29/10/2011
nous ne pouvons nous passer ni d'habits ni de livres
Pas plus que Mme Denis et son tonton préféré, je ne peux vivre sans habits et sans livres ; toutefois , je dois à la vérité de dire que je vivrais plus facilement sans habits ( mon passé de sans-culotte ressurgit ! ) que sans livres , surtout les écrits de l'inimitable Volti .
Il est d'autres "livres" dont il ne peut se passer ...
Notre incorrigible amateur de café me fait sourire à l'évocation de ces "dix-huit livres de café" planquées dans une caisse et pour lesquelles les autorités suisses pouvaient demander des droits, alors qu'en ma verte jeunesse, mes parents passaient la frontière proche de Genève pour s'approvisionner en café helvétique , moins cher, au nez et à la barbe des gabelous français ; juste (?) retour des choses . Il est vrai qu'ils n'avaient point de recommandation, point de piston; point de "M. Hermani" pour faciliter ce modeste système D . Le café n'en était que meilleur .
L'art du café a plus d'un sens :
http://www.dailymotion.com/video/x4pcrk_de-l-art-de-faire...
« A Sébastien Dupont
Avocat
A Prangins, par Nion, pays de Vaud, 26 décembre [1754]
Vous êtes aussi essentiel qu'aimable, mon cher ami ; je vous parlerai d'affaires aujourd'hui . J'ai laissé cinq caisses entre les mains de Turckeim de Colmar, frère du Turckeim de Strasbourg . Je lui ai mandé, il y a un mois, de les faire partir, et je n'ai point eu de ses nouvelles . C’est l'affaire des messagers, me dira-t-on ; ce n'est pas celle d'un avocat éloquent et philosophe, j'en conviens , mais ce sera celle d'un ami . Je vous demande en grâce de parler ou de faire parler à ce Turckeim . Ces caisses contiennent les livres et les habits de Mme Denis et les miens, et nous ne pouvons nous passer ni d'habits ni de livres . Nous sommes venus passer l'hiver dans un beau château, où il n'y a rien de tout cela, et nous comptions trouver nos caisses à notre arrivée . J'ai donné au sieur Turckeim les instructions nécessaires ; je n'ai pas même oublié de lui recommander de payer les droits, en cas qu'on en doive, pour dix-huit livres de café qui sont dans une des caisses . Je l'ai prié de se munir d'une recommandation de M. Hermani pour le bureau qui est près de Bâle . Je n'ai rien négligé, et je n'en suis pas plus avancé . Il semble que mes ballots soient à la Chine, et Turckeim aussi ; mais vous êtes à Colmar, et j'espère en vous . J'ai écrit deux fois, en dernier lieu à ce Turckeim, par Mme Goll ; mais pendant ce temps là, elle était occupée du départ de son cher mari pour l'autre monde, et elle aura pu fort bien oublier de faire rendre mes lettres . Je m'imagine qu'elle ira pleurer son cher Goll à Lausanne, et que Mme de Klinglin n'aura plus de rivale à Colmar .
Je n'ai point encore vu M. de Brenles ; mais il viendra bientôt, je crois, nous voir dans notre belle retraite . Nous nous entretiendrons de vous et du R. P. Kroust, pour peu que M. de Brenles aime les contrastes . Je resterai ici jusqu'à la saison des eaux . Je n'ai pas trouvé dans le pays de Vaud le brillant et le fracas de Lyon, mais j'y ai trouvé les mêmes bontés . Les deux seigneurs de la régence de Berne m'ont fait tous deux l'honneur de m'écrire , et de m'assurer de la bienveillance du gouvernement . Il ne me manque que mes caisses . Permettez donc que je vous envoie le billet de dépôt dudit Turckeim ; le voici . Je lui écris encore . Je me recommande à vos bontés .
Notez bien qu'il doit envoyer ces cinq caisses par Bâle, à M. de Ribaupierre, avocat à Nion, pays de Vaud . J'aimerais mieux vous parler de Cicéron et de Virgile, mais les caisses l'emportent . Adieu ; je vous demande pardon, et je vous embrasse .
V. »
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27/10/2011
il est incorrigible, et c'est un libraire tout comme un autre
A propos "d'incorrigible", permettez-moi de vous faire part d'une tactique déloyale de la part de vendeurs sur EBay .
La voici : à chaque enchère que je fis, une enchère supérieure de 0.50 € apparut dans deux secondes suivantes, et ce, jusqu'à la dernière seconde du temps imparti . Résultat : "Vous n'avez pas remporté l'objet" !!
Il aurait été plus honnête d'annoncer un prix de retrait de l'objet si un plancher d'enchère n'était pas atteint ; il aurait été plus honnête de ne pas artificiellement inventer un enchérisseur concurrent, qui, ô merveille, me contrait immédiatement à quelque heure que j'intervienne .
Avez-vous déjà vécu ce type de contrariété ?
Viens-je de redécouvir le fil à couper le beurre dans ces médiocres méthodes E Baysiennes ?
Je crois bien m'être fait E-Bayser !!! Cocu, mais pas content .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
A Prangins, pays de Vaud, 25 décembre [1754]
Mon cher ange, vous ne cessez de veiller, de votre sphère, sur la créature malheureuse dont votre providence s'est chargée . Je suis toujours très malade dans le château de Prangins, en attendant que mes forces revenues, et le saison plus douce, me permettent de prendre les bains d'Aix, ou plutôt en attendant la fin d'une vie remplie de souffrances . Ma garde-malade vous fait les plus tendres compliments, et joint ses remerciements aux miens . Je n'ai ici encore aucun de mes papiers que j'ai laissés à Colmar ; ainsi je ne peux vous répondre ni sur les Chinois, ni sur les Tartares , ni sur les Lettres que M. de Lorges 1 veut avoir . Je crois au reste que ces lettres seraient assez inutiles . Je suis très persuadé des sentiments que l'on conserve, et des raisons que l'on croit avoir . Je sais trop quel mal cet indigne avorton d'une Histoire universelle, qui n'est certainement pas mon ouvrage, a dû me faire ; et je n'ai qu'à supporter patiemment les injustices que j'essuie . Je n'ai de grâce à demander à personne, n'ayant rien à me reprocher . J'ai travaillé, pendant quarante ans, à rendre service aux lettres ; je n'ai recueilli que des persécutions ; j'ai dû m'y attendre, et je dois les savoir souffrir . Je suis assez consolé par la constance de votre amitié courageuse .
Permettez que j'insère ici un petit mot de lettre pour Lambert, dont je ne conçois pas trop les procédés . Je vous prie de lire la lettre, de la lui faire rendre ; et, si vous lui parliez, je vous prierais de le corriger ; mais il est incorrigible, et c'est un libraire tout comme un autre .
Je ne peux rien faire dans la saison où nous sommes, que de me tenir tranquille . Si les maux qui m'accablent, et la situation de mon esprit, pouvaient me laisser encore une étincelle de génie, j'emploierais mon loisir à faire une tragédie qui pût vous plaire ; mais je regarde comme un premier devoir de me laver de l'opprobre de cette prétendue Histoire universelle, et de rendre mon véritable ouvrage digne de vous et du public . Je suis victime de l'infidélité et de la supposition la plus condamnable . Je tâcherai de tirer de ce malheur l'avantage de donner un bon livre qui sera utile et curieux . Je réponds assez des choses dont je suis le maître, mais je ne réponds pas de ce qui dépend du caprice et de l'injustice des hommes . Je ne suis sûr de rien que de votre cœur . Comptez, mon cher ange, qu'avec un ami comme vous on n'est point malheureux . Mille tendres respects à Mme d'Argental et à tous vos amis . »
20:51 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/10/2011
à ceux qui sont aussi attachés aux papes que je le suis
NDLR - Suite à un emploi du temps perturbé, le scripteur de ce blog est à la ramasse (sic) pour annoter correctement les lettres de Voltaire mises en ligne . Cela ne saurait durer, promet-il . Que saint Volti le soutienne !
Tout comme Volti, il est très attaché aux papes, surtout ceux d'Avignon ! Foin des eaux d'Aix !
« A Jacques-Abram-Elie Clavel de Brenles
Au château de Prangins, près Nion, 20 décembre [1754]
Je crains, monsieur, que vous ne soyez malade comme moi . Mme Goll m'avait fait craindre pour votre poitrine, et rien ne peut me rassurer qu'une lettre de vous . J'aurais couru à Lausanne, si les douleurs continuelles dont je suis tourmenté me l'avaient permis . La première chose que j'ai faite en arrivant à Prangins a été de vous en donner part ; et le premier sentiment que j'ai éprouvé a été de me rapprocher de vous . Les médecins m'ont conseillé les eaux d'Aix ; ceux de Lyon et de Genève se sont réunis dans cette décision ; mais moi je me conseille votre voisinage, et la solitude .
J'ai reçu une lettre de M. l'avoyer de Steiger, que j'avais eu l'honneur de voir à Plombières ; il me conserve les mêmes bontés qu’il me témoigna alors ; ainsi, monsieur, je suis plus que jamais dans les sentiments que je vous confiai , quand j'étais à Colmar, et que vous daignâtes approuver . Je crois qu'il ne peut plus être question d'Allaman , ni d'aucune autre terre seigneuriale, puisque les lois de votre pays ne permettent pas ces acquisitions à ceux qui sont aussi attachés aux papes que je le suis . J'ai donc pris le parti de me loger, pour quelque temps au château de Prangins, dont le maître est ami de ma famille . J'y suis comme un voyageur, ayant du roi mon maître la permission de voyager . Ma mauvaise santé ne sera qu'une trop bonne excuse, si je me fixe dans quelque douce retraite, à portée de vous, et si j'y finis mes jours dans une heureuse obscurité . On m'a parlé d'une maison près de Lausanne appelée la Grotte, où il y a un beau jardin . On dit aussi que M. d'Hervart, qui a une très belle maison près de Vevai, pourrait la louer ; permettez que je vous demande vos lumières sur ces arrangements . C'est à vous, monsieur, à achever ce que vous avez commencé . C'est vous qui m'avez fait venir dans votre patrie ; je n'ai l'air que d'y voyager, mais vous êtes capable de m'y fixer entièrement .
J'ai reçu une lettre de M. de Bottens, qui me paraît concourir aux vues que j'ai depuis longtemps . Je ne sais si M. des Gloires est à Lausanne ; il m'a paru avoir tant de mérite que je le crois votre ami . Je ne demande à la nature que la diminution de mes maux, pour venir profiter de la société de ceux avec qui vous vivez, et surtout de la vôtre . La retraite où mes maux me condamnent m'exclut de la foule ; mais un homme tel que vous sera toujours nécessaire au bonheur de ma vie . Je crois que voici bientôt le temps où vous allez être père, si on ne m'a point trompé . Je souhaite à Mme de Brenles des couches heureuses , et un fils digne de vous deux . Mme Denis, ma nièce, vous assure l'un et l'autre de ses obéissances . Vous ne doutez pas, monsieur, des sentiments de reconnaissance et d'amitié qui m'attachent tendrement à vous .
Voltaire
J'aurais souhaité que M. Bousquet n'eût point mandé à Paris mes desseins . »
22:13 | Lien permanent | Commentaires (0)
25/10/2011
Je ne suis point embarrassé de moi, mais je le suis de ceux qui veulent bien joindre leur destinée à la mienne ; ceux-là ont besoin de courage
Bis repetita : à annoter sans tarder ...
See you later !
Fleurs immortelles, à l'image de Voltaire .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Au château de Prangins, le 19 décembre [1754]
J'apprends, mon cher ami, qu'on a fait chez vous une nouvelle lecture des Chinois, et que les trois magots n'ont pas déplu ; cependant, s'il vous prend jamais fantaisie d'exposer en public ces étrangers, je vous prie de m'en avertir à l'avance, afin que je puisse encore donner quelques coups de crayon à des figures si bizarres . Voici le temps funeste où Royer et Sireuil vont me disséquer . Figurez-vous que j'avais fait donner à Pandore une très honnête fête dans le ciel par le maître de la maison ; je vous en fais juge . Un musicien doit-il être embarrassé à mettre en musique ces paroles :
Aimez, aimez, et régnez avec nous ;
Le dieu des dieux est seul digne de vous .
Sur la terre on poursuit avec peine
Des plaisirs l'ombre légère et vaine ;
Elle échappe, et le dégoût la suit.
Si Zéphire un moment plait à Flore,
Il flétrit les fleurs qu'il fait éclore ;
Un seul jour les forme et les détruit.
Aimez, aimez, et régnez avec nous ;
Le dieu des dieux est seul digne de vous .
Les fleurs immortelles
Ne sont qu'en nos champs ;
L’Amour et le Temps
Ici n'ont point d'ailes.
Aimez, aimez, et régnez avec nous .
Acte III
On a substitué à ces vers :
Les Grâces
Sont sous vos traces ;
Régnez,
Triomphez ;
Un tendre amour
Veut du retour .
C'est ainsi que tout l'opéra est défiguré . Je demande justice, et la justice consiste à faire savoir le fait .
Tandis que Royer me mutile, la nature m'accable de maux, et la fortune me conduit dans un château solitaire, loin du genre humain, en attendant que je puisse aller chercher aux eaux d'Aix en Savoie une guérison que je n'espère pas . Je vous rends compte de toutes les misères de mon existence . Ce ne sont ni les acteurs de Lyon, ni le parterre, ni le public, qui m'ont fait abandonner cette belle ville . Je vous dirai en passant qu'il est plaisant que vous ayez à Paris Drouin et Bellecour, tandis qu'il y a à Lyon trois acteurs très bons, et qui deviendraient à Paris encore meilleurs ; mais c'est ainsi que le monde va. Je le laisse aller, et je souffre patiemment . Je souhaite que ma nièce ait toujours assez de philosophie pour s'accoutumer à la solitude et à mon genre de vie . Je ne suis point embarrassé de moi, mais je le suis de ceux qui veulent bien joindre leur destinée à la mienne ; ceux-là ont besoin de courage . Adieu, je vous embrasse mille fois . »
19:58 | Lien permanent | Commentaires (0)
faire sentir à M. de Sireuil l’énormité du danger, les parodies de la Foire, et les torche-culs de Fréron
A annoter sous peu !
Wait and see !!
Ci-dessus, torche-cul fréronien ...
"A Nicolas-Claude Thieriot
Au château de Prangins, pays de Vaud, le 19 décembre [1754]
Me voilà si perclus, mon ancien ami, que je ne peux écrire de ma main . Vous avez donc aussi des rhumatismes, malgré votre régime du lait ?
Vous ne sauriez croire avec quelle sensibilité j'entre dans le petit détail que vous me faites de ce que vous appelez votre fortune . On ne s'ouvre ainsi qu'à ceux qu'on aime, et j'ai, depuis environ quarante ans, compté toujours sur votre amitié . Vous devez vivre à Paris gaiement, librement, et philosophiquement .
Ces trois adverbes joints font admirablement . Molière, Femmes savantes, III, 11.
Mais , certes, vous me contez des choses merveilleuses, en m'apprenant que votre ancien Pollion 1, et l'Orphée aux triples croches, et Ballot-l'imagination, ne vivent plus ni avec Pollion ni avec vous .
Le diable se met donc dans toutes les sociétés, depuis les rois jusqu'aux philosophes .
Je ne savais pas que vous connussiez M. de Sireuil . Il me paraît par ses lettres un fort galant homme . Je suis persuadé que lorsqu'il s’arrangea avec Royer pour me disséquer, il m'en aurait instruit s'il avait su où me prendre . Il faut que ce soit le meilleur homme du monde ; il a eu la bonté de s'asservir au canevas de son ami Royer ; il fait dire à Jupiter :
Les Grâces
Sont sur vos traces ;
Un tendre amour
Veut du retour .
Comme le parterre n'est pas tout à fait si bon, il pourrait, pour retour, donner des sifflets . Royer est un profond génie ; il joint l'esprit de Lulli à la science de Rameau, le tout relevé de beaucoup de modestie . C'est dommage que Mme Denis, qui se connait un peu en musique, n'ait pas entendu la sienne ; mais Mme de La Popelinière l'avait entendue autrefois, et il me semble qu'elle n'en avait pas été édifiée . D'honnêtes gens m'ont mandé de Paris qu'on n'achèverait pas la pièce . J'en suis fâché pour messieurs de l'hôtel de ville 2, car voilà les décorations de la terre , du ciel, et des enfers, à tous les diables . M. de Sireuil en sera pour ses vers , Royer pour ses croches, et le prévôt des marchands pour son argent . Pour moi, en qualité de disséqué, j'ai présenté mon cahier de remontrances au musicien et au poète . Il me prend fantaisie de vous en envoyer copie, et de vous prier de faire sentir à M. de Sireuil l’énormité du danger, les parodies de la Foire, et les torche-culs de Fréron . C'est bien malgré moi que je suis obligé de parler encore de vers et de musique :
Nunc itaque et versus et caetera ludicra pono . Horace
Je bois les eaux minérales de Prangins, en attendant que je puisse prendre les bains d'Aix en Savoie . Tout cela n'est pas l'eau d'Hippocrène .
Je vous embrasse de tout mon cœur . Mme Denis vous est bien obligée de votre souvenir ; elle vous fait ses compliments . Quand vous voudrez écrire à votre ancien ami le paralytique, ayez la bonté d'adresser votre lettre à M. Tronchin, banquier à Lyon. »
1 Le financier La Popelinière (ou Pouplinière) , -grand admirateur de la musique baroque, et de Rameau en particulier, « l'Orphée aux triples croches »,- chez qui vit Thieriot .
19:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
24/10/2011
Il ne me faut que vous et de la liberté
« A Jacques-Abram-Elie Clavel de Brenles
Au château de Prangins, le 14 décembre [1754]
Vous voyez, monsieur, que j'ai pris mon plus long pour venir vous voir, et pour vous remercier de toutes vos bontés . Me voici dans le château de Prangins, avec une de mes nièces 1, et je viendrais sur le champ à Lausanne si je n'étais retenu par un rhumatisme goutteux pour lequel je compte prendre les eaux d'Aix en Savoie . Je compte qu'enfin je pourrai jouir de votre société, et être témoin de votre bonheur 2.
Il me semble qu'Allaman n'a point été vendu 3; mais ce n'est point Allaman, c'est vous, monsieur, qui êtes mon objet . Je cherche des philosophes plutôt que la vue du lac de Lausanne, et je préfère votre société à toutes vos grosses truites . Il ne me faut que vous et de la liberté . Je présente les respects à Mme de Brenles, et je suis avec plus de sensibilité que jamais , etc.
Voltaire
Mme Denis partage tous mes sentiments, et vous présente à tous deux ses devoirs . »
3 Château et terre que V* comptait acheter en première intention , pour s'installer près de M. de Brenles , en territoire libre .
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23/10/2011
Je ne sais pas si on plaindra l'état où je suis : ce n'est pas la coutume des hommes, et je ne cherche pas leur pitié
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Lyon, le 9 décembre [1754]
Mon cher ange, votre lettre du 3 novembre, à l'adresse de Mme Denis, nous a été rendue bien tard, et vous avez dû recevoir toutes celles que je vous ai écrites . Le seul parti que j'aie à prendre, dans le moment présent, c'est de songer à conserver une vie qui vous est consacrée . Je profite de quelques jours de beau temps pour aller dans le voisinage des eaux d'Aix en Savoie . On nous prête une maison très belle et très commode 1, vers le pays de Gex, entre la Savoie, la Bourgogne et le lac de Genève , dans un aspect sain et riant . J'y aurai, à ce que j'espère, un peu de tranquillité. On n'y ajoutera pas de nouvelles amertumes à mes malheurs, et peut-être que le loisir et l'envie de vous plaire tireront encore de mon esprit épuisé quelque tragédie qui vous amusera . Je n'ai à Lyon aucun papier ; je suis logé très mal à mon aise dans un cabaret où je suis malade . Il faut que je parte mon adorable ami . Quand je serai à moi, et un peu recueilli, je ferai tout ce que votre amitié me conseille . Je ne sais pas si on plaindra l'état où je suis : ce n'est pas la coutume des hommes, et je ne cherche pas leur pitié ; mais j'espère qu'on ne désapprouvera pas à la cour, qu'un homme accablé de maladies aille chercher sa guérison . Nous avons prévenu Mme de Pompadour et M. le comte d'Argenson de ces tristes voyages . Dans quelque lieu que j'achève ma vie, vous savez que je serai toujours à vous, et qu'il n'y a point d'absence pour le cœur ; le mien sera toujours avec le vôtre .
Adieu, mon cher et respectable ami ; je vais terminer mon séjour à Lyon en allant voir jouer Brutus . Si j'avais de l'amour propre, je resterais à Lyon , mais je n'ai que des maux, et je vais chercher la solitude et la santé, bien plus sûr de l'une que de l'autre, mais plus encore de votre amitié . Ma nièce, qui vous fait les plus tendres compliments, ose croire qu'elle soutiendra avec moi la vie d'ermite . Elle a fait son apprentissage à Colmar ; mais les beautés de Lyon, et l'accueil singulier qu'on nous y a fait, pourraient la dégoûter un peu des Alpes 2. Elle se croit assez forte pour les braver . Elle fera ma consolation tant que durera sa constance ; et, quand elle sera épuisée, je vivrai et je mourrai seul, et je ne conseillerai à personne ni de faire des poèmes épiques et des tragédies, ni décrire l'histoire, mais je dirai : Quiconque est aimé de M. d'Argental est heureux .
Adieu, cher ange ; mille tendres respects à vous tous . Quand vous aurez la bonté de m'écrire, adressez votre lettre à Lyon, sous l'enveloppe de M. Tronchin, banquier 3; c'est un homme sûr, de toutes les manières . Je vous embrasse avec la plus vive tendresse . »
2 V* ne se trompe pas en faisant ce pronostic, il connait bien sa nièce qui ne rêve que de la vie parisienne animée , et qui à la mort de V* ne remettra pas les pieds à Ferney .
3 Jean-Robert I Tronchin (qui a un cousin germain prénommé aussi Jean-Robert, dit Tronchin-Boissier, noté aussi Jean-Robert II, homme politique du patriciat genevois et procureur général , qui n’hésitera pas avec le Petit Conseil de Genève à condamner le Dictionnaire Philosophique à être lacéré et brûlé ), 1702-1788, banquier, avec son compatriote Ami Camp, deviendra par la suite fermier général en 1761 ;il recevra trois cents lettres et billets au cours de la décennie suivant sa rencontre avec V*, concernant les placements et revenus de V* et aussi plus prosaïquement des commandes de tissus, graines, boutons, huile, plantes ...essentiellement d'abord pour les Délices .
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