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25/09/2011

J'aurais un château, et il ne me resterait pas de quoi le meubler ; je ressemblerais à Chapelle, qui avait un surplis et point de chemise, un bénitier et point de pot de chambre

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Admirez la parfaite position des mains pour le plongeon dans le bénitier, et la brasse coulée ! Amen !

 

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Ceci n'est pas un bénitier ! ...comme aurait dit Magritte .

 

«  A Jacques-Abram-Elie Clavel de Brenles

 

 

 

Colmar, le 6 octobre [1754]

 

 

 

Ce que vous me dites de votre santé, mon cher monsieur, ne contribue pas à me rendre la mienne . Vous m'affligez sensiblement . Mme Goll m'a consolé en m'apprenant que vous aviez fait à Mme de Brenles un petit philosophe qui a quatre mois ou environ ; mais un excellent ouvrier peut tomber malade après avoir fait un bon ouvrage, et c'est l'ouvrier qu'il faut conserver . Songez que c'est vous, monsieur, qui m'avez inspiré le dessein de chercher une retraite philosophique dans votre voisinage . C'est pour vous que je veux acheter la terre d'Allaman 1. J'ai besoin d'un tombeau agréable ; il faut mourir entre les bras des êtres pensants . Le séjour des villes ne convient guère à un homme que son état réduit à ne point rendre de visites . Je n'achèterai Allaman qu'à condition que vous et Mme de Brenles vous daignerez regarder ce château comme le vôtre, et, dans une espérance si consolante pour moi, je ferai un effort pour mettre tout ce que j'ai de bien libre à cette acquisition ; mais commencez par me rassurer sur votre santé, et vivez, si vous voulez que je sois votre voisin .

 

 

 

Je vous avouerai, monsieur, qu’il me serait assez difficile de payer 225 000 livres . J'aurais un château, et il ne me resterait pas de quoi le meubler ; je ressemblerais à Chapelle, qui avait un surplis et point de chemise, un bénitier et point de pot de chambre . Voici comment je m'arrangerais : je donnerais sur le champ 150 000 livres, et le reste en billets sur la meilleure maison de Cadix,2 payables à divers termes . Moyennant cet arrangement, je pourrais profiter incessamment de vos bontés . Je ne doute pas que vous n'ayez prévu toutes les difficultés ; vous savez que je n 'ai pas l'honneur d'être de la religion de Zwingle et de Calvin ; ma nièce et moi, nous sommes papistes . C'est sans doute une des prérogatives et un des avantages de votre gouvernement qu'un homme puisse jouir chez vous des droits de citoyen, sans être de votre paroisse . Je me figure qu'un papiste peut posséder et hériter dans le territoire de Lausanne ; et aurais-je fait à vos lois un honneur qu'elles ne méritent pas ? Je crois que je puis être seigneur d'Allaman, puisque vous me proposez cette terre .

 

 

 

J'attends sur cela vos derniers ordres, en vous demandant toujours le secret . Il ne faudrait pas acheter d'abord la terre sous mon nom : le moindre bruit nuirait à mon marché, et m'empêcherait peut-être de jouir du plaisir de voir mon acquisition . Je remets le tout à votre bonté et à votre prudence . Ma nièce, qui est toujours ma garde-malade à Colmar, se joint à moi pour vous présenter ses remerciements , c'est une amie sur laquelle Mme de Brenles et vous , monsieur, pouvez déjà compter . Voyez si vous pouvez acquérir à Lausanne toute une famille de Paris, et si vous pouvez faire du château d'Allaman un temple dédié à la philosophie, dont vous serez le grand-prêtre .

 

 

 

Si on veut vendre Allaman plus de 225 000 livres, je ne peux l'acheter ; mais en ce cas, n'y-a-t il pas d'autres terres moins chères ? Tout me sera bon , pourvu que je puisse finir mes jours dans un air doux, dans un pays libre, avec des livres, et un homme comme vous . Adieu, monsieur ; conservez votre santé, le premier des biens, celui sans lequel tout n'est rien . Vivez avec votre aimable épouse, et procurez moi le plaisir d'être témoin de votre bonheur . Permettez moi de vous embrasser sans cérémonie . 

 

 

 

Voltaire »

 

1 Vieux château sur la route de Prangins à Lausanne, au bord du lac Léman, entre Rolle et Morges .

 

2 Voir lettre du 12 mars 1754  à propos des revenus de V* : V* a noté sur le manuscrit original « Je ne sais à qui elle est adressée » :lettre 2713, page 188 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411354g/f191.image.r=.langFR

Il avait placé 600 000 livres sur la compagnie de Cadix qui lui rapportaient 32 à 33% ; il essuiera quelques grosses pertes, dont 80 000 livres sur Cadix, mais en diversifiant ses investissements, il réussira à avoir environ 75 000 livres de rentes et revenus dans les années 50 .

 

24/09/2011

j'ai peu de relations avec la république des lettres et des bagatelles de Paris

 

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« A Madame Louise-Dorothée de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha 1

 

A Colmar, 4 octobre 1754

 

Madame, j'ai respecté les États d'Altembourg ; je n'ai point osé mêler mes inutiles lettres aux affaires de Votre Altesse sérénissime ; mais si elle est actuellement dans son palais tranquille de Gotha, qu'elle daigne y recevoir mes hommages . C'est à Gotha qu'ils doivent s'adresser ; c'est là que j'ai passé les plus beaux de mes jours . Si Votre Altesse sérénissime daigne toujours s'y occuper de l'amusement des belles-lettres, je lui demande la permission de lui envoyer le manuscrit d'une nouvelle tragédie 2, qui a du moins le mérite de la singularité . Je veux vous envoyer mes enfants, madame, ne pouvant moi-même venir me mettre à vos pieds . Je ne sais par quelle fatalité je reste à Colmar, quand je pourrais être mieux .

 

J'avais imaginé de passer par la cour palatine pour aller à la vôtre ; mais je me trouve sous les ordres de ma nièce, ma garde-malade, qui est venue en Alsace gouverner le bien que j'y ai et ma personne : il faut qu'un malade obéisse .

 

Je me flatte que Votre Altesse sérénissime jouit d'une santé inaltérable, et que le voyage d'Altembourg aura fait du bien à la grande maîtresse des cœurs 3. J'ai été longtemps alarmé pour elle . Que ne puis-je venir encore partager ce zèle et cet attachement qu'elle a pour votre personne ! Que ne puis-je au moins, madame, contribuer de loin à vos amusements ! Mais j'ai peu de relations avec la république des lettres et des bagatelles de Paris . Je n'entends parler de rien qui soit digne de votre curiosité . On ne fait plus que répéter et retourner les ouvrages faits il y a près d'un siècle , et il faudrait pour vous un siècle nouveau . Pour moi, madame, il ne me faudrait que votre présence .

 

Je me mets aux pieds de monseigneur, de votre auguste famille, et surtout aux vôtres, avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance . »


2  L’Orphelin de la Chine .

23/09/2011

BON ANNIVERSAIRE à LOVEVOLTAIRE !!

Pour ma mille et unième note mise en ligne , je suis heureux de la dédier à l'auteur du blog MonsieurdeVoltaire (dont le lien est ci-contre ) .

Je vous invite, amis blogueurs, à la féliciter comme il se doit, elle le mérite plus que tout autre .

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Je suis allé chez Monsieur de Voltaire ce matin , lui ai fait part de cette date si particulière pour vous, Love, et il m'a chargé aussitôt de vous transmettre ses voeux : "Bon anniversaire LoveV, vous qui m'aimez comme je vous aime !"

Je lui ai confié pourquoi ses écrits prennent un tour encore plus agréable quand c'est  Mam'zelle Wagnière qui nous en fait profiter, et comment, grâce à lui , nous nous sommes rencontrés . Il en a gardé ce sourire que je vous dédie de sa part .

 

 

Shine on you ...

http://www.deezer.com/listen-267559

 

Il y a toujours quelques belles dames qui vont parer les loges, et des petits-maîtres qui font des pirouettes sur le théâtre ; mais le reste souffre et murmure

 Cette note est la millième que je mets en ligne, et j'ose espérer, en suivant mon cher Voltaire (Volti pour moi ! ), vous faire profiter, au jour le jour , de la vie ce cet homme remarquable .

 Depuis quelques jours maintenant, je me consacre à sa correspondance à partir du moment où il commence à parler de son exil, ou retrait loin de Paris , donc depuis son séjour à Colmar en 1754 .

A suivre ...

 

 

 

« A madame Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

 

A Colmar, ce 23 septembre [1754]

 

Je ne guéris point, madame, mais je m'habitue à Colmar plus que la grand'chambre à Soissons . Les bontés de monsieur votre frère 1 contribuent beaucoup à me rendre ce séjour moins désagréable . Je serais heureux dans l'ile Jard, mais cette île Jard me suis partout . Vous avez deux neveux aussi à plaindre qu'ils sont aimables : l'un plaide, l'autre est paralytique 2. Je ne vois de tous côtés que désastres au monde . La langueur, la misère, et la consternation, règnent à Paris . Il y a toujours quelques belles dames qui vont parer les loges, et des petits-maîtres qui font des pirouettes sur le théâtre ; mais le reste souffre et murmure . Il y a un an que j'ai de l'argent aux consignations du parlement ; le receveur jouit . Combien de familles sont dans le même cas, et dans une situation bien triste ! On exige , dans votre province, de nouvelles déclarations qui désolent les citoyens ; on fouille dans les secrets des familles ; on donne un effet rétroactif à cette nouvelle manière de payer le vingtième, et on fait payer pour les années précédentes . Voilà bien le cas de jeûner et de prier, et d'avoir des lettres consolantes de M. de Beaufremont . Il n’est pas plus question de la préture de Strasbourg que des prêteurs de l'ancienne Rome . Vivez tranquille , madame, avec votre respectable amie,3 à qui je présente mes respects . Faites un bon feu ; continuez votre régime : cette sorte de vie n'est pas bien animée, mais cela vaut toujours mieux que rien . Si vous avez quelques nouvelles, daignez en faire part à un pauvre malade enterré à Colmar . Permettez-moi de présenter mes respects à monsieur votre fils, et de vous souhaiter, comme à lui, des années heureuses, s'il y en a . »


1 Le premier président au conseil souverain de Colmar, Christophe de Klinglin .

2 Le baron d'Hattsatt et le chevalier de Klinglin.

3 Mme de Brumath .

22/09/2011

Vous autres héros qui gouvernez le monde, vous ne vous laissez pas subjuguer par l'attendrissement

 

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« A Frédéric II, roi de Prusse

 

A Ferney, 22 septembre [1773]

 

Sire,

Il faut que je vous dise que j'ai bien senti ces jours-ci, malgré tous mes caprices passés, combien je suis attaché à Votre majesté et à votre maison . Mme la duchesse de Virtemberg, ayant eu comme tant d'autres la faiblesse de croire que la santé se trouve à Lausanne, et que le médecin Tissot la donne à qui la paye, a fait, comme vous savez, le voyage de Lausanne ; et moi, qui suis plus véritablement malade qu'elle, et que toutes les princesses qui ont pris Tissot pour Esculape, je n'ai pas eu la force de sortir de chez moi . Mme de Virtemberg, instruite de tous les sentiments que je conserve pour la mémoire de Mme la margrave de Bareith sa mère,1 a daigné venir dans mon ermitage et y passer deux jours . Je l'aurais reconnue quand même je n'aurais pas été averti ; elle a le tour du visage de sa mère, avec vos yeux 2. Vous autres héros qui gouvernez le monde, vous ne vous laissez pas subjuguer par l'attendrissement ; vous l'éprouvez tout comme nous , mais vous gardez votre décorum .

 

Pour nous autres chétifs mortels, nous cédons à toutes les impressions ; je me suis mis à pleurer en lui parlant de vous et de madame la princesse sa mère ; et quoiqu'elle soit la nièce du premier capitaine de l'Europe, elle ne put retenir ses larmes 3. Il me parait qu'elle a de l'esprit et les grâces de votre maison, et que surtout elle vous est plus attachée qu'à son mari . Elle s'en retourne, je crois , à Bareith, où elle trouvera une autre princesse d’un genre différent, c'est Mlle Clairon, qui cultive l'histoire naturelle 4, et qui est la philosophe de monsieur le Margrave 5.

 

Pour vous , Sire, je ne sais où vous êtes actuellement ; les gazettes vous font toujours courir . J'ignore si vous donnez des bénédictions dans un des évêchés de vos nouveaux États, ou dans votre abbaye d'Oliva 6: ce que je souhaite passionnément, c'est que les dissidents 7 se multiplient sous vos étendards . On dit que plusieurs jésuites se sont faits sociniens ; Dieu leur en fasse la grâce ! Il serait plaisant qu'ils bâtissent une église à St Servet ; il ne nous manque plus que cette révolution .

 

Je renonce à mes belles espérances de voir les mahométans chassés de l'Europe, et l'éloquence, la poésie, la musique, la peinture, la sculpture, renaissantes dans Athènes 8; ni vous , ni l’Empereur, ne voulez courir au Bosphore 9; vous laissez battre les Russes à Silistrie, et mon impératrice s'affermit pour quelque temps dans le pays de Thoas et d'Iphigénie 10. Enfin vous ne voulez point faire de croisade . Je vous crois très supérieur à Godefroy de Bouillon : vous auriez eu par dessus lui le plaisir de vous moquer des Turcs en jolis vers, tout aussi bien que des confédérés polonais 11; je vois bien que vous ne vous souciez d'aucune Jérusalem, ni de la terrestre, ni de la céleste : c'est bien dommage .

 

Le vieux malade de Ferney est toujours aux pieds de Votre Majesté ; il est bien fâché de ne plus s'entretenir de vous avec Mme la duchesse de Virtemberg qui vous adore . 

 

LE VIEUX MALADE .»


1 Wilhelmine, sœur ainée de Frédéric, « philosophe », que V* a vue au cours de ses voyages en Prusse et qu'il a rencontrée à Colmar et à Lyon, avec qui il a entretenu une correspondance, signée « frère Voltaire », même après la brouille de 1752-1753 avec Frédéric ; il a collaboré avec elle à des négociations secrètes de paix, et a composé une Ode après sa mort en 1758 .

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wilhelmine_de_Bayreuth

et : http://www.gutenberg.org/files/27808/27808-h/27808-h.htm

2 Ces yeux dont V* parla à plusieurs reprises .

3 Le conseiller Tronchin raconte qu'en partant, le 11 septembre, la princesse « sauta au cou » de V*, et que « tous deux sans se rien dire, se tenaient embrassés, fondant en larmes » . un autre témoin, Björnstahl, écrit que , dinant à Ferney le 7 septembre, la princesse dit à V* qui l'appelait « Votre altesse » : « Tu es mon papa, je suis ta fille, et je veux être appelée ta fille ».

4 Mlle Clairon eut un « cabinet d'histoire naturelle ».

5 Après avoir été quittée par le comte de Valbelle , elle s'est installée à Bayreuth, maîtresse de Christian Frédéric Charles de Brandenbourg, margrave d'Anspach , puis de Bayreuth, frère de la princesse de Wurtemberg .

Voir pages 40-41 : http://books.google.fr/books?id=orcmDxnlcKwC&pg=PA40&...

6 Près de Dantzig, dans une province polonaise annexée par la Russie ;

voir lettre du 6 décembre 1771 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/03/plus-vous-serez-gai-plus-longtemps-vous-vivrez.html

7 Les Dissidents polonais, révoltés contre les évêques, donnèrent l'occasion à Catherine II d'intervenir en Pologne et s'allièrent aux Russes .

8 Suite à la réponse du roi, V* précisera, le 28 octobre : « Quand je vous suppliais d'être le restaurateur des beaux arts de la Grèce, ma prière n'allait pas jusqu'à vous conjurer de rétablir la démocratie athénienne . Je n'aime point le gouvernement de la canaille . »

Voir page 474 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411364t/f477.image.r=octobre+.langFR

et page 487 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411364t/f490.image....

9 Frédéric dans sa lettre du 9 octobre déclare qu'il « renonce à la guerre de crainte d'encourir l'excommunication des philosophes » et cite l'article « Guerre » de l'Encyclopédie .

10 A savoir en Tauride, c'est à dire en Crimée .

11 Allusion au poème de Frédéric, La Guerre des Confédérés ; voir lettre à Frédéric du 6 décembre 1771 : réf. note 6 .

La Guerre des confédérés : page 329 : http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-201484&...

 

 

 

21/09/2011

Qui jamais approuvera un ouvrage dont on fait des applications qui condamnent notre conduite ?

 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

Colmar, le 21 septembre [1754]

 

Je vous obéis avec douleur, mon cher ange ; l'état de ma santé me rend bien indifférent sur une pièce de théâtre, et ne me laisse sensible qu'au chagrin d'envisager que peut-être je ne vous reverrai plus . Mais je vous avoue que je serai infiniment affligé si j'étais exposé à la fois à des dégoûts à l'Opéra et à la Comédie , immédiatement après l'affliction que cette Histoire prétendue universelle m'a causée . Amusez-vous, mon cher ange, avec vos amis, de mes Tartares et de mes Chinois, qui ont au moins le mérite d'avoir l'air étranger . Ils n'ont que ce mérite là ; ils ne sont point faits pour le théâtre ; ils ne causent pas assez d'émotion . Il y a de l'amour, et cet amour, ne déchirant pas le cœur, le laisse languir . Une action vertueuse peut être approuvée, sans faire grand effet . Enfin je suis sûr que cela ne réussirait pas , que les circonstances seraient très peu favorables , et que les allusions de la malignité humaine seraient très dangereuses . Les personnes sur lesquelles on ferait ces applications injustes se garderaient bien, je l'avoue, de les prendre pour elles, de s'en fâcher, d'en parler même ; mais , dans le fond du cœur, elles seraient très piquées, et contre moi, et contre ceux qui auraient donné la pièce . Elles la feraient tomber à la cour ; c'est bien le moins qu'elles pussent faire . Qui jamais approuvera un ouvrage dont on fait des applications qui condamnent notre conduite ? Je vous demande donc en grâce que cet avorton ne soit vu que de vous et de vos amis . J'ai donné mon consentement à la représentation de ce malheureux opéra de Prométhée, comme je donne mon consentement à mon absence, qui me tient éloigné de vous . Je souffre avec douleur ce que je ne peux empêcher . On m'a fait assez sentir que je n'ai aucun droit de m'opposer aux représentations d'un ouvrage imprimé depuis longtemps, dont la musique est approuvée des connaisseurs de l'Hôtel de Ville, et pour lequel on a déjà fait de la dépense . Je sais assez qu'il faudrait une dépense royale et une musique divine pour faire réussir cet ouvrage ; il n'est pas plus propre pour le théâtre lyrique que les Chinois pour le théâtre de la Comédie . Tout ce que je peux faire, c'est d’exiger qu'on ne mette pas au moins sous mon nom les embellissements dont M. de Sireuil a honoré cette bagatelle . Je vois qu'on est toujours puni de ses anciens péchés . On me défigure une vieille Histoire générale ; on me défigure un vieil opéra . Tout ce que je peux faire à présent, c'est de tâcher de n'être pas sifflé sur tous les théâtres à la fois . Vous jugerez, mon cher ange, de la nature du consentement donné à Royer par la lettre ci-jointe . Je vous supplie de la faire passez dans les mains de Moncrif, si cela se peut sans vous gêner .

 

J'ai encore pris la précaution d'exiger de Lambert qu'il fasse une petite édition de cette Pandore avant qu'on ait le malheur de la jouer, car la Pandore de Royer est toute différente de la mienne, et je veux du moins que ces deux turpitudes soient bien distinctes . Je vous supplie d'encourager Lambert à cette bonne action, quand vous irez à la Comédie . Je vous remercie tendrement de Mahomet et de Rome . Vous consolez mon agonie . Mme Denis et moi, nous nous inclinons devant les anges . Adieu, mon cher et respectable ami . »

 

 

20/09/2011

Le combat des dieux et des géants est au rang de ces grandes choses qui deviennent ridicules, et qu'une dépense royale peut sauver à peine

 

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Cette image n'est pas sans évoquer l'actualité politique française qui voit ses combats de coqs et poules, mais aussi les affres dûs à l'euro au pays des anciens dieux et demi-dieux qui n'est plus qu'un pays de nains et humains de plus ou moins mauvaise volonté, la Grèce .

Je peux vous assurer qu'ils ne jouent pas à "je te tiens, tu me tiens par la barbichette !"

Nom de Zeus ! comment celà va-t-il finir ?

 

 

 Ce jour de 1754, Volti , en ménageant les "faiseurs de double croches," est fort mal à l'aise en voyant son enfant défiguré, lui qui aime le travail bien fait .

 

« A Joseph-Nicolas-Pancrace Royer1

 

Le 20 [septembre 1754]

 

J'avais eu, monsieur, l'honneur de vous écrire, non seulement pour vous marquer tout l'intérêt que je prends à votre mérite et à vos succès, mais pour vous faire voir aussi quelle est ma juste crainte que ces succès si bien mérités ne soient ruinés par le poème 2 défectueux que vous avez vainement embelli . Je peux vous assurer que l'ouvrage sur lequel vous avez travaillé ne peut réussir au théâtre . Ce poème, tel qu'on l'a imprimé plus d'une fois, est peut-être moins mauvais que celui dont vous vous êtes chargé ; mais l'un et l'autre ne sont faits ni pour le théâtre ni pour la musique . Souffrez donc que je vous renouvelle mon inquiétude sur votre entreprise, mes souhaits pour votre réussite, et ma douleur de voir exposer au théâtre un poème qui en est indigne de toutes façons, malgré les beautés étrangères dont votre ami, M. de Sireuil,3 en a couvert les défauts . Je vous avais prié, monsieur, de vouloir bien me faire tenir un exemplaire du poème tel que vous l'avez mis en musique, attendu que je ne le connais pas . Je me flatte, monsieur, que vous voudrez bien vous prêter à la condescendance de M. de Moncrif,4 examinateur de l'ouvrage, en mettant à la tête un avis nécessaire, conçu en ces termes :

« Ce poème est imprimé tout différemment dans le recueil des ouvrages de l'auteur ; les usages du théâtre lyrique et les convenances de la musique ont obligé d'y faire des changements pendant son absence . »

 

Il serait mieux, sans doute, de ne point hasarder les représentations de ce spectacle, qui n'était propre qu'à une fête donnée par le roi, et qui exige une quantité prodigieuse de machines singulières . Il faut une musique aussi belle que la vôtre, soutenue par la voix et par les agréments d'une actrice principale, pour faire pardonner le vice du sujet et l'embarras inévitable de l’exécution . Le combat des dieux et des géants est au rang de ces grandes choses qui deviennent ridicules, et qu'une dépense royale peut sauver à peine .

 

Je suis persuadé que vous sentez comme moi tous ces dangers ; mais si vous pensez que l'exécution puisse les surmonter, je n'ai auprès de vous que la voie de représentation 5. Je ne peux, encore une fois, que vous confier mes craintes ; elles sont aussi fortes que la véritable estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc . »

 

 

1 Né en Savoie en 1705, Royer fut nommé parLouis XV , inspecteur général de l'Opéra en 1753, et compositeur de la chambre du roi en 1754 ; il mourut le 11 janvier 1755 .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Nicolas_Pancrace_Royer

2 Pandore ou Prométhée , que V* appelait ironiquement Le Péché originel: http://baroquelibretto.free.fr/pandore.htm

Cet opéra fut répété en octobre 1752, mais non encore joué ni publié .

3 Voir l'évolution de l'opinion de V* au sujet de Royer et Sireuil : http://operabaroque.fr/LA_BORDE_PANDORE.htm

4 François-Augustin Paradis de Moncrif , poête et amuseur des grands, correspondant de V* de 1722 à 1760, réussira à être censeur royal, grâce à la faveur de la reine Marie Leszczynska .

5 Après avoir reçu le texte retenu par Royer et Sireuil, V* adressera ses protestations à Moncrif, à d'Argental et au président Hénault dans ses lettres datées du 15 octobre 1754 .

NDLR : à paraître .