaisir à l’âge de soixante et dix ans, mais j’ai été un peu rassuré par un vieux fou qui en a soixante et dix huit, et qui joue la comédie, étant paralytique . Il s’appelle Mauricius , c'est ne vous déplaise, un Hollandais, député des États généraux de Hambourg ; il m’a mandé qu’il jouait Lusignan dans Zaïre avec beaucoup de succès ; qu’il se faisait porter sur un brancard, et qu’en un mot on n’avait pas besoin de jambes pour jouer la comédie ; il a raison, mais on a besoin d’yeux et d’oreilles.

Je crois qu’on aura incessamment à Paris une pièce du peintre de la nature, notre cher Goldoni. Je souhaite que tous les Français soient en état de sentir tout son mérite. Vous recevrez immanquablement de moi un petit hommage avant le printemps .

Un homme qui entend parfaitement l’italien 2 me mande qu’il est extrêmement content de la pièce dont notre cher Goldoni a honoré notre théâtre.

Ah ! monsieur, si je n’avais pas bientôt soixante et dix ans, je serais bientôt à Bologna la grassa.

La riverisco di cuore 3

V.»

 

 

 

1 Le manuscrit original porte la mention « f[ran]co Milano » ; Albergati avait écrit le 9 janvier 1763 . Suite à la copie Beaumarchais-Kehl, les éditions ont des parties manquantes ou modifiées , voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-7.html

2 Voir lettre du 9 janvier 1763 à Cideville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/11/22/v... ; la pièce étant jouée en italien .

3 Bologne l'opulente . Je vous révère de tout mon cœur .

je demande pour elle et pour moi la plus grande diligence

... pourrait dire le modeste Donald Trump lors de ses déplacements en couple au Far West !

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L'un des deux est nocif pour la planète !

 

 

« A Joseph-Marie Balleidier, Procureur

à Gex

Je prie monsieur Balleidier de me mander ce qu'il a fait, ou ce qu'il fera, touchant le chemin de Prégny à Genève qui devient impraticable .

Je le prie aussi très instamment de chercher dans les minutes qui sont entre les mains de M. Perronet, tous les papiers qui concernent Ferney, et d'engager M. Perronet à me les confier . Je lui serai très obligé .

Mme Burdet insiste fort sur la subhastation 1; je demande pour elle et pour moi la plus grande diligence .

Voltaire

A Ferney 14è février 1763.2 »

2 D'après l'original signé, avec pour la date 13 corrigé en 14.

être heureux par la possession de sa femme

... et non pas celle d'un autre !

Même si le terme "possession", à sens unique, choque certaines âmes féministes, le mariage (sacré ? ) et son contrat sont bien là pour l'entériner, bon gré mal gré, depuis des siècles, toutes croyances religieuses confondues . Pour tous les réfractaires au mariage, la "possession" est parfaitement réciproque et librement consentie , vers infini et au-delà , sauf accident .

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"... le marié, rentré en possession de sa femme, ..." selon les termes consacrés

 

 

« A Jean-Baptiste-François de La Michodière 1

A Ferney , le 13 février 1763

Si j'avais des yeux, monsieur, j'aurais l'honneur de vous remercier de ma main, de la lettre dont vous avez bien voulu m'honorer . Recevez mes très humbles compliments pour vous et M. Thiroux de Crosne sur le mariage de madame votre fille 2. Celui de Mlle Corneille n'est pas si brillant ; je l'ai donnée à un jeune gentilhomme nommé Dupuits dont les terres sont voisines des miennes . Il n'est guère que cornette de dragons, mais il a un avantage commun avec M. de Crosne, celui d'être heureux par la possession de sa femme .

L'affaire que M. de Crosne rapporte est un peu éloignée des agréments dont il jouit ; elle est bien funeste, et je n'en connais guère de plus honteuse pour l'esprit humain . J'ai pris la liberté d'écrire à M. de Crosne sur cette affaire 3. Je dois me regarder en quelque façon comme un témoin ; il y a plusieurs mois que Pierre Calas, accusé d'avoir aidé son père et sa mère dans un parricide, est dans mon voisinage avec un autre de ses frères . J'ai balancé longtemps sur l'innocence de cette famille ; je ne pouvais croire que les juges eussent fait périr, par un supplice affreux, un père de famille innocent . Il n'y a rien que je n'aie fait pour m'éclaircir de la vérité . J'ai envoyé plusieurs personnes auprès des Calas, pour m'instruire de leurs mœurs et de leur conduite . Je les ai interrogés moi-même très souvent . J'ose être sûr de l'innocence de cette famille comme de mon existence . Ainsi j'espère que M. de Crosne aura reçu avec bonté la lettre que j'ai eu l'honneur de lui écrire . Ce n'est point une sollicitation que j'ai prétendu faire, ce n'est qu'un hommage que j'ai cru devoir à la vérité . Il me semble que les sollicitations ne doivent avoir lieu dans aucun procès, encor moins dans une affaire qui intéresse le genre humain . C'est pourquoi, monsieur, je n'ose même vous supplier d'accorder vos bons offices . On ne doit implorer que l'équité et les lumières de M . de Crosne . Vous avez lu les factums, et je regarde l'affaire comme déjà décidée dans votre cœur et dans celui de monsieur votre gendre .

J'ai l'honneur d'être avec bien du respect etc. »

2 Sa fille aînée Anne-Adélaïde-Angélique de la Michodière (1745- 1812 ) épouse le 24 janvier 1763 ,à Paris, Louis Thiroux de Crosne conseiller au parlement de Paris .

10/01/2018

Il est assez plaisant qu'on puisse imprimer la calomnie, et qu'on ne puisse pas imprimer la justification

... Affirmation du XVIIIè siècle, à actualiser aujourd'hui, ou non ?

 

« A Etienne-Noël Damilaville

13 février [1763]

Mon cher frère, si vous n'avez pas des Éclaircissements historiques, en voici . Il est assez plaisant qu'on puisse imprimer la calomnie, et qu'on ne puisse pas imprimer la justification i. Je joins à ces deux exemplaires la véritable feuille de l'Essai sur les Mœurs ii de laquelle assurément Messieurs doivent être contents, à moins qu'ils ne soient extrêmement difficiles . Comme il n'y a rien dans cette feuille qui ne se trouve dans le procès de Damiens que le parlement lui-même a fait imprimer, je ne vois pas que Messieurs aient le moindre prétexte de me traiter comme les jésuites ; d'ailleurs, j'aime la vérité, et je ne crains point Messieurs. Je suis à l'abri de leur greffier . Au reste, il me semble qu'il y a , à la page 325, une chose bien flatteuse pour un de ces Messieurs iii.

Quant à la roture de Messieurs, il faudrait être aussi ignorant qu'un jeune conseiller au parlement pour ne pas savoir que jamais de simples conseillers ne furent nobles . Voyez le chapitre de la noblesse . C'est bien pis. Les chanceliers n'étaient pas nobles par leur charge ; ils avaient besoin de lettres d'anoblissement . Quand on écrit l'histoire il faut dire la vérité et ne point craindre ceux qui se croient intéressés à l'opprimer.

Le traité sur l'éducation iv me parait un très bon ouvrage, et pour tout dire, digne de l'honneur que frère Platon-Diderot lui a fait d'en être l'éditeur.

Si frère Thieriot ne sait pas l'air de Béchamel, je vais vous l'envoyer noté, car il faut avoir le plaisir de chanter : Vive le roi et Simon Lefranc !v

Avez-vous entendu parler de la pièce dont M. Goldoni a régalé le Théâtre-Italien vi? a-t-elle du succès ? joue-t-on encore le vieux Dupuis et M. Desronais vii? J'avais prié mon cher frère de m'envoyer ce Dupuis ; j'attendais le discours de mon confrère l'évêque de Montrouge viii, il m'avait écrit qu'il me l'envoyait, mais point de nouvelles . Monsieur l'évêque est occupé auprès de quelques filles de l'Opéra-Comique . Mais c'est à frère Thieriot que j'en veux : il est bien cruel qu'il n'ait pas encore cherché les Dialogues de Grégoire-le-Grand . Je les avais autrefois . C'est un livre admirable en son espèce : la bêtise ne peut aller plus loin.

J'embrasse tendrement mon cher frère, et je le prie de faire passer cette lettre à Pindare-Le Brun dont je suis censé ignorer les sottises ix.

Je reçois Tout le monde a tort x. Ce Tout le monde a tort ne serait-il point de Mme Belot ? Il me parait qu'une ironie de soixante pages en faveur des jésuites pourrait être dégoutante . »

i « petite addition » à l'Histoire générale : Éclaircissements historiques à l'occasion d'un libelle calomnieux sur l'Essai de l'histoire générale, qui répond aux Erreurs de M. de Voltaire, de Nonnotte . Damilaville a également écrit une réponse que V* joignit à la sienne sous le titre de Additions aux susdits éclaircissements .

http://www.archive.org/details/erreursdevoltair01nonn

http://www.voltaire-integral.com/Html/24/64_Eclaircisseme...

Cf. lettres à d'Alembert du 28 novembre 1762, à Damilaville du 9 septembre et du 13 décembre 1762 :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/27/a...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/08/c...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/12/13/l...

La « calomnie » désigne les écrits de Nonnotte . Les Éclaircissements sont signalés à Malesherbes comme imprimés du 29 janvier 1763.

ii A ce propos, voir lettre à Mme d'Argental du 9 février : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/09/j...

iii Dans le chapitre sur l'attentat de Damiens «  ... l'un (des membres du parlement exilé) ... célèbre pour son patriotisme et pour son éloquence, fonda une messe à perpétuité pour remercier Dieu d'avoir conservé la vie du roi qui l'exilait », avec cette note de V* : « L'abbé de Chauvelin »

iv De l'Éducation publique, 1762 . Thieriot disait qu'on ne connaissait pas l'auteur de cet ouvrage édité par Diderot ; on a cité Jean-Baptiste-Louis Crevier ou même Diderot lui-même. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste-Louis_Crevier

http://books.google.be/books?id=d-wNAAAAYAAJ&printsec...

v C'est l'Hymne chanté au village de Pompignan ; http://books.google.be/books?id=2sJCAAAAYAAJ&pg=PA140...

cf. lettre à Mme d'Argental du 9 février .

vi L'Amour paternel ou La Suivante reconnaissante, représentée le 4 février au Théâtre Italien . http://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Goldoni

vii Dupuis et Desronais, comédie de Charles Collé ; cf. lettre à Damilavile du 24 janvier . Représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 17 janvier . http://books.google.be/books?id=FSU_AAAAcAAJ&printsec...

viii C'est le discours de réception à l'Académie Française, prononcé le 22 janvier par l'abbé Voisenon ; il signait « évêque de Montrouge » car il fréquentait la maison du duc de La Vallière à Montrouge. http://www.academie-francaise.fr/immortels/discours_recep...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Henri_de_Fus%C3%A9e_d...

ix Sur ce Le Brun, surnommé Pindare à cause de son ode sur Corneille, et sur ses rapports avec V*, voir lettres à d'Alembert du 18 janvier et Damilavile du 24 janvier : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/16/j...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/01/25/l...

x Tout le monde a tort ou Jugement impartial d'une dame philosophique, sur l'affaire présente des jésuites, 1762, attribué à Claude-Cyprien-Louis Abrassevin, jésuite .

Voir note  page 325 : http://books.google.be/books?id=ozgLAAAAQAAJ&pg=PA325...

 

 

Les libraires sont comme les prêtres, ils se ressemblent tous, il n'y en a aucun qui ne sacrifiât son père et sa mère à un petit intérêt typographique

... Notons bien qu'il ne s'agit pas ici des libraires qui vendent les livres, -gens honorables et que j'aime,- mais au sens ancien, ceux qui éditaient les livres et se fichaient complètement des auteurs . De nos jours, ceux qui se rapprochent le plus de cette définition tranchante de Voltaire, sont les éditeurs de la presse people,  et à scandales, chacals modernes incontestablement .

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

13 février 1763 1

Mme Denis étant malade, le jeune Dupuits et Marie Corneille étant très occupés de leur premier devoir , qui n'est pas tout à fait d'écrire, moi, l'aveugle V. entouré de quatre pieds de neige, je dicte la réponse à la lettre de Mme d'Argental, du 7 de février : et voici comme je m'y prends .

Cujas 2, Charles Dumoulin 3, Tiraqueau 4, n'auraient jamais parlé plus doctement et plus solidement de la validité d'un contrat 5 et nous tombons d'accord de tout ce qu'y disent nos anges . Je n’ai point vu le modèle de consentement paternel que Mme Denis avait envoyé à Mme d'Argental ; elle écrit quelquefois sans daigner me consulter . Je ne sais quel est l'âne qui lui avait donné ce beau modèle de consentement . Le contrat est dressé dans toutes les règles, et le mariage fait dans toutes les formes, les deux amants très heureux, les parents enchantés, et à nos neiges près, tout va le mieux du monde . Ce qu'il y a de bon, c'est que quand même les souscriptions ne rendraient pas ce qu'on a espéré, le conjoint et la conjointe jouiraient encore d'un sort très agréable . Il ne nous reste donc qu'à nous mettre aux pieds de nos anges, et à les remercier du fond de notre cœur .

S'ils veulent s'amuser de cette horrible feuille qui devait tant déplaire à Messieurs, la voici . Elle est un peu contre ma conscience . Je veux bien que le coadjuteur sache qu'on trouve à la feuille suivante, qu'un des messieurs qui avait été traité avec plus de sévérité que les autres, fonda dans son abbaye à perpétuité, une messe pour la conservation du roi 6. J'ai cru ce trait digne d'être remarqué, j'ai cru qu'il peignait nos mœurs, et il y a environ douze batailles dont je n'ai point parlé, Dieu merci, parce que j'écris l'histoire de l'esprit humain, et non pas une gazette .

Je ne doute pas que vous n'ayez la petite addition à l'Histoire générale, sous le nom d’Éclaircissements historiques 7 ; il ne m'importe guère qu'il y en ait un peu ou beaucoup d'exemplaires répandus ; cela n'est bon d'ailleurs que pour un certain nombre de personnes qui sont au fait de l'histoire, le reste de Paris n'étant qu'au fait des romans .

Passons de l'histoire au tripot . Mon avis est que ce carême on donne Zulime suivant la petite leçon que j'ai envoyée ; pendant ce temps-là j'achèverai une belle lettre scientifique sur l'amour, j'entends l'amour du théâtre, dédiée à Mlle Clairon .

Au reste , le débit de Zulime est un très mince objet, et je doute qu’il se trouve un libraire qui en donne cinq cents livres ; encore voudra-t-il un abandon de privilège, comme a fait ce petit misérable Prault, ce qui gêne extrêmement l'impression du théâtre de V. Les libraires sont comme les prêtres, ils se ressemblent tous, il n'y en a aucun qui ne sacrifiât son père et sa mère à un petit intérêt typographique .

Je pense qu'il ne serait pas mal de faire un petit volume de Zulime, Mariamne, Olympie, Le Droit du seigneur 8, et d'exiger du libraire qu'il donnât une somme honnête à Mlle Clairon et à Lekain, soit que ce libraire fût Cramer, soit un autre .

Mais mes anges ne me parlent jamais de ce qui se passe dans le royaume du tripot ; ils ne me disent point si Mlle Dupuis et M. Desronais enchantent tout Paris ; si Goldoni est venu apporter en France la véritable comédie ; si l'opéra-comique est toujours le spectacle des nations ; s'il est vrai qu'il y a deux jésuites qui vendent de l'orviétan sur le Pont-Neuf . Jamais mes anges ne me disent rien ni des livres nouveaux, ni des nouvelles sottises, ni de tout ce qui peut amuser les honnêtes gens ; rien sur l'abbé de Voisenon, rien même sur les Calas, objet très important, dont je n'ai aucune notion depuis huit jours . Cela n'empêche pas que je ne baise avec transport le bout des ailes de mes anges .

Nous demandons pardon à mes anges des ratures de mon épître, mais je suis accablé d'affaires .

V. »

1 L'édition de Kehl donne par mégarde Damilaville pour correspondant, et omet le dernier paragraphe, ainsi que les éditions suivantes .

2 Jacques Cujas, savant éditeur du Corpus juris civilis, et autres recueils de lois . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Cujas

et : http://data.bnf.fr/13008755/jacques_cujas/

3 Dumoulin est un fameux historien du droit français, souvent cité à côté de Barthole ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dumoulin

et : http://data.bnf.fr/12198126/charles_du_moulin/

4 André Tiraqueau est l'auteur de traités de jurisprudence ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Tiraqueau

et : http://data.bnf.fr/12095542/andre_tiraqueau/

6 Ce passage fut ultérieurement transféré au chapitre XXXVII du Précis du siècle de Louis XV ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Pr%C3%A9cis_du_si%C3%A8cle_de_Louis_XV/Chapitre_37

7 Ceux-ci sont signalés comme imprimés par une lettre d'un des inspecteurs de la librairie, Picquet, à Malesherbes, le 29 janvier 1763 .

8 V* reprit l'idée dans la lettre du 21 février 1763 à d'Argental [http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-8.html ] et il y revint , et il semble ( voir lettre du 13 juin 1763 au même ) que le volume parut finalement, ne comprenant qu'Olympie, Zulime et Le Droit du seigneur . C'est peut-être le Supplément aux œuvres dramatiques de Voltaire, in-8°, mentionné par Quérard dans sa Bibliographie voltairienne , 1842 , voir : https://books.google.ru/books?id=Zu8-AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

On m’envoie ces rogatons de Paris

... Ah ! l'art contemporain ! grand pourvoyeur de merdouilles rogatonesques ( ou comment faire n'importe quoi avec des fonds de poubelles )

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Pas étonnant,  après n'avoir fait que des colliers de nouilles pour la fête des mères

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 12 février 1763]

On m’envoie ces rogatons 1 de Paris . Je vous prie caro d’en faire tirer une quarantaine d'exemplaires petits caractères . Cela vous amusera pendant que je corrigerai la première feuille de la Tolérance, laquelle feuille j'attends depuis huit jours . »

1Peut-être s'agit-il de l'Hymne chanté au village de Pompignan : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/poesie-hymne-chante-au-village-de-pompignan.html