19/04/2019
Notre nation n'a de goût que par accident
... Et l'élan pour restaurer Notre Dame ne fait que confirmer ce constat voltairien .
Ici on peut dire "goût pour les vieilles pierres", ce qui ne m'étonne aucunement dans un pays où l'esprit de clocher est si vif et le sentiment de propriétaire si prédominant .
Je suis estomaqué par les sommes récoltées ou promises pour ce tas de cailloux [sic], écrin de reliques pour croyants béats qui ne supporteraient pas la moindre analyse scientifique .
[NDLR : James est particulièrement outré, et ne supporte pas qu'on puisse en si peu de temps apporter autant d'argent qu'on refuse aux Restos du Coeur et au Droit au Logement, pour ne citer qu'eux ].
Au reste , je suis pour la reconstruction, nos ancêtres en ont assez bavé pour édifier ce monument qui ne doit pas disparaitre .
« A Nicolas-Sébastien Roch de Chamfort 1
[mars 1764] 2
Je saisis, monsieur, avec vous et avec M. de La Harpe 3, un moment où le triste état de mes yeux me laisse la liberté d'écrire . Vous parlez si bien de votre art, que si même je n'avais pas vu tant de vers charmants dans La Jeune Indienne 4, je serais en droit de dire, voilà un jeune homme qui écrira comme on faisait il y a cent ans 5. La nation n'est sortie de la barbarie que parce qu'ils s'est trouvé trois ou quatre personnes à qui la nature avait donné du génie et du goût qu'elle refusait à tout le reste . Corneille par deux cents vers admirables, répandus dans ses ouvrages, Racine par tous les siens, Boileau par l'art inconnu avant lui de mettre la raison en vers, un Pascal, un Bossuet, changèrent les Welches en Français ; mais vous paraissez convaincu que les Crébillon, et tous ceux qui ont fait des tragédies aussi mal conduites que les siennes, et des vers aussi durs et aussi chargés de solécismes, ont changé les Français en Welches . Notre nation n'a de goût que par accident, il faut s'attendre qu'un peuple qui ne connut pas d'abord le mérite du Misanthrope et d'Athalie, et qui applaudit à tant de monstrueuses farces, sera toujours un peuple ignorant et faible, qui a besoin d'être conduit par le petit nombre des hommes éclairés ; un polisson comme Fréron ne laisse pas de contribuer à ramener la barbarie . Il égare le goût des jeunes gens qui aiment mieux lire pour deux sous ses impertinences, que d'acheter chèrement de bons livres, et qui même ne sont pas souvent en état de se former une bibliothèque . Les feuilles volantes sont la peste de la littérature .
J'attends avec impatience votre Jeune Indienne . Le sujet est très attendrissant . Vous savez faire des vers touchants, le succès est sûr, personne ne s'y intéressera plus que votre très humble et très obéissant serviteur .
V. »
1 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9bastien-Roch_Nicolas_de_Chamfort
et : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/sebastien-roch-nicolas-dit-chamfort
2 Copie Beaumarchais-Kehl datée de janvier 1764 par l'éditeur, suivi par les autres éditions ; mais il faut voir la lettre du 25 mai au même . Le manuscrit olographe est passé en vente à Paris le 20 mars 1903 chez Charavay .
3 S'il s'agit d'une lettre de La Harpe, elle n'est pas connue .
4 Comédie en un acte, en vers, représentée le 30 avril 1764 ; voir : http://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/CHAMFORT_LAJEUNEINDIENNE.pdf
5 Chamfort est né en 1741 .
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18/04/2019
elle sait combien nous lui sommes attachés
...Qui donc ?
Notre-Dame ? May be !
Mais plus certainement Mam'zelle Wagnière, fidèle âme de Monsieurdevoltaire, qui me manque absolument depuis un mois . Revenez-nous vite !
« A Catherine-Josèphe de Loras du Saix, baronne de Monthoux 1
[vers mars 1764]
Nous remercions tendrement madame la baronne de Monthoux, elle sait combien nous lui sommes attachés, Mme Denis et moi . Je lui présente mes très humbles respects .
Voltaire . »
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17/04/2019
mais j'ai cru voir, en vous lisant, toutes ces choses qui tiennent du prodige
... Non, ici je ne m'adresse pas à Emmanuel Macron après lecture de son programme d'après Grand Débat, mais à d'autres auteurs de science-fiction, tel Asimov , Vernes ou Robida qui eux aussi peuvent nous faire rêver .
« A Joseph Uriot
Du château de Ferney par Genève
[mars 1764] 1
Vous décrivez vos belles fêtes, monsieur, d'une manière digne du grand et aimable prince qui les a données .
Vous êtes bon bibliothécaire, mais vous ne trouverez rien dans ses livres qui approche de son goût et de sa magnificence . Je n'ai jamais senti si cruellement ce que c'est que la vieillesse et la mauvaise santé que quand elles m'ont empêché l'une et l'autre de me mêler dans la foule des admirateurs ; mais j'ai cru voir, en vous lisant, toutes ces choses qui tiennent du prodige .
Je ne puis trop vous remercier de l'attention que vous avez eue de m'en faire parvenir une relation qui vous fera honneur partout où les beaux-arts seront connus et cultivés .
Je suis avec tous les sentiments qui vous sont dus
monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi . »
1 Joseph Uriot : « Description des fêtes données à l'occasion du jour de naissance de […] Mgr le duc régnant de Wurtemberg et Teck , 1764 » ; La fête en question eut lieu le 11 février 1764, et il y eut un compte-rendu de la cérémonie dans le Journal encyclopédique du 1er mai 1764 ; V* connait Uriot depuis son séjour à Berlin .
09:32 | Lien permanent | Commentaires (0)
la tête me tourne, je suis accablé de maux et d'affaires
... Remettez-vous, monsieur le président, tout ne va pas si mal .
Pour Pâques les cloches s'envolent pour Rome, dommage que certains n'y restent pas .
« A Gabriel Cramer
[mars 1764] 1
Je renvoie à monsieur Cramer O et Q, n’ayant point P .
La vie de Molière, et les sommaires de ses pièces, sont un ouvrage bien médiocre ; il faudra le fortifier ; mais la tête me tourne, je suis accablé de maux et d'affaires ; et si le visage de monsieur Gabriel grossit, ma cervelle diminue . Je le prie instamment d'écrire à quelque libraire florentin, d'envoyer régulièrement tous les livres nouveaux d’Italie qui vaudront la peine d'être lus ; c'est pour la Gazette littéraire que M. le duc de Praslin protège . Je serai très obligé à monsieur Caro de la bonté qu'il aura . »
1 L'édition Gagnebin place la lettre en juillet , mais elle est datée correctement ici par rapport à l'enflure de la face de Cramer .
08:09 | Lien permanent | Commentaires (0)
16/04/2019
Je crois qu'il faudra nécessairement attendre que cet orage soit passé
... Oui, laissons refroidir les cendres de Notre Dame . Et dans le même temps bouillons de colère devant l'avalanche de crédits et cagnottes accordés pour sa restauration alors qu'il y a quinze jours les expulsions de logements ont repris et qu'il y a encore des milliers de sans-abris . Mme Hidalgo, maire de Paris, vous êtes fort généreuse avec les deniers publics pour sauver un monument et radine comme Harpagon pour loger les miséreux : gestion la-men-ta-ble , mentalité de m'as-tu-vu, seriez-vous une lâche soucieuse du qu'en dira-t-on si vous n'apportiez pas votre quote part ? C'est ce que je crois .
De plus, sans vouloir jouer les Cassandre, je parie qu'un certain nombre de cagnottes vont finir dans des poches qui n'apporteront pas d'eau bénite à la cathédrale .
Cendré de Notre Dame ... pour vous restaurer
« A Gabriel Cramer
[mars 1764]
Je renvoie à mon cher Caro les feuilles E et F. La feuille F fourmille de fautes, le prote 1 doit y mettre toute son attention .
J'enverrai chercher incessamment les deux douzaines de Corneille en deux paquets . Je n'ai nulle nouvelle de la Tolérance, on est toujours aux trousses de l'archevêque et des jésuites . Je crois qu'il faudra nécessairement attendre que cet orage soit passé . »
1 Voir : http://www.cnrtl.fr/definition/prote .
Wagnière n'a pas compris ce mot et a écrit « Le Prost » (il récidivera dans la lettre du 25 mars à Cramer, écrivant Le Prault comme s'il s'agissait du libraire Le Prault ) . La faute n'est pas sans intérêt car elle semble marquer que V* prononçait fermé le o de prote, qui aujourd'hui est ouvert .
16:07 | Lien permanent | Commentaires (0)
c'est la 52è ou 53è personne de la cour exilée ou emprisonnée sous le règne de Louis le Bien-Aimé
... Le Bien-Aimé n'est évidemment pas un Bien-Aimant . Alors, comparativement, combien peuvent s'attendre à être félicités sous la houlette d'Emmanuel le Détesté, lequel vient , visiblement très ému, de décider que tout sera fait pour la reconstruction de Notre-Dame .
Au passage, je suis émerveillé par le talent de nos anciens qui ont été capables avec leurs faibles moyens mécaniques et un immense savoir faire, de bâtir une si résistante structure , alors que dans notre temps on a des ponts qui s'effondrent en moins d'un demi-siècle, édifiés par des entrepreneurs négligents sans scrupules .
Allez, tout le monde au boulot !
« A Gabriel Cramer
[vers le 15 mars 1764] 1
J’envoie pâture à monsieur Gabriel ; il fera sans doute faire un nouveau feuillet pour le lettre A, dans laquelle il se trouve un demi-vers pour un vers entier avec d'autres fautes .
Nous ne pouvons parvenir à nous faire envoyer le mandement de Christophe et celui de Caveyrac . Je crois qu'on intercepte tous les imprimés qu'on envoie par la poste . Il n'est pas encore avéré qu'il 2 ait exilé le duc de La Vauguyon, mais s'il l'est, c'est la 52è ou 53è personne de la cour exilée ou emprisonnée sous le règne de Louis le Bien-Aimé. »
1 L'édition Gagnebin place la lettre en décembre 1763 ; mais il est clair que les brochures dont il est ici question sont celles mentionnées dans les lettres du 11 mars 1764 à d'Argental et celle du 11 mars 1764 à Damilaville ; voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/06/si-elle-est-sage-elle-est-perdue-si-elle-est-maligne-elle-est-odieuse.html
Voir aussi l'allusion au duc de La Vauguyon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/13/tout-ce-que-je-souhaite-a-vos-neveux-a-vos-fils-a-vos-petits-fils-c-est-qu.html
2 Il semble que cet il représente par anticipation Louis le Bien-Aimé qu'on voit plus loin .
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15/04/2019
je demande à être reçu partie contre quiconque voudra s'arroger le droit de me défigurer comme on a déjà fait
... Voltaire, bien avant Jean-Michel Blanquer se fait combattant "contre la désinformation" , mais ce que va bien pouvoir déclarer Emmanuel Macron ce soir risque bien d'être automatiquement défiguré, si j'en juge par les critiques faites dès avant sa prise de parole . Poste peu enviable en ce moment que celui de président de la République en France !
« A Pierre Guy
Je déclare qu'aucun libraire de Paris n'a ni ne peut avoir le privilège de mes ouvrages ; que tous les privilèges pour l'impression des pièces de théâtre que j'ai eu le malheur de faire, étant expirés, si le droit de réimprimer appartient à quelqu'un, c'est à moi seul ; que ce droit est mon bien, que c'est à moi d'en gratifier qui le voudrait ; qu'un privilège de jouir de mon bien, sans mon consentement, ne peut être légalement obtenu ; que je demande à être reçu partie contre quiconque voudra s'arroger le droit de me défigurer comme on a déjà fait ; que je ne peux ni ne dois me dépouiller de mon bien qu’en faveur de ceux qui me demanderont ma permission, à condition de m'imprimer correctement selon les lois de la librairie, et de ne donner sous mon nom aucun des ouvrages qu'on m'attribue faussement .
Fait à Genève le 15 de mars 1764 1
Voltaire
de l'Académie française
gentilhomme ordinaire du roi. »
1 D'après une copie ancienne, qui a dû former la dernière page d'une copie d'une lettre du 16 mars à Damilaville , où les derniers mots (N.B. – Je vous suis très obligé de l'avis que vous me donnez sur Guy Duchesne . Voici ma réponse ) précèdent ce billet .
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