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17/06/2016

vous favoriserez une entreprise qui n’est pas indigne de vos secours

... Messieurs, mesdames les syndicalistes, plutôt que de semer le désordre et la discorde ; vos enfants ne vous remercieront pas de votre position rétrograde et néfaste, juste faite pour protéger vos ridicules avantages que vous osez nommer pompeusement acquis sociaux . Il y en a assez de vos grèves à la noix, mettez vous au boulot , au vrai, si vous savez encore ce que c'est .

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« A Jean Capperonnier

Monsieur, je compte dans quelque mois avoir l’honneur de vous envoyer, pour la Bibliothèque du roi, un manuscrit unique et curieux 1. C’est l’Ezour-Veidam, commentataire du Veidam, lequel est chez les Indiens ce qu’est le Sadder chez les Guèbres 2.

Cet Ezour-Veidam est traduit de la langue du hanscrit 3 par un brame de beaucoup d’esprit 4, qui est correspondant de notre compagnie des Indes, et qui a très bien appris le français. Il l’a donné à M. de Maudave 5, commandant pour le roi dans un petit fort de la côte de Coromandel. Ce livre est fait vraisemblablement avant l’expédition d’Alexandre.

Ce que je vous dis là, monsieur, n’est pas un artifice pour obtenir de vous quelques livres dont j’ai besoin. Je vous les demanderais hardiment quand il n’y aurait point d’Ezour-Veidam au monde, tant je compte sur vos bontés.

Je fais imprimer les tragédies de Pierre Corneille avec un commentaire perpétuel, historique et critique, qui sera peut-être utile aux étrangers qui apprennent nos langues par règle, et à quelques Français qui la parlent par routine. L’édition sera ornée des plus belles gravures, et faite avec beaucoup de soin. Nous la faisons à l’anglaise, c’est-à-dire par souscription, pour le bénéfice des seules personnes qui restent du grand nom de Corneille. Le roi a la bonté de souscrire pour deux cents exemplaires ; M. le duc de Choiseul pour vingt. Je me flatte que M. le baron de Thiers 6 voudra bien que son nom soit dans la liste.

Mais vous me rendriez, monsieur un plus grand service si vous vouliez bien me prêter une édition de Corneille qui doit être à la Bibliothèque du roi, dans laquelle on trouve toutes les imitations de Guillain de Castro, de Lucain, de Sénèque, et de Tite-Live. Corneille donna lui-même cette édition. Je n’ai que le tome du Cid ; il y manque la première page, qui contenait le titre et la date. Il y a d’ailleurs beaucoup de pièces fugitives sur la Médée, les Horaces, le Cid, et Cinna. Je vous renverrai fidèlement, monsieur, et promptement, ce que vous aurez bien voulu me communiquer. Vous rendez service aux belles-lettres ; la famille de Corneille et moi nous vous serons également  obligés ; vous favoriserez une entreprise qui n’est pas indigne de vos secours ; et le nom du grand Corneille justifie la liberté que je prends.

J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

Au Château de Ferney en Bourgogne,

par Genève 13è juillet 1761.

N.B. – Je reçois en ce moment une lettre de M. Cramer, qui me dit que vos bontés ont prévenu mes demandes. Souffrez seulement, monsieur, que j’ajoute à mes remerciements la requête pour cette édition de Corneille dont j’ai l’honneur de vous parler dans ma lettre. »

3 C'est une ancienne forme du mot sanscrit ; du reste , le manuscrit n'est pas en sanscrit, mais dans le dialecte moderne ; voir l'article Brachmanes dans le Dictionnaire philosophique .Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique/Garnier_(1878)/Brachmanes,_Brames

5 Sur Louis-Laurent de Féderbe, chevalier puis plus tard comte de Maudave, voir B. Foury, Maudave et la colonisation de Madagascar, 1956 , voir : http://www.persee.fr/doc/outre_0399-1385_1955_num_42_148_1244

et : http://www.persee.fr/doc/outre_0399-1385_1956_num_43_150_1252 . Voir aussi  : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fayd%27herbe_de_Maudave

6 Louis-Antoine de Crozat, baron de Thiers : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Antoine_Crozat

 

 

16/06/2016

le prix est modique ; mais il faut qu'il le soit ; le bon marché fait le débit, la cherté éloigne ... mais il faut que cela soit du beau

... Je reconnais bien là ce génial Voltaire qui ne souffre pas la médiocrité . Combien d'auteurs ne lui arrivent pas à la cheville ? innombrables .

 

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Diamonds

No tears

 

 

« A Gabriel Cramer

Monsieur Gabriel saura que le roi souscrit pour deux cents exemplaires . J'en ai déjà plus d'une cinquantaine d'ailleurs . On demande un in-quarto . Il faudra donc que mon cher Gabriel s'arrange en conséquence pour le papier et pour les estampes . L'ouvrage sera prêt avant qu'on ait recueilli toutes les souscriptions . Il est vrai que le prix est modique ; mais il faut qu'il le soit ; le bon marché fait le débit, la cherté éloigne . On peut commencer à prendre , en toute sûreté, tous les arrangements nécessaires . Tout le reste va son train ; et si on a un peu de santé on ne laissera pas les presses des deux frères oisives . Mon cher Gabriel est attendu avec impatience .

En ce moment on reçoit le paquet de mon cher Gabriel du 6è juillet . Mille remerciements, et nul embarras . Ceci ne sera point une souscription ordinaire ; ce sont rois, princes, ministres, ducs, archiducs, qui honorent la cendre de Corneille, et qui favorisent les yeux noirs de Cornélie-chiffon . Je me charge de tout, je réponds de tout ; prenez les caractères où il y en a, Bâle ou Paris, ne m'importe ; mais il faut que cela soit du beau, in-4° absolument, et d'autant plus in-4° que quand cet habit aura servi à Pierre mon maître, il servira à François son serviteur . Somme totale, j'espère que le public, et les deux frères seront contents .

N.B. – J'ai annoncé dans une façon de petit programme à la main 1, que tous ceux qui travaillaient à cet ouvrage, n'avaient en vue que l'honneur de la nation . J'ai même imputé ce sentiment aux graveurs . Il faut tâcher qu’ils ne me désavouent pas . Mille tendres amitiés de toutes les Délices, le 12è juillet 1761. »

1 Le memorandum relatif à l'édition de Corneille cité dans la lettre du 1er juillet 1761 à Saint-Florentin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/06/08/la-france-sait-honorer-la-cendre-des-grands-hommes-et-proteg-5812596.html

 

Allez chez lui, je vous prie, et faites-lui honte

... Chez qui ? chez Erdogan ! et urgemment !

Je pense qu'il est assez mauvais homme pour poursuivre dans sa voie de faux-jeton et ignorer la moindre honte , hypocrite il est , lâche il demeure , président à l'âme de tyran assassin .

http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/05/12/31002-2016051...

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Charlie Hebdo 2015 mais toujours , toujours d'actualité !

 

 

« A Nicolas-Claude Thieriot

Ferney , 11 juillet 1761

A qui en a donc Protagoras ? je l’avais prié de m’écrire, et il n’en fait rien. Les philosophes sont bien tièdes. Allez chez lui, je vous prie, et faites-lui honte ; dites-lui vergogne 1.

Envoyez-moi, mon cher ami, sur-le-champ la Poétique d’Aristote par la poste, avec contre-seing. J’en ai besoin pour Pierre. J’ai déjà commenté toute la tragédie d’Horace, la Vie de Corneille, par Fontenelle ; j’ai commencé le Cid, Médée, et Cinna. J’aurai fait avant que le caractère, le papier, et les souscriptions soient venus. Je ne perds point de temps, à cause du biov akza 2.

Il faudra annoncer le Droit du Seigneur ou l’Écueil du Sage, in tempore opportuno. Per Dio 3! écrivez-moi donc. Vous êtes plus négligent que Protagoras. »

1 L'expression n'est pas connue, elle semble faite sur le modèle de chanter pouilles, etc. Au demeurant , d'Alembert venait d'écrire le 9 juillet 1761 .

2 Il faut certainement lire biou akra , βίου άχρα, mots grecs signifiant « le point culminant , l’extrémité de la vie » (qui est bien court et qu'il faut saisir .).

3 En temps opportun . Par Dieu ...

 

 

 

15/06/2016

Le grand art de cette guerre est de ne paraître jamais défendre son terrain, et de ravager seulement celui de son ennemi, de l’accabler gaiement

... Belle tactique que nos politiciens de tous poils me semblent incapables de pratiquer tant ils sont obtus, tant ils se prennent au sérieux, tant ils sont rabâcheurs et sans imagination créatrice .

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 Carnaval permanent, grand Guignol à volonté ...

 

« A Ponce-Denis Ecouchard Le Brun, Secrétaire

des Commandements de Mgr le prince de Conti

au Temple

à Paris

11 juillet [1761]1

Il y a des choses bien bonnes et bien vraies dans les trois brochures que j’ai reçues 2. J’aurais peut-être voulu qu’on y marquât moins un intérêt personnel. Le grand art de cette guerre est de ne paraître jamais défendre son terrain, et de ravager seulement celui de son ennemi, de l’accabler gaiement ; mais après tout je ne suis pas fâché de voir relever des critiques très injustes d’une ode dont j’ai admiré les beautés, et à laquelle je dois non seulement mademoiselle Corneille, mais l’honneur de commenter à présent le grand homme auquel elle appartient.

Les oreilles d’âne sont attachées pour jamais au chef de ce malheureux Fréron. On a prouvé ses âneries, et il y a dans les trois brochures un grand mélange d’agréable et d’utile.

Je ne savais pas que ce Baculard fût un croupier de Fréron. J’ai eu soin autrefois de ce Baculard qu’on appelait d’Arnaud, comme j’ai soin de mademoiselle Corneille. J’ai été payé d’une ingratitude 3 dont je crois le cœur de mademoiselle Corneille incapable.

Adieu, monsieur ; je me flatte que le nom de monseigneur le prince de Conti décorera la liste de ceux qui souscrivent pour la gloire du grand Corneille et pour l’avantage de sa famille. Je serais toute ma vie pénétré d’estime et d’attachement pour vous.

V. »

1 Le manuscrit porte la mention : « M. Damilaville est venu pour avoir l'honneur de voir M. Le Brun et lui remettre cette lettre . »

 

Je prends beaucoup plus d'intérêt aux succès des frères, à la liberté de la littérature , à l'édition de l'Encyclopédie qu'à toutes ces misères

... qui me touchent sans me blesser gravement , ajoutè-je subito in petto .

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Nota bene : "Aux origines de la lutte pour la liberté d'expression"

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

11 juillet [1761]

Voici une lettre d'un Italien 1 homme de très grande considération qu'il sera bon, mes frères de faire imprimer dans tous les journaux . Je crois que Mme de Pompadour n'en sera pas fâchée .

Je ne sais pas encore si on a joué Oreste . J'en attends des nouvelles, redolet antiquitatem 2; mais il fait bien chaud, et les Français parum colunt antiquitatem 3.

Je reçois dans ce moment la lettre d'un cher frère dans laquelle il me parle du bon goût du sieur Bellecour 4. Je crois qu'il serait bon de joindre le titre du Droit du seigneur à celui de L’Écueil du sage 5; car les Bellecour et ejusdem farinae homines 6 ne savent pas qu'autrefois les seigneurs séculiers et prêtres avaient dans leur domaines le droit de cuissage , le droit de prélitation ; cette partie du sujet ignorée des comédiens perd de son piquant aux yeux de ceux qui n'en sont pas instruits .

On m'avait mandé qu'on jouait Oreste ; apparemment qu'il n'en est rien .

Je prends beaucoup plus d'intérêt aux succès des frères, à la liberté de la littérature , à l'édition de l'Encyclopédie qu'à toutes ces misères, et je ne suis attaché au Droit du seigneur que pour l'avantage de frère Thiériot .

Voici une pièce de vers d'un M. Poinsinet . Il y a des choses heureusement dites et touchantes, intérêt à part . Ce M. Poinsinet n'est point du tout ami de Fréron, comme on me l'avait écrit . Au contraire il me paraît très honnête homme . »

1 Cette lettre d'Albergati du 30 juin 1761dont on voit des extraits en note de la lettre du 8 juillet 1761 de V* à celui-ci, parut dans le Journal encyclopédique du 15 juillet 1761 .

2 Sent l'antiquité ; Cicéron, Brutus, XXI, 82 .

3 Réverent trop peu l'antiquité .

6 Et les gens de même farine .

 

 

14/06/2016

Il me semble que je commence à connaître l’art, en étudiant mon maître à fond.

... Ce qui vaut autant pour un artiste que pour tout élève qui veut tant soit peu progresser . Connaitre son maître puis en devenir un si possible, si nécessaire .

Connaitre l'art de l'orthographe et de la grammaire, savoir parler français, savoir compter sans calculette, voilà des bases que certains professeurs des écoles ne maitrisent pas aussi bien que les maîtres d'école, -bien nommés,- du passé, d'avant les réformettes à la gomme de l'Education nationale .

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Ferney 8 juillet 1761

Vraiment je prenais bien mon temps pour écrire au cardinal Passionei 1. Il est mort, ou autant vaut ; et, à moins qu’il ne m’envoie de ses reliques, je n’en aurai point. J’ai peur à présent que mon paquet ne soit parti . Je m’abandonne à la Providence.

Pour me dépiquer, mes chers anges, je vous enverrai incessamment Zulime. Je me suis raccommodé avec elle, comme vous savez 2 mais je suis toujours brouillé avec Pierre-le-Cruel 3.

C’est avec un plaisir extrême que je commente Corneille. Je ne donnerai de notes que sur les pièces qui restent de lui au théâtre, et j’ose croire que ces notes ne seront pas inutiles. En vérité, cet homme-là me fera faire encore une tragédie. Il me semble que je commence à connaître l’art, en étudiant mon maître à fond.

Je ne sais comment iront les souscriptions ; mais je travaille à bon compte. Pourriez-vous avoir la bonté de me dire si Duclos est revenu ? Je lui crois un zèle actif qui me va comme de cire 4.

Et Oreste, que devient-il ? est-il fondu par les chaleurs ? M. le comte de Lauraguais me dédie le sien 5, et il est encore plus grec, encore plus déclamateur que le mien.

Omer est un grand cuistre ; mais Corneille est un grand homme.

Oncle, nièce, et pupille, hommage aux anges.

V.»

1 Mort le 5 juillet 1761 .

2 Vers cette époque, peut-être, d'Argental écrivait à V* sur ce sujet : « J'ai relu Zulime avec beaucoup d'attention, elle m'a fait grand plaisir, mais je crois sentir qu'elle pourrait m'en faire davantage […] Zulime est un édifice […] dont les fondements sont faibles et insuffisants . [Ils] devraient être dans l'explication de l'aventure, et selon moi cette explication laisse une infinité de choses à désirer [suit tout le détail des modifications à envisager]. […] la pièce une fois fondée elle doit faire le plus grand effet sur tout le monde , étant remplie de passion, écrite avec chaleur, et conduite avec raison . Il y aurait pourtant plusieurs vers à changer, quelques endroits à fortifier […] en un mot des négligences […] J'en ai marqué un petit nombre . Je suis sûr que vous en trouverez davantage . »

3 La tragédie de Don Pedre .

4 Dictionnaire de Furetière : « On dit […] comme de cire pour dire fort à propos . »

5 La tragédie de Clytemnestre . Voir lettre du 1er avril 14761 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/04/07/c-est-quelque-chose-d-avoir-fait-cinq-actes-sans-amour-quand.html

 

13/06/2016

Par tout pays on trouve des esprits très mal faits, et par tout pays il faut se moquer d’eux. On serait vraiment bien à plaindre si on faisait dépendre son plaisir du jugement des hommes.

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Avis aux candidats aux présidentielles ! Je ne cite pas de noms, pour ne pas vous saouler , à chacun ses préférés/détestés .

 

 

« Au marquis Francesco Albergati Capacelli 1

senatore di Bologna

per Milano

à Bologna

Monsieur, depuis longtemps je suis réduit à dicter ; je perds la vue avec la santé ; tout cela n’est point plaisant. Votre belle épître est pour moi une grande consolation ; je vois toujours que tutto il mondo è fatto come la nostra famiglia 2. Par tout pays on trouve des esprits très mal faits, et par tout pays il faut se moquer d’eux. On serait vraiment bien à plaindre si on faisait dépendre son plaisir du jugement des hommes.

Tancrède vous a bien de l’obligation, monsieur : Phèdre vous en aura davantage . Je me mets aux pieds de M. Paradisi. Si jamais j’ai un moment à moi, je lui adresserai une longue épître ; mais le peu de temps dont je peux disposer est consacré à dicter des notes sur les pièces du grand Corneille qui sont restées au théâtre. Cet ouvrage, encouragé par l’Académie française, pourra être de quelque usage aux étrangers qui daignent apprendre notre langue par les règles, et aux légers Français qui l’apprennent par routine. Le produit de l’édition sera pour l’héritière de Corneille, que j’ai l’honneur d’avoir chez moi, et qui n’a que ce grand nom pour héritage. N’est-il pas vrai que vous prendriez chez vous la petite-fille du Tasse, s’il y en avait une ? Elle mangerait de vos mortadelles, et boirait de votre vin noir. La petite-fille de Corneille en boira à votre santé dans un petit château très joli, en vérité, et qui serait plus joli si je l’avais bâti dans la Romagne .

Vous avez bien raison, monsieur, de vanter ma religion, car je construis une église qui me ruine. Autrefois, qui bâtissait une église était sûr d’être canonisé, et moi je risque d’être excommunié en me partageant entre l’autel et le théâtre. C’est apparemment ce qui fait que je reçois quelquefois des lettres du diable 3 ; mais je ne sais pourquoi le diable écrit si mal et a si peu d’esprit. Il me semble que, du temps du Dante et du Tasse, on faisait de meilleurs vers en enfer.

J’espère que, dans ce monde-ci, la lettre dont vous m’avez honoré inspirera le bon goût, et fermera la bouche aux parolai 4. Soyez sûr que, du fond de ma retraite, je vous applaudirai toujours ; que je m’intéresserai à tous vos succès, à tous vos plaisirs. Je me regarde comme votre véritable ami, et je vous serai inviolablement attaché jusqu’au dernier moment de ma vie.

V.

Au château de Ferney en Bourgogne

par Genève, 8è juillet 1761.»

 

1 Original signé , mention « fco Milano », copie par Albergati qui altère dans la Romagne en près de Bologne qu'on retrouve dans l'édition de Kehl qui supprime au début -et toutes les éditions suivantes- les mots l'âge avance, et Votre belle épître […] consolation . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-28-122085604.html

V* répond ici à une longue lettre sur le théâtre, du 30 juin 1761 où Albergati écrivait : « Vous vous êtes plaint à moi fort souvent des petits maîtres, qui s'érigent en juges […] Hélas ! L'Italie en fourmille […] Le bon goût pour le théâtre, grâce à ces messieurs-là , ne bat que d'une aile et est prêt à tomber . La musique et la danse en ont exilé la brillante comédie et la tragédie passionnée […]Dans les loges, dans le parterre ce sont les spectateurs qui veulent fixer l'attention et se faire remarquer par leur bruit : les acteurs doivent être contents de l'argent qu'ils gagnent . Quel dommage ne serait-ce en effet si les amateurs de spectacles devaient se tenir muets dans leurs places, et entendre patiemment parler les Voltaire, les Racine, les Corneille, les Molière, les Goldoni […] Le bon sens étant proscrit , il n'est pas étonnant, si les opéras et la danse exercent leur despotisme, car ce sont les spectacles les mieux goûtés par ces compagnies d'étourdis […] Les eunuques et les danseurs, dont nous sommes véritablement inondés, sont pour l’art comique et tragique autant de Goths, d'Hérules, et de Vandales, qui dans les théâtres ont apporté ou secondé l'ignorance et le mauvais goût . L'extravagance des opéras sérieux, les grimaces des burlesques, et la mimique des ballets sont restés maîtres de la place . Le célèbre Goldoni, qui a mérité vos éloges, a fait connaître que l'on peut rire sans honte, s'instruire sans s'ennuyer, et s’amuser avec profit . Mais quel essaim de babillards et de censeurs indiscrets s’éleva contre lui ! Pour ceux que je connais personnellement, je les divise en deux classes : la première comprend une espèce de savants vétilleux que nous appelons parolai, juges et connaisseurs de mots, qui prétendent que tout est gâté, dès qu'une phrase n'est pas tout à fait cruscante, dès qu'une parole est tant soit peu déplacée, ou l'expression n'est pas assez noble et sublime […] L'autre classe, qui est la plus fière, est un corps respectable de plusieurs nobles des deux sexes, qui crient vengeance contre M. Goldoni, parce qu'il ose exposer sur la scène le comte , le marquis , et la dame avec des caractères ridicules et vicieux, qui ne sont pas parmi nous, ou qui ne doivent pas être corrigés […] Les Athéniens punissaient rigoureusement tout auteur comique, dont la raillerie était générale et indirecte . Ils voulaient qu'on nommât les personnes, quel que fût leur rang […] M. Goldoni a répété tout cela plusieurs fois pour obtenir son pardon […] Il a fait le sourd, il a continué son train, et par là il a obtenu la réputation d'auteur admirable, et de peintre de la nature […] Votre Tancrède a reçu jusqu'à présent tout le lustre qui pouvait convenir à un excellent ouvrage . Composé par M. de Voltaire, traduit en vers blancs par M. Augustin Paradisi, l'un de nos meilleurs poètes […] La traduction en est admirable […] d'ici à quelques jours je jouerai votre Tancrède [à ma maison de campagne] je joindrai la Phèdre de Racine, que j'ai traduite en vers blancs moi-même . »

La lettre d'Albergati répondait à celle de V* du 23 décembre 1760 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/12/23/je-pardonne-de-tout-mon-coeur-a-tous-ceux-dont-je-me-suis-mo-5737506.html

2 Propos d’Arlequin, proverbe cité souvent par V* .

4 Savants méticuleux qui ergotent sur les mots ; voir lettre d'Albergati en note 1 .