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06/02/2014

Je peuplerai le pays de Gex de perdrix ; je voudrais le peupler d'hommes : Sed funerata est pars illa qua nunquam Achilles eram [je fais mon deuil de cette partie du corps qui jadis faisait de moi un Achille]

... Enfin, n'exagérons pas, cette partie de mon corps est encore bien vivante même si elle demande plus de repos que d'activité, c'est là mon tendon d'Achille .

Volti a fait son deuil de son désir de paternité .

Je constate qu'il est plus aisé de faire proliférer du gibier à plumes que des bipèdes à poils dans ce pays de Gex qui, pourtant, actuellement, est riche d'enfants de toutes nationalités ; il demeure suffisamment d'Achilles et de Cérès .

 achille.png

 

 

« A Charles de BROSSES , baron de Montfalcon
Aux Délices, 17 janvier [1759].
Distinguons les temps, monsieur ; vos biberons bourguignons vous ont dit qu'on n'arrachait pas les ceps pendant l'hiver ! Oui, quand on est en hiver; mais nous sommes dans le printemps, et jamais la saison n'a été plus favorable. Je plante actuellement à Tournay les vignes que M. Le Bault a eu la bonté de m'envoyer; le temps des gelées est passé ; ayez la bonté de ne pas croire ceux qui n'ont qu'une routine aveugle. Envoyez-moi vos vignes, et j'en réponds. Elles seront plantées avec la même célérité que votre escalier a changé de place, que les prés ont été réparés, les haies raccommodées, les fossés nettoyés et élargis, et le champ par delà la forêt labouré pour la première fois de sa vie. Si je meurs à la peine, vous jouirez du fruit de mes soins. Je présente mes respects et mes remerciements à monsieur votre frère 1.
Il serait mieux que je fusse lieutenant des chasses 2. Monsieur votre frère n'a point de gardes; et j'en ai. Je peuplerai le pays de Gex de perdrix ; je voudrais le peupler d'hommes : Sed funerata est pars illa qua nunquam Achilles eram.3
Est-ce monsieur votre frère ou monseigneur le comte de La Marche 4 qui fait des lieutenants ?
Il faudra bien que Charlot enlève ses bois avant la mi-mars, suivant l'ordonnance ; sans quoi tout le taillis serait perdu.5
Je crois, monsieur, qu'il vous convient de sacrifier au moins cinq cents livres pour la réparation du chemin de Prégny qui conduit à Tournay. Mme Galatin vous en supplie. Les embellissements que je fais à Tournay trois, ans avant le temps prescrit et le soin prématuré que je prends de la terre méritent cette légère condescendance de votre part. Dès que le chemin de Genève à Prégny sera en train, je vous prierai de donner vos ordres à Girod pour les corvées sur le chemin dont vous vous êtes chargé.
Vous dictez aussi bien que vous écrivez ; mais ayez soin de vos yeux. Conservez-moi vos bontés.
Mes respects à Mme de Brosses.

V. »

1 Le comte de Tournay : Claude-Charles de Brosses, comte de Tournay, frère du Président, né à Dijon le 18 mars 1713, mort le 21 janvier 1793, sans avoir été marié. Entré au service en 1729, il a fait les guerres d’Allemagne de 1732 à 1742 et s’est retiré en 1744 capitaine au régiment de Nice, élu de la noblesse en 1745, bailli de Gex de 1741 à 1771, il était très lié avec son frère, avec qui il demeurait. Le président de Brosses avait deux sœurs, Barbette et Charlotte, chanoinesses du chapitre noble de Neuville-les-Dames, près de Lyon ; la première, née en 1710, morte en 1750 ; la seconde, née en 1717, morte en 1776.

Pour De Brosses , voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Brosses

et : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/2009/litterature-et-sciences-humaines/charles-de-brosses

et : Éloge , dans : http://books.google.fr/books?id=dhXd4V77IAAC&pg=PA22&lpg=PA22&dq=fr%C3%A8re+de+charles+brosses&source=bl&ots=CMepL8C5Gh&sig=PkVPY7TxhbhMmX6nWRpfwfI31QI&hl=fr&sa=X&ei=rpPzUs_nOsa50QWHoYHgCA&ved=0CGsQ6AEwCQ#v=onepage&q=fr%C3%A8re%20de%20charles%20brosses&f=false

2 Probablement de la permission de chasser accordée au mousquetaire Daumart, cousin maternel de Voltaire. Voir lettre du 5 janvier 1759 à de Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/25/ce-sont-eux-qui-sont-les-dupes-car-ils-ne-savent-pas-jouir-5280721.html

3Citation inexacte de Pétrone, Satiricon, CXXIX, i : je fais mon deuil de cette partie du corps qui jadis faisait de moi un Achille .

4 Fils du prince de Conti et engagiste du pays de Gex. C'est lui que Voltaire désigne sous le nom de monseigneur Paramont, dans sa lettre à de Ruffey le 7 janvier 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/28/temp-9ee06d05759e36b154a1b0ee4b13e6d4-5283220.html

5Lettre de De Brosses du 12 janvier 1759 : « Il est vrai qu'on a mis un certain nombre de chênes au niveau des herbes pour certaines raisons à moi connues ; mais la faim de l'or ne contraint-elle pas les poitrines mortelles. »

 

05/02/2014

je ne doute pas qu'il ne se rende à vos justes représentations puisqu'elles ont pour objet le bien public

... N'est-ce pas monsieur le président ?

A moins que le bien public ne soit ici ,-manif pour tous-, qu'un bien privé et personnel à usage domestique et profitable pour le sacro-saint râleur enchristé ou non.

Avec Benoît (Poolvorde, pas Benoit-Renault 16 démodée ) rigolons un peu ; http://www.levif.be/info/actualite/insolite/benoit-poelvoorde-se-moque-de-la-manif-pour-tous-video/article-4000518617737.htm

 De son côté l'autre François pense lui aussi au bien public , en vendant sa Harley pense-t-il se convertir au Scoot ? : http://moto.caradisiac.com/Insolite-la-Harley-Davidson-du-Pape-aux-encheres-229

 

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« A Louise-Suzanne Gallatin Vaudenet

à Genève

M. le président de Brosses répond à la proposition des mille livres pour le chemin de Prégny 1 par ce vers du légataire universel,2 Comment donc mille francs ? Quinze ou vingt écus passe . Madame Gallatin obtiendra peut-être une réponse plus libérale . Je vais écrire pour cinq cents livres . Je me chargerai d'ailleurs de tout le chemin depuis les États de la république jusqu'au château, ou masure de Tournay . Je présente mes respects à monsieur et madame Gallatin . Je suis à leurs ordres pour ma vie .

Voltaire Aux Délices 16 janvier [1759] »

 

 

« "A Louise-Suzanne Gallatin Vaudenet

 

Il faut vous mettre au fait, madame,. Ce n'est point du tout l'argent de M. de Brosses dont il s'agit, c'est le mien . C'est moi et non lui qui donnerai les 500 livres . Mais il faut qu'il y consente par les conventions faites entre nous . Je serais étonné et affligé s'il ne se prêtait à un ouvrage si nécessaire . Il ne débourse rien, c'est moi seul qui paye . Vous pouvez , madame, lui écrire en conformité . Je vous en supplie même et je ne doute pas qu'il ne se rende à vos justes représentations puisqu'elles ont pour objet le bien public . Je vous présente mon respect aussi bien qu’à monsieur Gallatin .

Aux Délices 16/17 janvier [1759] 3»

2 Le Légataire universel, de Regnard, acte V, sc. vii, où il est question de 6000 francs .Vers 1780 : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/REGNARD_LEGATAIRE.xml

3 Avec mention « Saint Jean 17 janvier 1759 » sur le manuscrit olographe .

 

Je n'ai pas un moment à moi

... Bonne année du cheval ,... sans fièvre .

http://www.youtube.com/watch?v=BmG0mPoWMkA

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« A Cosimo Alessandro Collini

gouverneur

de M. le comte de Bauer

à Strasbourg

Aux Délices 16 janvier [1759]

Comme j'ai ici toutes les pièces, je vais faire dresser un mémoire 1. Il faudra d'abord que vous fassiez assigner Smith par-devant le conseil de Francfort en réparation de votre arrêt injuste, que vous redemandiez deux mille écus qu'on vous vola, et vingt mille francs de dépens , dommages et intérêts . La ville déniera justice et alors je me fais fort de faire condamner Smith à Vienne sans qu'il en coûte rien . Mes compliments à Mme de Lussbourg . Je n'ai pas un moment à moi . Je vous embrasse de tout mon cœur .

V. »

1 Voltaire ayant appris que le prince de Soubise, nommé maréchal de France le 19 octobre 1758, dirigeait la marche de l'armée française du côté de Francfort-sur-le-Main, envoya bientôt à Colini un Mémoire contenant les principaux détails de l'avanie du mois de juin 1753, avec un modèle de lettre qu'il engageait son ancien secrétaire à adresser au nouveau maréchal. Colini ne fit aucun usage du Mémoire ni de la lettre. Le Mémoire, selon lui, était dicté par une juste animosité; mais certains personnages y étaient présentés sous un jour si défavorable qu'il crut devoir, même après la mort de Voltaire, laisser cet écrit dans l'oubli.

 

04/02/2014

Les huit mois de retardement me font beaucoup de peine . Ils ne prouvent rien d'agréable . Tout a bien mal tourné

... Hors la peine supposée, voilà à peu près ce que peuvent dire les footeux devant le manque de fiabilité brésilienne . Ils (les danseurs de samba ou footballers, parfois maçons ) sont bien meilleurs avec leurs pieds qu'avec leurs mains (quoiqu'ils ne soient pas en reste quand il s'agit de contrôler un ballon grâce à la main de Dieu) .  Il est vrai que la truelle et la pince à ferrailler sont d'un usage plus complexe et fatigant .

 Sao Polo n'a pas levé le petit doigt pour bénir cette "église païenne", mais de là à penser que c'est lui qui a fait tomber une grue   dessus ... En tout cas , ça ne me rassurerait pas d'avoir un toit si fragile au-dessus de la tête .

 

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« Au baron Heinrich Anton von Beckers

Aux Délices route de Genève

16 janvier 1759 1

Monsieur, j'ai reçu l'honneur de votre lettre . Les huit mois de retardement me font beaucoup de peine . Ils ne prouvent rien d'agréable . Tout a bien mal tourné . Je vous ai une extrême obligation monsieur de de ne point retarder pour moi l'effet des bontés de Son Altesse électorale . J'en ai d'autant plus besoin que je suis obligé de rétablir entièrement la comté de Tournay dont j'ai fait l'acquisition dans mon voisinage des Délices ; et qu'on commence toujours par se ruiner dans une terre avant d'en pouvoir tirer le moindre avantage . Votre Excellence doit être instruite qu'il en coutera quelques florins pour le change . C'est une petite charge que Mgr l’Électeur a bien voulu supporter . Je compte incessamment avoir l'honneur d'envoyer à Votre Excellence mon reçu pour les six derniers mois de l'année 1758 . Vous n'ignorez pas que mon capital fut envoyé à Francfort dès le mois de novembre lorsque j’eus l'honneur de contracter . Par conséquent ce serait en novembre qu'aurait dû commencer mon année . Mais la facilité des paiements et l'ordre naturel ont semblé demander que je fusse payé de six mois en six mois au premier janvier et au premier juillet . Il est vrai que la première année je ne reçus des lettres de change qu'en février et que je ne fus payé qu'en mars . Mais je n'en suis que plus reconnaissant de la bonté que veut bien avoir Votre Excellence de me faire payer au premier janvier de cette année, et de m'avoir fait payer au premier juillet 1758 . Je n'avais pas besoin de cette attention obligeante pour vous être particulièrement attaché . Quelques soins que me donnent mes terres, j'espère toujours venir faire ma cour à Schuetzingen . Vous savez combien mon cœur appartient à Son Altesse électorale . Je fais mille vœux pour sa prospérité .

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments les pus respectueux et les plus tendres

monsieur

de votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire »

1 Le manuscrit olographe porte la mention écrite par Von Beckers précisant que la lettre a été reçue le 21 et que réponse a été faite le 27 (on ne connait pas celle-ci).

 

Mon cher baron, faites-moi avoir mes 6500 livres dont j'ai besoin

... Ce n'est pas la demande insistante d'un membre de la famille royale d'Angleterre à un noble lord de la gentry pour pouvoir arrondir sa pension .

Ce n'est pas non plus la demande d'un bibliophile en état de manque .

C'est juste une injonction à un banquier afin de faire face aux (grosses) dépenses de ce nouveau propriétaire-exploitant agricole  qu'est Voltaire, notre touche à tout préféré .

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« A Jean-Louis Labat, baron de Grandcour

Mon cher baron, faites-moi avoir mes 6500 livres 1 dont j'ai besoin . Endossez vite ma lettre de change, faites-la partir . On trouve ses amis dans l'occasion . Que voulez-vous que j'écrive à Mme la duchesse de Gotha ?2 Je vous embrasse .

V.

13 janvier [1759] »

2 Voir lettre du 17 octobre 1758 à la duchesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/24/je-lui-dis-que-ce-n-est-pas-assez-d-etre-baron-qu-il-faut-en-5229069.html

V* lui écrira à nouveau le 25 janvier 1759  et lui dira ce qu'il pense de Labat : page 18 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f30.image....

 

 

03/02/2014

Oh! qui est-ce qui n'a pas d'esprit dans ce siècle? Mais du talent, du génie, où en trouve-t-on?

... Au XXIè siècle comme au XVIIIè, l'éternelle question demeure posée . Et ce ne sont pas des jurés avec buzzers qui apporteront une réponse juste ! C'est tout juste s'ils apporteront un maigre avis, pour faire bonne figure sur le petit écran , avec un enthousiasme de façade, histoire de faire croire à la venue d'un nouveau messie du show biz (show must go on ! ) .

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« A Louis-Elisabeth de La Vergne, comte de Tressan
Aux Délices, 12 janvier 1759.
Oui, il y a bien quarante ans, mon charmant gouverneur, que je vis cet enfant pour la première fois, je l'avoue ; mais avouez aussi que je prédis dès lors que cet enfant serait un des plus aimables hommes de France. Si on peut être quelque chose de plus, vous l'êtes encore. Vous cultivez les lettres et les sciences, vous les encouragez. Vous voilà parvenu au comble des honneurs, vous êtes à la tête de l'Académie de Nancy.
Franchement, vous pourriez vous passer d'académies, mais elles ne peuvent se passer de vous. Je regrette Formont, tout indifférent qu'était ce sage ; il était très-bon homme, mais il n'aimait pas assez . Mme de Graffigny 1 avait, je crois, le cœur plus sensible ; du moins les apparences étaient en sa faveur . Les voilà tous deux arrachés à la société dont ils faisaient les agréments. Mme du Deffant, devenue aveugle, n'est plus qu'une ombre. Le président Hénault n'est plus qu'à la reine; et vous, qui soutenez encore ce pauvre siècle, vous avez renoncé à Paris.
S'il est ainsi, que ferais-je dans ce pays-là? J'aurais voulu m'enterrer en Lorraine, puisque vous y êtes, et y arriver comme Triptolème, avec le semoir de M. de Châteauvieux 2. Il m'a paru que je ferais mieux de rester où je suis. J'ai combattu les sentiments de mon cœur ; mais, quand on jouit de la liberté, il ne faut pas hasarder de la perdre. J'ai augmenté cette liberté avec mes petits domaines; j'ai acheté la comté de Tournay, pays charmant qui est entre Genève et la France, qui ne paye rien au roi, et qui ne doit rien à Genève. J'ai trouvé le secret, que j'ai toujours cherché, d'être indépendant. Il n'y a au-dessus que le plaisir de vivre avec vous.
Les vers dont vous me parlez m'ont paru bien durs et bien faibles à la fois, et prodigieusement remplis d'amour-propre.
Cela n'est ni utile ni agréable. Des phrases, de l'esprit, voilà tout ce qu'on y trouve. Oh! qui est-ce qui n'a pas d'esprit dans ce siècle? Mais du talent, du génie, où en trouve-t-on? Quand on n'a que de l'esprit, avec l'envie de paraître, on fait 3 un mauvais livre. Que vous êtes supérieur à tous ces messieurs-là, et que je suis fâché contre les montagnes qui nous séparent !4
Mettez-moi, je vous en prie, aux pieds du roi de Pologne ; il fait du bien aux hommes tant qu'il peut. Le roi de Prusse fait plus de vers, et plus de mal au genre humain. Il me mandait l'autre jour que j'étais plus heureux que lui 5; vraiment, je le crois bien; mais vous manquez à mon bonheur. Mille tendres respects. »

1 Morte le 12 décembre 1758.Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_de_Graffigny

3 Suivi de à coup sûr sur le manuscrit n°2 et les éditions .

4 Ce paragraphe manquant dans l'édition de Kehl à la suite de la copie de Beaumarchais, a été restitué par Clogenson .

5 Sans doute la lettre de novembre 1758 : « De FRÉDÉRIC II, roi de PRUSSE

Novembre 1758.

Je ne mérite pas toutes les louanges que vous me donnez. Nous nous sommes retirés d'affaire par des à-peu-près; mais avec la multitude de monde auquel il faut nous opposer, il est presque impossible de faire davantage nous avons été vaincus, et nous pouvons dire, comme François 1er: Tout a été perdu, hors l'honneur [fors]. Vous avez grande raison de regretter le maréchal Keith; c'est une perte pour l'armée et pour la société. Daun avait saisi l'avantage d'une nuit qui laissait peu de place au courage; mais mal gré tout cela nous sommes encore debout, et nous nous préparons à de nouveaux avancements, peut-être que le Turc, plus chrétien que les puissances catholiques apostoliques, ne voudra pas que des brigands politiques se donnent les airs de conspirer contre un prince qu'ils ont offensé, et qui ne leur a rien fait. Vivez heureux, et priez Dieu pour les malheureux, apparemment damnés, parce qu'ils sont obligés de guerroyer toujours. Vale. FÉDÉRIC. »

Voir lettre de V* de décembre 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/28/temp-b555f79d76e7ae3fab3f34c1730ff826-5256908.html

 

 

 

02/02/2014

On tremble de laisser échapper un mot qui peut être mal interprété, on ne peut plus penser par la poste

... Electronique, la poste électronique, rassurez-vous chers lecteurs . Le progrès est tel que les bonnes vieilles feuilles de papier couvertes de notre plus belle écriture sont le meilleur garant de la discrétion que doit garder tout échange d'écrits personnels , le meilleur mais avec une foule d'exceptions laissées à l'appréciation de fonctionnaires guette-au-trou . Le cabinet noir, ou quelle que soit sa couleur actuelle que je verrais bien caca d'oie, n'en a pas fini de sévir . A qui se fier ?

 

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Big Brother , tu n'as qu'à piocher sans fin dans nos blogs, SMS, Tweets, MMS, etc. Puisses-tu en crever d'indigestion et faire péter tes serveurs et f... un mal de crâne carabiné à tes gestionnaires humains .

 

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand 1

Aux Délices 12 janvier [1759]

Libre d'ambition, de soins et d'esclavage,

Des sottises du monde éclairé spectateur,

Il se garda bien d'être acteur,

Et fût heureux autant que sage .

Il fuyait le vain nom d'auteur,

Il dédaignait de vivre au temple de mémoire,

Mais il vivra dans votre cœur,

C'est sans doute assez pour sa gloire .

 

Les fleurs que je jette, madame, sur le tombeau de notre ami Formont,2 sont sèches et fanées comme moi . Le talent s'en va, l'âge détruit tout ; que pourriez-vous attendre d'un campagnard qui ne sait plus que planter et semer dans la saison ? J'ai conservé de la sensibilité, c'est tout ce qui me reste, et ce reste est pour vous, mais je n'écris guère que dans les occasions .

Que vous dirais-je du fond de ma retraite ? Vous ne me manderiez aucune nouvelle de la roue de la fortune sur laquelle tournent nos ministres du haut en bas, ni des sottises publiques, ni des particulières . Les lettres qui étaient autrefois la peinture du cœur, la consolation de l'absence, et le langage de la vérité, ne sont plus que de tristes et vains témoignages de la crainte qu'on a d'en trop dire, et de la contrainte de l'esprit . On tremble de laisser échapper un mot qui peut être mal interprété, on ne peut plus penser par la poste 3; je n'écris point au président Hénault ; mais je lui souhaite comme à vous une vie longue et saine . Je dois la mienne au parti que j'ai pris . Si j'osais je me croirais sage, tant je suis heureux . Je n'ai vécu que du jour où j'ai choisi ma retraite . Tout autre genre de vie me serait insupportable . Paris vous est nécessaire ; et il me serait mortel 4. Il faut que chacun reste dans son élément . Je suis très fâché que le mien soit incompatible avec le vôtre ; et c'est assurément ma seule affliction . Vous avez voulu aussi essayer de la campagne mais elle ne vous convenait pas . Il vous faut une société de gens aimables, comme il fallait à Rameau des connaissances en musique . Le goût de la propriété et du travail est d'ailleurs absolument nécessaire dans des terres . J'ai de très vastes possessions que je cultive . Je fais plus de cas de votre appartement que de mes blés et de mes pâturages ; mais ma destinée était de finir entre un semoir, des vaches et des Genevois . Ces Genevois ont tous une raison cultivée, et ils sont si raisonnables qu'ils viennent chez moi, et qu'ils trouvent bon que je n'aille jamais chez eux . On ne peut, à moins d'être La Popelinière, vivre plus commodément ; voilà ma vie, madame, telle que vous l'avez devinée, tranquille et occupée, opulente et philosophique, et surtout entièrement libre ; elle vous est absolument consacrée dans le fond de mon cœur, avec le respect le plus tendre, et l'attachement le plus inviolable .

V. »

1L'édition de Kehl introduisit des corrections arbitraires , notamment Mme de Pompadour pour La Popelinière .

2 Vers le 5 janvier, Mme du Deffand écrit à V* : « Je croyais que vous m'aviez oubliée, monsieur, je m'en affligeais sans m'en plaindre, mais le plus grande perte que je pouvais jamais faire et qui met le comble à mes malheurs, m'a rappelée à votre souvenir ; […] mais , monsieur, pourquoi refusez vous à mon ami un mot d'éloge ? Sûrement vous l'en avez trouvé digne, vous faisiez cas de son esprit, de son goût, de son jugement, de son cœur et de son caractère ; [...]pourquoi se serait-il loué que par moi ? Quatre lignes de vous soit en vers soit en prose honoreraient sa mémoire et seraient pour moi une vraie consolation. »

3 A cause du « cabinet noir » censure postale non officielle, d'un type toujours pratiqué par certains pays ; aujourd'hui le courrier électronique est encore plus exposé à la divulgation que le courrier-papier . Voltaire n'apprécierait pas cet espionnage non plus .

4 Tristement prémonitoire pour mai 1778 !