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21/01/2011

Le travail et la bonne compagnie sont les deux meilleurs précepteurs que l'on puisse avoir

 

Je recommande à nos grands pondeurs de réformes de l'éducation nationale ces quelques lignes d'un homme sensé, du XVIIIè siècle, qui les dépasse de la tête et des épaules .

Je sais, pour l'avoir entendu dans le privé, que des enseignants sont d'accord avec ces idées voltairiennes, mais, mais , mais ... la trouille de la réforme véritable fait se racornir ces velléitaires . Ils gardent, ancré au fond d'eux-mêmes, la conviction qu'on peut tout apprendre à tout le monde, ou plus exactement, que si tout le monde n'apprend pas la même chose c'est la faute de l'élève et non du maître . Cette dernière option n'est pas très loin de la vérité du terrain ; mais de remède , point !

Le principe d'égalité scolaire perdure : toute tête bien faite doit trouver sa casquette (quel que soit le sens de la visière ! Yo !! ) et avoir le bac .

Le « mammouth » continue à brouter jusqu'à l'indigestion, -ce n'est pas la matière qui manque,- ce qui nous promet de formidables bouses sans nombre ( à fossiliser ?).

 

 

« A Nicolas-Anselme Collenot i

 

A Ferney 21 janvier 1765

 

La personne que Monsieur Collenot a consultée sent très bien qu'elle ne mérite pas de l'être . Elle croit qu'il ne faut consulter sur l'éducation de ses enfants que leurs talents et leurs goûts. Le travail et la bonne compagnie sont les deux meilleurs précepteurs que l'on puisse avoir . L'éducation des collèges et des couvents a toujours été mauvaise, en ce qu'on y enseigne la même chose à cent enfants qui ont tous des talents différents. La meilleure éducation est sans doute celle que peut donner un père qui a autant de mérite que Monsieur Collenot . Voila tout ce qu'un vieux malade peut avoir l'honneur de lui répondre. »


i Négociant d'Abbeville qui avait consulté V* sur l'éducation à donner à ses enfants.

 

20/01/2011

Ce serait aujourd'hui une trop grande impertinence d'entreprendre de faire rire le public

 

 

 

« A Henri-Louis Lekain

 

20è janvier 1770

 

L'oncle et la nièce, mon cher ami, sont aussi sensibles à votre souvenir qu'ils doivent l'être. Nous savons à peu près ce que c'est que la petite drôlerie dont vous parlez i. C'est une ancienne pièce qui n'est point du tout dans le goût d'à présent. Elle fût faite par l'abbé de Châteauneuf quelque temps après le mort de Mlle Ninon Lenclos . Je crois même qu'elle ne pourrait réussir qu'autant qu'on saurait qu'elle est du vieux temps. Ce serait aujourd'hui une trop grande impertinence d'entreprendre de faire rire le public, qui ne veut, dit-on, que des comédies larmoyantes ii.

 

Je crois qu'il n'y a dans Paris que M. d'Argental qui ait une bonne copie du Dépositaire . Je sais de gens très instruits que celle qu'on a lue à l'Assemblée iii est non seulement très fautive, mais qu'elle est pleine de petits compliments aux dévots que la police ne souffrirait pas . L'exemplaire de M. d'Argental est, dit-on, purgé de toutes ces horreurs . Au reste, si on la joue on pourra très bien s'arranger en votre faveur avec Thieriot ; mais il faut que le tout soit dans le plus profond secret, à ce que disent les parents de l'abbé de Châteauneuf qui ont hérité de ses manuscrits.

 

Je ne sais encore ce qu'on fait des Guèbres en province iv, encore moins ce qu'on en fera à Paris, et pour Les Scythes je m'en rapporte à votre zèle, à votre amitié et à vos adorables talents. »

 

ii Référence aux « tragicomédies de La Chaussée » que l'on retrouve dans une lettre à d'Argental du même jour .Page 428 : http://books.google.fr/books?id=kRJEAAAAYAAJ&pg=PA428...

 

iii Assemblée des Comédiens-Français.

 

iv Lettre à d'Argental du 20 janvier 1770 (cf. ci-dessus): « J'ignore encore si on osera jouer à Toulouse la tragédie de La Tolérance ; ce serait prêcher l'Alcoran à Rome . Je sais seulement qu'on la répète actuellement à Grenoble, mais il n'est pas sûr qu'on l'y joue. »

 

mais suis-je sûr de deux mois de ma vie ?

NDLR .- Note rédigée le 24 avril 2011, jour de Pâques .

Bel oeuf pondu ce jour là .

Comme Volti, je dis "suis-je sûr de deux mois/semaines/jours/heures de ma vie ?" . Qui le sait ?

Il vivra, en fait, encore quatre mois, seulement . Je dis seulement, mais mon avis est d'un égoïste qui n'a pas eu  à souffrir comme lui .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

A Ferney, le 20 de janvier [1778]

 

Mon cher ange, en voici bien d'une autre ! Il faut pour le coup que je me jette dans les bras de votre providence, de votre sagesse et de cette constante amitié qui fait la consolation de ma vie . Je suis trop jeune, je ne sais pas me conduire, à moins que je ne sois toujours à l'ombre de vos ailes .

 

J'ai cru qu'il était de mon devoir de vous envoyer la lettre que je reçois d'un de vos protégés i, et la réponse que je lui fais . Je ne doute pas que vous n'engagiez votre ami M. de Thibouville à mettre sous ses pieds cet oubli de toutes les bienséances ii. Je lui mande qu'autrefois M. de Ferriol, votre oncle l'ambassadeur à Constantinople, disait, s'il m'en souvient, qu'il n'y avait d'honneur ni à gagner ni à perdre avec les Turcs iii.

 

Si vous trouvez ma réponse à votre ancien protégé convenable et mesurée iv, puis-je vous supplier de la lui faire tenir aussi bien que celles que j'ai dû écrire à M. Suard v et à Mme Vestris, et à un M. Monvel vi qu'on dit avoir beaucoup d'esprit, beaucoup de sensibilité et beaucoup de talents, avec très peu de poitrine ?

 

Une chose encore bien importante pour moi, c'est de demander très humblement pardon à madame votre secrétaire de lui avoir fait écrire des choses qui certainement ne subsisteront pas, car tout ne sera fini que vers Pâques ; et c'est vers ce saint temps que je compte vous apparaître comme Lazare sortant de son tombeau .

 

Je vous conjure encore plus que jamais de faire retirer la copie qui est peut-être au tripot vii, et les rôles qui peuvent être chez les tripoteurs et les tripoteuses . Je suis réellement perdu, s'il reste dans le monde le moindre lambeau de ces haillons . Vous sentez que la publicité de ces misères est très à craindre : elle arrêterait tout à coup un jeune homme dans le commencement de sa carrière ; mais, soit au commencement, soit à la fin, il est certain que cela me ferait un tort irréparable .

 

Songez, mon divin ange, que je passe les jours et les nuits à remplir la tâche très difficile , mais très nécessaire, que vous m'avez donnée . Songez que je marche sur des charbons ardents . J'ose espérer que je ne me brûlerai pas la plante des pieds, parce que je vous invoquerai en subissant une épreuve qui surpasse mes forces .

 

Vous savez de plus combien il y avait de vers faibles à fortifier, de nuances à observer, d'expressions familières à supprimer, de petites choses à réparer pour les faire servir à de plus grandes ; enfin combien l'esquisse était indigne de vous viii. Vous avez été trop bon ; mais vous m'avez rendu difficile contre moi-même . J'ai deux mois, au moins par-devant moi, et je vais les employer à vous plaire ; mais suis-je sûr de deux mois de ma vie ?

 

Sub umbra alarum tuarum . »

i Lekain, qui a refusé de jouer le rôle d'Alexis dans Irène et qui avait écrit le 13 janvier pour se justifier qu'il « n'a plus les forces suffisantes pour soutenir un rôle jeune et vigoureux » surtout plusieurs fois par semaine ; il proposa de jouer un autre rôle dans la pièce . Il mourut le 8 février, alors que V* arrivera à Paris le 10.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lekain

ii Thibouville, chargé d'organiser la représentation avait critiqué sévèrement le refus de Lekain ; le 12 janvier, dans une lettre aux Comédiens, il avait parlé du « procédé indigne et révoltant de M. Le Kain pour son bienfaiteur » ; l'acteur s'était montré mécontent dans sa lettre à l'auteur.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri-Lambert_de_Thibouville

iii Irène se passe à Constantinople .

http://www.voltaire-integral.com/Html/07/07IRENE.html

iv Le 19 janvier, V* propose à Lekain le rôle de « l'ermite Léonce » , et Lekain répondra à son tour : « Il est aisé de remarquer au ton de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire que l'on vous a prodigieusement aigri contre moi ; vous le déguisez quelquefois avec une politesse à laquelle je suis très sensible », et acceptera le rôle de « l'ermite » bien que n'ayant « ni le ton, ni le caractère, ni la tournure de ces sortes de rôles ». Voir page 150 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80043w/f155.image.r=46.langFR

vi V* a appris que c'était Monvel qui avait « lu la chose » (Irène) à l'Assemblée des Comédiens ; c'était un auteur et un acteur . http://fr.wikipedia.org/wiki/Monvel

vii A la Comédie-Française.

viii V* reçoit les critiques et suggestions non seulement de Thibouville et des d'Argental, mais aussi de Condorcet conforté par Suard, Turgot, ...

il n'y a qu'à suspendre pour quelque temps le débit de ce livre qui aurait le crime d'être utile

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-grâce Bosc du Boucher, comtesse d'Argental

 

Aux Délices près de Genève

le 20 janvier 1764

 

Ce n'est pas un petit renversement du droit divin et humain que la perte d'un conte à dormir debout i et d'un 5è acte ii qui pourrait faire le même effet sur le parterre qui a le malheur d'être debout à Paris. J'ai écrit à mes anges gardiens une lettre ouverte que j'ai adressée à M. le duc de Praslin ; j'adresse aussi mes complaintes douloureuses et respectueuses à M. Jannel, qui étant homme de lettres doit favoriser mon commerce. Je conçois après tout que dans le temps que l'Antifinancier causait tant d'alarmes iii on ait eu aussi quelques inquiétudes sur L'Anti-intolérant iv. Ce dernier ouvrage est pourtant bien honnête, vous l'avez approuvé. MM. Les ducs de Praslin et de Choiseul lui donnaient leur suffrage , Mme de Pompadour en était satisfaite v. Il n'y a donc que le sieur évêque du Puy vi et ses consorts qui puissent crier . Cependant si les clameurs du fanatisme l'emportent sur la voix de la raison, il n'y a qu'à suspendre pour quelque temps le débit de ce livre qui aurait le crime d'être utile, et en ce cas je supplierais mes anges d'engager frère Damilaville à supprimer l'ouvrage pour quelques mois, et à ne le faire débiter qu'avec la plus grande discrétion. Ah! Si mes anges pouvaient m'envoyer la petite drôlerie vii de l'hiérophante de Paris viii, qu'ils me feraient plaisir ! Car je suis fou des mandements depuis celui de Jean-Georges ix. Mes anges me répondront peut-être qu'ils ne se soucient point de ces bagatelles épiscopales, qu'ils veulent qu'Olympie meure au cinquième acte, que c'est là l'essentiel. Je leur enverrai incessamment des idées et des vers. Mais pourquoi avoir abandonné la conspiration x? pourquoi s'en être fait un plaisir si longtemps pour y renoncer ? Si vous trouvez les Roués passables, que ne leur donnez-vous la préférence que vous leur aviez destinée ? Si vous trouvez les Roués insipides, il ne faut jamais les donner. Répondez à ce dilemme, je vous en défie ; au reste votre volonté soit faite en la terre comme au ciel ! Je me prosterne au bout de vos ailes.

 

N.B. - J'ai écrit une lettre fort bien raisonnée à M. le duc de Praslin sur les dîmes xi.

Respect et tendresse. »

 

 

i Les Trois Manières : où l'on trouve : « ...n’exagérer rien, chose assez difficile / Aux femmes, aux amants, et même aux avocats. » ,  «... il n’était point là de prêtre / Et, comme vous pouvez penser, /Des valets on peut se passer  /Quand on est sous les yeux du maître. », « Les dieux sont bons, les prêtres sont cruels. »

http://www.voltaire-integral.com/Html/10/05_Trois_Ma.html

 

 

ii Du Triumvirat ; cf. lettre du 18 janvier .

 

iii Le 13 janvier, V* juge ainsi l'ouvrage : « il est violent et porte à faux d'un bout à l'autre . Comment un conseiller au parlement peut-il toujours prononcer la chimère de son impôt unique, tandis qu'un autre conseiller devenu contrôleur général est indispensablement obligé de conserver tant d'autres taxes ? » Ouvrage écrit par Darigrand, avocat, à Paris : voir page 90 : http://books.google.be/books?id=96d7IwtHmlgC&pg=PA90&...

 

iv = Traité sur la Tolérance.

 

v Le duc de Choiseul a écrit à V* le 27 novembre 1763 : « Mme de Pompadour, Mme de Gramont, tous ceux qui ont lu le livre ... en ont été enchantés... ».

 

vi Le frère de Simon Le Franc de Pompignan ; cf. lettre du 4 novembre 1763 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/04/l...

 

vii Réf. au Bourgeois Gentilhomme.

 

viii L'Instruction pastorale de Mgr l'évêque de Paris sur les atteintes ... Cf. lettre à d'Alembert du 31 décembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/31/f...

 

ix L'évêque du Puy de 1742 à 1774 , Jean-Georges Lefranc de Pompignan ; cf. lettre du 4 novembre 1763 . Frère de Jean-Jacques Le Franc de Pompignan, adversaire des philosophes et de V*.

 

x  A savoir, abandonné le projet de donner Octave ou Le Triumvirat (ses « Roués ») à la Comédie Française sous le nom d'un jeune auteur ; cf. lettre aux d'Argental du 1er aout et 27 septembre 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/09/27/v...

 

xi Toujours sur cette affaire avec le curé de Ferney, que V* veut faire juger par le Conseil du roi ; voir lettre du 1er août, 14 août, 27 septembre 1763 aux d'Argental.

faites présenter la requête au vénérable foutu Conseil ; il la refusera

 

 

 

 

« A Cosimo Alessandro Collini

 

[vers le 20 janvier 1759]

 

Voici, mon cher Collini, la lettre que vous pouvez écrire i. Gardez-vous bien de prétendre que vous étiez alors à moi . Ne demandez justice qu'en qualité de sujet de l'Empereur . Adressez-vous à Bohem ii chez qui vous protestâtes, faites présenter la requête au vénérable foutu Conseil ; il la refusera . Vous en appellerez au Conseil aulique iii, et je vous réponds que le scélérat sera condamné , vous n'aurez qu'à envoyer la requête à Mme de Bentick et la supplier de vous donner son avocat, M. le comte de Bauer iv peut vous servir. J'agirai fortement en temps et lieu.

 

N.b. que vous pouvez me citer comme témoin de vos effets volés. »

 

i Au prince de Soubise qui s'était emparé de Francfort le 2 janvier 1759 . Il y demandait « un mot » du maréchal pour « obliger le Conseil de Francfort à rendre justice (à Collini) », à prononcer « une sentence prompte, favorable ou injuste, afin qu'(il) puisse (s)e pourvoir au Conseil Aulique ». Il s'agissait de faire condamner Schmidt qui, comme spécifié dans le mémoire joint, l'avait emprisonné et volé ; cf. lettres du 20 juin et 8 juillet 1753. Collini renoncera aux poursuites : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/21/n...

et : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/07/08/b...

et note de lettre MMDCCLXVI page 208 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f213.image.p...

et MMDCCLXXI page 212 .

 

ii Notaire Böhm .

 

iv De Sauer ; une lettre précédente est adressée à Collini « gouverneur de M. le comte de Sauer ».

 

19/01/2011

Je maudis Ferney quatre mois de l'année au moins, mais je ne puis le quitter, je suis enchaîné à ma colonie.

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

19è janvier 1771

 

Mon cher ange,j'ai dit au jeune homme i que la fin de son deuxième acte était froide, et je l'en ai fait convenir. C'est une chose fort plaisante que la docilité de cet enfant. Il s'est mis sur la champ à faire un nouvel acte. Je vous l'enverrais aujourd'hui s'il ne travaillait pas les autres.

 

Quand je vous dis que vous n'avez rien perdu ii, j'entends que vous conservez votre place, votre belle maison de Paris, et que vous allez au spectacle tant qu'il vous plait. Pour moi, je vous ai donné des spectacles, et je ne les ai point vus. J'ai établi une colonie, et je crains bien qu'elle ne soit détruite iii. Les fermiers généraux la persécutent, personne ne la soutiendra. Je ne suis pas même à portée de solliciter la restitution de mon propre bien qu'on s'est avisé de me prendre sans aucune forme de procès iv. Voilà comme j'entends que je perds, et malheureusement je perds aussi la vue. Je suis enseveli dans les neiges qui m'ont arraché les yeux par l'âcreté de l'air qu'elles apportent avec elles. Je maudis Ferney quatre mois de l'année au moins, mais je ne puis le quitter, je suis enchaîné à ma colonie.

 

J'ai bien envie de vous envoyer pour votre amusement une grande lettre en vers que j'ai écrite au roi de Dannemark sur la liberté de la presse qu'il a donnée dans tout son royaume v: bel exemple que nous sommes bien loin de suivre. Vous l'aurez dans quelques jours ; on ne peut pas tout faire à la fois surtout quand on souffre.

 

Je vous prie de vouloir bien me mander s'il est vrai qu'un homme de considération qui écrivit le 23è décembre à un de ses anciens amis vi, lui manda qu'il l'aurait envoyé voyager plus loin sans madame sa femme qui est fort délicate.

 

Au reste, cette dame a encore plus de délicatesse dans l'esprit que dans la figure, et à cette délicatesse se joint une grandeur d'âme singulière qui n'est égalée que par la bonté de son cœur.

 

Est-il vrai, comme on le dit, que monsieur et madame sont endettés de deux millions vii?

 

Est-il vrai qu'on leur ait offert douze cent mille francs le jour de leur départ viii?

 

Reçoivent-ils des visites ? Comment se porte votre ami de trente-cinq ans ix? Son séjour est bien beau, mais il est bien triste en hiver.

 

Pouvez-vous me dire ce que devient M. de La Ponce x? Vous me direz que je suis un grand questionneur mais vous répondrez ce qu'il vous plaira, on ne vous force à rien.

 

Conservez votre santé, mes deux anges; c'est là le grand point . Je sens ce que c'est que de n'en avoir point ; c'est être damné au pied de la lettre . Je mets ma misère à l'ombre de vos ailes.

 

V. »

 

 

ii Consécutivement à la disgrâce de Choiseul.

 

iii V* dit que Choiseul avait promis d'exempter sa colonie d'impôts ; cf. lettre du 22 juin 1770 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/06/24/q...

ou page 96 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80040v/f101.image.p...

 

 

iv Rappel de l'argent des rescriptions que les édits de l'abbé Terray lui ont fait perdre.

 

v Epître au roi de Danemark Christian VII sur la liberté de la presse accordée dans tous ses Etats.

http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89p%C3%AEtre_109

 

vi Etienne-François de Choiseul, comte de Stainville, puis duc de Choiseul, avait reçu l'ordre du roi de se retirer à Chanteloup jusqu'à nouvel ordre .http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_Fran%C3%A7ois_d...

 

vii Ce qui est vrai .

 

viii  Le roi ayant accordé trois millions à Choiseul pour payer ses dettes, cette somme ne fut jamais versée.

 

ix César-Gabriel de Choiseul-Chevigny , marquis de Choiseul, puis duc de Praslin exilé à Praslin.

 

x Secrétaire du duc E.-F. de Choiseul .

 

18/01/2011

vous songez à ce paillard de Samson, et à cette putain de Dalila, et de plus, vous nous envoyez du beurre de Bretagne. Il faut que vous ayez une belle âme

 

 

 

« A Michel-Paul-Guy de Chabanon

 

18è janvier 1768

 

La grippe, en faisant le tour du monde, a passé par notre Sibérie, et s'est emparée un peu de ma vielle et chétive figure . Ce qui m'a empêché , mon cher confrère, de répondre sur le champ à votre très bénigne lettre du 4 janvier. Quoi ! lorsque vous travaillez à Eudoxie vous songez à ce paillard de Samson, et à cette putain de Dalila, et de plus, vous nous envoyez du beurre de Bretagne. Il faut que vous ayez une belle âme.

 

Savez-vous bien que Rousseau avait fait une musique délicieuse sur ce Samson i? Il y avait du terrible et du gracieux. Il en a mis une partie dans Castor et Pollux ii. Je doute que l'homme à qui vous vous êtes adressé iii ait autant de bonne volonté que vous ; et je serai bien étonné s'il ne fait pas tout le contraire de ce que vous l'avez prié de faire, le tout en douceur et en cherchant les moyens de plaire. Je pense, ma foi, que vous vous êtes confessé au renard. Je ne sais pourquoi M. de La Borde m'abandonne obstinément . Il aurait bien dû m'accuser la réception de sa Pandore iv, et répondre au moins en deux lignes à deux de mes lettres . Sert-il à présent son quartier ? couche-t-il dans la chambre du roi ? est-ce par cette raison qu'il ne m'écrit point ? est-ce parce que Amphion n'a pas été bien reçu des Amphions modernes v? est-ce parce qu'il ne se soucie plus de Pandore ? est-ce caprice de grand musicien ou négligence de premier valet de chambre ?

 

On dit que les acteurs et les pièces qui se présentent au tripot tombent également sur le nez . Jamais la nation n'a eu plus d'esprit, et jamais il n'y eut moins de grands talents.

 

Je crois que les beaux-arts vont se réfugier à Moscou. Ils y sont appelés du moins par la tolérance singulière que ma Catherine a mise avec elle sur le trône de Thomiris vi. Elle me fait l'honneur de me mander qu'elle avait assemblé dans la grande salle de son Kremlin de fort honnêtes païens, des grecs instruits, des latins nés ennemis des grecs, des luthériens, des calvinistes ennemis des latins, de bons musulmans, les uns tenant pour Ali, les autres pour Omar, qu'ils avaient tous soupé ensemble, ce qui est le seul moyen de s'entendre, et qu'elle les avait fait consentir à recevoir des lois moyennant les quelles ils vivraient tous de bonne amitié vii. Avant ce temps-là un grec jetait par la fenêtre un plat dans lequel un latin avait mangé quand il ne pouvait pas jeter le latin lui-même. Notre Sorbonne ferait bien d'aller faire un tour à Moscou, et d'y rester.

 

Bonsoir, mon très cher confrère. Je suis à vous bien tendrement pour le reste de ma vie.

 

V. »

 

i V* ,librettiste, et Rameau, musicien, avaient composé cet opéra fin 1733,inachevé, suspendu par l'exil de V* en 1734, et censuré en 1736, il ne fut jamais représenté,

 

ii Musique de Rameau, livret de Pierre-Joseph Bernard (dit Gentil Bernard) ; cf. lettre du 19 janvier 1764

 

iii Sans doute Moncrif , auquel il sera fait allusion plus nettement le 29 janvier et qui avait écrit les Essais sur la nécessité et sur les moyens de plaire, 1738. http://books.google.fr/books?id=ZLmz3XtsqbwC&printsec...

 

iv Le 21 décembre, à Chabanon, V* dit avoir « passé une journée entière à rapetasser » cet opéra et envoyé son manuscrit à La Borde qui avait commencé à composer la musique lors de son séjour à Ferney, ce dont Mme Denis était enchantée.

Lettre MMMMMCCXLVII page 18 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f23.image.pa...

 

v Opéra d'Antoine-Léonard Thomas, musique de La Borde, représenté le 13 octobre 1767.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_L%C3%A9onard_Thomas

Selon la légende, Amphion, poète et musicien a bâti les murs de Thèbes , les pierres venant se placer seules au son de sa lyre.

 

vi Reine des Amazones.

 

vii Dans une lettre écrite vers le 20 décembre 1767, Catherine parla de cette assemblée. En décembre 1768, elle lui envoie « une traduction française de l'Introduction russe donnée aux députés qui doivent composer le projet de Code » , lettre 16 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-35511192.html

et cf. lettre à d'Alembert du 19 juin 1767.Lettre MMMMXCVI page 343 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800389/f348.image.p...

Ensuite, elle sera moins optimiste quant à la rapidité et à la facilité de la réalisation.