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07/11/2013

Cela n'est pas humain mais peut-on avoir pitié des pirates ?

... Non !

 

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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de LUTZELBOURG.

Aux Délices, 2 octobre [1758]

Vos nouvelles de Choisy, madame, ne sont pas les plus fidèles. On a imaginé à la cour de bien fausses consolations. Il est bien triste d'être réduit à feindre des victoires. Les combats du 26 et du 27 sont bons à mettre dans les Mille et une Nuits. Il est très-certain que les Russes n'ont point paru après leur défaite du 25 1, et il est bien clair que le roi de Prusse les a mis hors d'état de lui nuire de longtemps, puisqu'il est allé paisiblement secourir son frère et faire reculer l'armée autrichienne 2. Croiriez-vous que j'ai reçu deux lettres de lui depuis sa victoire ?3 Je vous assure que son style est celui d'un vainqueur. Je doute fort qu'on ait tué trois mille hommes aux Anglais, auprès de Saint-Malo; mais j'avoue que je le souhaite. Cela n'est pas humain mais peut-on avoir pitié des pirates ? La paix n'est pas assurément prête à se faire. A combien Strasbourg est-il taxé ? Pour nous, nous ne connaissons ni guerre, ni impôts. Nos Suisses sont sages et heureux. J'ai bien la mine de ne les pas quitter, quoique la terre de Craon soit bien tentante. Adieu, madame; je vous présente mes respects, à vous et à votre amie, et vous suis attaché pour ma vie.

V.»

2 V* a eu des nouvelles précises de la bataille de Zorndorf dans sa lettre du 16 septembre 1758 : «  […] elle est rapportée si différemment par les gazettiers de Vienne et de Berlin . Les premiers avouent que les Russes ont été battus le 25 d'août mais que le lendemain […] avaient regagné le terrain et que de toute l'armée prussienne il n'y avait été de sauvés que huit mille hommes et quelques escadrons de cavalerie . Les Berlinoises vous couvrent le champ de bataille de vingt mille Russes tous restés sur le carreau, cent trois canons que les Prussiens veulent avoir pris, 27 étendards, toute la caisse militaire, toutes les munitions, deux mille prisonniers, enfin c'est selon ceux-ci une victoire complète . […] Les trois jours suivants les Russes ont brûlé plus de dix villages et ont commis selon les gazettes de Berlin des cruautés incroyables . »

3 Aucune de ces deux lettres ne nous est parvenue . V* fait allusion à l'une d'elles dans sa lettre du 26 septembre 1758 à la duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/05/je-trouve-que-c-est-un-grand-effet-de-votre-sagesse-de-ne-po.html

Et à sa réponse dans la lettre du 27 septembre 1758 à la margravine de Bayreuth, sœur de Frédéric II : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/06/il-faut-vivre-tout-le-reste-n-est-rien-5214859.html

On sait aussi que Frédéric II avait envoyé sa lettre du 1er septembre 1758 par le canal de sa sœur .

 

06/11/2013

Il faut vivre, tout le reste n'est rien

 ... Dieu vous entende mon cher Volti , et vous exauce afin que ce reste soit sans conséquence !

Oserai-je vous rappeler que vous dîtes "le superflu, chose très nécessaire " ? Ce qui doit donner, après division, un reste non négligeable, non ? Bon à prendre aussi, oui ?

Je serai heureux si ce reste est, comme disait Raymond Devos,  "trois fois rien, car trois fois rien c'est déjà quelque chose " et je saurai m'en contenter .

http://www.youtube.com/watch?v=Td4pqnCCo0M

 http://www.youtube.com/watch?v=eAxFoVGh6I4

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«A Sophie-Frédérique-Wilhelmine de Prusse, margravine de BAIREUTH

Aux Délices, 27 septembre [1758]. 1

Madame, si ce billet trouvait Votre Altesse royale dans un moment de santé et de loisir, je la supplierais de faire envoyer au grand homme son frère 2 cette réponse du Suisse 3; mais mon soin le plus pressé est de la supplier d'envoyer à Tronchin 4 un détail de sa maladie.

Vous n'avez jamais eu, madame, tant de raisons d'aimer la vie, vous ne savez pas comment cette vie est chère à tous ceux qui ont eu le bonheur d'approcher de Votre Altesse royale, comptez que, s'il est quelqu'un sur la terre capable de vous donner du soulagement et de prolonger des jours si précieux, c'est Tronchin. Au nom de tous les êtres pensants, madame, ne négligez pas de le consulter, et s'il était nécessaire qu'il se rendît auprès de votre personne, ou si, ne pouvant pas y venir, il jugeait que vous pouvez entreprendre le voyage, il n'y aurait pas un moment à perdre. Il faut vivre, tout le reste n'est rien. Je suis pénétré de douleur et d'inquiétude, ces sentiments l'emportent encore sur le profond respect et le tendre attachement du vieux frère ermite suisse.

Voltaire.

J'espère que monseigneur sera de mon avis. »

1 Revue française, mars 1866; tome XIII, page 371.

2 Frédéric II .

3 Lettre perdue .

4 Théodore Tronchin, médecin genevois .

 

05/11/2013

Je trouve que c'est un grand effet de votre sagesse de ne point chercher à vous charger de dettes

... Et il est bien évident que cette félicitation ne s'adresse pas à la France actuelle, et surtout pas à son gouvernement .

Non plus qu'aux trublions imbéciles qui cassent à tout va du matériel , ce qui ne fera que gonfler les impôts ( de fer contre les im-pots de terre), car en bout de course tout se paye, qui que ce soit qui doive mettre la main au porte-monnaie .

Pour tout dire , ça me gonfle d'avoir à payer pour des con...ies de voyous syndiqués ou non . Manifestants, continuez à scier la branche sur laquelle vous êtes assis, vous allez vous casser la gueule , je vous le prédis . Qu'avez vous à râler contre une écotaxe qu'on voit déjà appliquée dans d'autres pays ?

 http://www.slate.fr/story/75087/pays-endette-mauvaise-dette-cherche-bonne-dette

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 Vous pouvez remplacer les bidons par des bonnets rouges, ça sonnera toujours creux !

 

 

« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse DE SAXE-GOTHA

Aux Délices, 26 septembre [1758]

Madame, par la lettre du 16, dont Votre Altesse sérénissime m'honore 1, je vois qu'elle est très-contente du baron 2, qui ne lui a pas encore fait toucher sa somme au bout de trois mois. De là je conclus que Votre Altesse sérénissime est très-indulgente, et mon baron un grand lanternier. Je ne l'ai point vu, il est dans sa superbe baronnie, sur le bord du lac Morat, moi sur le lac de Genève et je m'aperçois que la vie est courte, et les affaires longues. Non-seulement elle est courte, cette vie, mais le peu de moments qu'elle dure est bien malheureux. Le canon gronde de tous côtés autour de vos États. Je trouve que c'est un grand effet de votre sagesse de ne point chercher à vous charger de dettes. Dans ces temps de calamités, il vaut mieux certainement se retrancher que s'endetter.

Il me paraissait bien naturel que la branche de Gotha fut tutrice de la branche de Weimar 3 mais dans les troubles qui vous entourent, c'est là une de vos moindres peines.

La nouvelle victoire du roi de Prusse auprès de Custrin 4 n'est contestée, ce me semble, que par écrit. Il paraît bien clair que les Russes ont été battus, puisqu'ils ne paraissent point. S'ils étaient vainqueurs, ils seraient dans Berlin, et le roi de Prusse ne serait pas dans Dresde. Je ne vois jusqu'ici que du carnage, et les choses sont à peu près au même point où elles étaient au commencement de la guerre. Six armées ravagent l'Allemagne c'est là tout le fruit qu'on en a tiré. La guerre de Trente ans fut infiniment moins meurtrière. Dieu veuille que celle-ci n'égale pas l'autre en durée, comme elle la surpasse en destructions La grande maîtresse des cœurs n'est-elle pas bien désolée ? Ne gémit-elle pas sur ce pauvre genre humain ? Il me semble que je serais un peu consolé si j'avais l'honneur de jouir comme elle, madame, de votre conversation. Ne vous attendez-vous pas tous les jours à quelque événement sanglant vers Dresde et vers la Lippe? Le roi de Prusse me mande, au milieu de ses combats et de ses marches, que je suis trop heureux dans ma retraite paisible, il a bien raison , je le plains au milieu de sa gloire, et je vous plains, madame, d'être si près des champs d'honneur. Je présente mes profonds respects à monseigneur le duc, je fais toujours mille vœux pour la prospérité de toute votre maison. Vous savez, madame, avec quel tendre respect ce vieux Suisse est attaché à Votre Altesse sérénissime. »

2  Labat, baron de Grandcour , homme d'affaires .

4 Zorndorf où Frédéric II a remporté une victoire est au nord de Custrin .

 

04/11/2013

Tout amoureux que je suis de ma liberté, cette maîtresse ne m'a pas assez tourné la tête pour me faire renoncer à ma patrie

... La fortune est une maîtresse bien plus puissante et agissante car elle fait renoncer, sans barguigner, à toute nation un peu gourmande fiscalement .

La patrie se limite alors à un numéro de compte bien garni qui est loin d'éveiller tout sentiment d'affection désintéressée , ce que je conçois fort bien, n'étant pas plus, moi-même, amoureux de ma banque . Sans  doute le montant de ma fortune est-il trop modeste (j'ai assez d'encre dans mon stylo pour en noter le montant d'un seul coup !) pour me tourmenter à savoir comment l'augmenter par des placements mirifiques . On ne dira jamais assez la beauté du métier de fiscaliste , grand prêtre d'une religion universelle au dieu i/unique : l'argent . Où est la liberté de l'aliéné au portefeuille ? Je ne m'appesantis pas sur son sort, car j'ai plus de peine en me demandant où est la liberté du pauvre .

Autres aliénations

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Où est la liberté ?


Petit aparté : j'ai revu avec plaisir Un singe en hiver, et , ô merveille et surprise sur prise, devinez qui j'ai vu en buste dans le pensionnat de jeunes filles que l'on mêne en bon ordre à la messe ? Voltaire ! Je dis bravo à l'accessoiriste qui volontairement ou non rend hommage à l'anticlérical philosophe , à moins que ce ne soit un trait d'humour du réalisateur . Si quelqu'un peut m'en dire plus sur cet élément de mise en scène , d'avance merci .

A ceux qui me diront que je vois Voltaire partout, je répondrai "Oui ! mais pas assez encore "

 

 

 

« A Maurice PILAVOINE 1

à SURATE.

Aux Délices, près de Genève, le 25 septembre [1758]

Je suis très flatté, monsieur, que vous ayez bien voulu, au fond de l'Asie, vous souvenir d'un ancien camarade 2. Vous me faites trop d'honneur de me qualifier de bourgeois de Genève. Tout amoureux que je suis de ma liberté, cette maîtresse ne m'a pas assez tourné la tête pour me faire renoncer à ma patrie. D'ailleurs, il faut être huguenot pour être citoyen de Genève, et ce n'est pas un si beau titre pour qu'on doive y sacrifier sa religion. 3 Cela est bon pour Henri IV, quand il s'agit du royaume de France 4, et peut-être pour un électeur de Saxe, quand il veut être roi de Pologne mais il n'est pas permis aux particuliers d'imiter les rois.

Il est vrai qu'étant fort malade je me suis mis entre les mains du plus grand médecin de l'Europe, M. Tronchin, qui réside à Genève, je lui dois la vie. J'ai acheté dans son voisinage, moitié sur le territoire de France, moitié sur celui de Genève, un domaine assez agréable, dans le plus bel aspect de la nature. J'y loge ma famille, j'y reçois mes amis, j'y vis dans l'abondance et dans la liberté. J'imagine que vous en faites à peu près autant à Surate du moins je le souhaite.

Vous auriez bien dû, en m'écrivant de si loin, m'apprendre si vous êtes content de votre sort, si vous avez une nombreuse famille, si votre santé est toujours ferme. Nous sommes à peu près du même âge, et nous ne devons plus songer l'un et l'autre qu'à passer doucement le reste de nos jours. Le climat où je suis n'est pas si beau que celui de Surate, les bords de l'Inde doivent être plus fertiles que ceux du lac Léman. Vous devez avoir des ananas, et je n'ai que des pêches; mais il faut que chacun fasse son propre bonheur dans le climat où le ciel l'a placé.

Adieu, mon ancien camarade je vous souhaite des jours longs et heureux, et suis, de tout mon cœur, votre, etc. »

1 Maurice Pilavoine, membre du conseil de compagnie des Indes, avait appris à « balbutier du latin » avec Voltaire. Il était probablement né à Surate, mais, en 1758, il habitait Pondichéry. (Clogenson .)Voir lettre du 23 avril 1760 à Pilavoine, page 264 : http://books.google.fr/books?id=KcNCAAAAYAAJ&pg=PA265&lpg=PA265&dq=maurice+pilavoine+1758&source=bl&ots=DdkzKWQFIu&sig=ni9Xz230wiOhd3YO0TBJczfsqYI&hl=fr&sa=X&ei=0Kh3UqqZLYHK0QWksYGwAg&ved=0CDgQ6AEwAw#v=onepage&q=maurice%20pilavoine%201758&f=false

2 La lettre de Pilavoine du 15 février 1758 est conservée . Elle évoque le temps de l'adolescence et des études à la suite de la venue du chevalier Baudouin de Soupir aux Indes ; Pilavoine pris de court par le départ d'un vaisseau pour l'Europe, laisse à Soupire le soin de parler de lui à V* à son retour . Voir lettre du 5 mai 1758 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/08/13/temp-730764030724aa25304863c3dc168051-5140487.html

Voir aussi : http://www.e-corpus.org/cat/notices/73751-Questions-militaires-sur-l-Inde-par-le-chevalier-de-Soupire-%5B135%5D-repondues-par-le-sieur-Maissin-capitaine-d-infanterie-.html

3 Depuis « cela est bon ... », ce passage de manuscrit est d'une écriture différente ; il a été supprimé, puis restitué .

4 « Paris vaut bien une messe ! »

 

03/11/2013

Le monde est composé de mensonges, ou proférés ou manuscrits ou imprimés

 ... Aussi n'en ajouterai-je pas, dans toute la mesure du possible .

 A l'heure qu'il est, je peux en toute honnêteté vous dire que le château de Voltaire prend ses quartiers d'hiver et qu'il me manque , tout autant qu'il manque à Mam'zelle Wagnière . Je compte bien que sa restauration et mise aux normes avance sans encombres et qu'il sera encore plus accueillant .

 

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« A Pierre-Michel HENNIN.

Aux Délices, 25 septembre [1758].

partira quand pourra.

La lettre 1 dont vous m'honorez, monsieur, marque bien la bonté de votre cœur. Vous voulez bien vous souvenir d'un homme qui n'a d'autre mérite que d'avoir été infiniment sensible au vôtre, et vous avez rempli pour feu notre pauvre Patu des devoirs dont les amitiés ordinaires se dispensent. J'ignore si mes remerciements vous trouveront encore à Turin je présume que vous laissez partout votre adresse, et qu'on peut vous écrire en toute sûreté. Je vous demanderai en grâce de revoir mon ermitage, au retour de vos voyages mais c'est une chose que je désire plus que je ne l'espère. Vous me retrouverez aussi tranquille que vous m'avez laissé, et probablement je ne sortirai pas de chez moi pendant que vous courrez le monde. Vous reviendrez spoliis Orientis onustus 2. Personne n'a jamais mis plus à profit ses voyages, vous vous instruisez de tout, en attendant que vous soyez fixé par quelque poste agréable. I1 n'en est point dont vous ne soyez digne. Vous avez devant vous l'avenir le plus flatteur, vous joindrez toujours l'étude aux affaires, et par là votre vie sera continuellement et solidement occupée. Je ne connais point d'état préférable au vôtre. Il est d'autant plus agréable qu'il est de votre choix, et que le roi vous paye pour satisfaire votre goût.

Quid voveat dulci nutricula majus alumno?3

Vous aurez sans doute entendu dire, comme nous, de bien fausses nouvelles que les Russes ont battu le roi de Prusse, dans un second combat qui ne s'est point donné, et que les Anglais ont levé le siège de Louisbourg, dont ils sont en pleine possession. Le monde est composé de mensonges, ou proférés ou manuscrits ou imprimés. Mais une vérité sur laquelle vous pouvez compter, monsieur, c'est que vous êtes regretté partout où vous avez paru, et particulièrement dans l'ermitage de votre très-humble et obéissant serviteur.

Le vieux Suisse V. »

2 Chargé des dépouilles de l'Orient , Virgile , L'Enéïde , I , 289.

3 Que souhaiterait de plus une nourrice pour son cher nourisson ? Horace, Epîtres, I, iv, 8 .

 

02/11/2013

Mon grand plaisir serait de n'avoir affaire de ma vie ni à un seigneur paramont , ni au roi séant en son conseil, et de ne rien payer à personne

 ... No comment !

Il y a consensus à ce sujet; je suis prêt à le parier sur la diode de ma souris !

 

 

 

« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon

Aux Délices 23 septembre [1758]

J'avoue, monsieur, qu'il y a des abus dans les républiques comme dans les monarchies Ubicumque calculum ponas, ibi naufragium invenies 1. On ne trouve pas toujours naufragium, mais on trouve partout quelque orage. Ils sont ici moins noirs et plus rares qu'ailleurs. Je suis très-aise d'être dans un coin de terre, dove non si vede mai la faccia della Maestà 2, et où les souverains m'envoient demander mon carrosse pour venir manger mon rôti. C'est pour augmenter mon bonheur, mon indépendance, que je vous ai proposé de me préférer à Chouet le fermier, fils du doge Chouet 3. C'est pour n'être ni en France, ni à Genève. Car mon idée est de mourir parfaitement libre. Si j'achète à vie, il faudra payer les lods 4 au seigneur suzerain il faudra solliciter un secrétaire d'État et le conseil pour obtenir que, moi catholique, je sois affranchi du dixième et de la capitation comme un huguenot. Mon grand plaisir serait de n'avoir affaire de ma vie ni à un seigneur paramont 5, ni au roi séant en son conseil, et de ne rien payer à personne. Voyez, monsieur, si la tournure que j'ai prise vous convient, quittez un moment votre Salluste 6, que pourtant je voudrais bien voir, et examinez mes propositions. Si elles sont acceptées, il m'en coûtera environ soixante mille livres, et vous jouirez peut-être dans deux ans, peut-être dans un an, de tout le fruit de mes peines. Je sais que je m'impose un fardeau onéreux. Mais un degré d'indépendance de plus, et surtout l'honneur de votre amitié, seront l'intérêt de mon argent.

Si quid novisti rectius istis,

Candidus imperti; si non, his utere mecum.7

Si vous approuvez mes idées, je mets les maçons en besogne, je trace un jardin, je plante des arbres à la réception de votre lettre, et j'attends de vous du plant de Bourgogne pour vous faire boire du vin du cru quand vous viendrez voir votre royaume de Tournay.

En cas que j'aie l'honneur de terminer avec vous, il me semble que le secret sur la nature de nos conventions est la chose la plus convenable. L'affaire des Russes n'est pas tirée au clair; mais les apparences sont qu'ils ont perdu une très-grande bataille. Laissons les fous s'égorger, et vivons tranquilles. Le fatras de l'Esprit d'Helvétius 8 ne méritait pas le bruit qu'il a fait. Si l'auteur devait se rétracter, c'était pour avoir fait un livre philosophique sans méthode, farci de contes bleus

Ut ut est,9 conservez l'honneur de vos bonnes grâces au vieux Suisse V., âgé de soixante-quatre ans, et bientôt de soixante-cinq. Encore un mot. Si le problème que je propose à résoudre paraît trop compliqué, vous le simplifierez par l'équation qui vous paraîtra la plus convenable. Mais point de seigneur suzerain, point de lods et ventes, point de vingtièmes, point de capitation, point d'intendant, ni de subdélégué, si fas est.10

Voyez, par exemple, monsieur, si vous n'aimeriez pas mieux que je rendisse le château logeable plutôt que d'y faire un pavillon qui rendrait ce château trop vilain. En ce cas, je vous donnerais une somme plus forte argent comptant. Vous auriez bien moins à rendre après ma mort, et votre terre serait toujours, embellie et améliorée. Vous pourriez convenir de payer après ma mort la moitié des frais des réparations et embellissements nécessaires au château.

Voilà de quoi exercer à la fois votre esprit et votre équité. Il faudra qu'il y ait bien du malheur si nous ne nous arrangeons pas.

Je vous présente mon respect.

V.

N. B. Que votre terre est dans un état déplorable, et qu'on détruit votre forêt.11 »

1 Chaque fois que tu feras le calcul tu trouveras un désastre ; Pétrone, Satiricon, chap. cxv, 16.

2 D'où l'on ne voit plus la face de la Majesté .

3 Jean-Robert Chouet avait été à plusieurs reprises syndic de Genève .

4 Les lods sont une abréviation pour les droits de lods et ventes. « Terme de jurisprudence féodale . C'est un droit en argent que doit un héritage roturier au seigneur dont il relève immédiatement quand on fait une vente, en considération de la permission qu'il est supposé donner au vassal pour aliéner son héritage. » Le pourcentage perçu , variable selon les coutumes, était généralement d'un douzième . L'équivalent de ce droit pour les propriété nobles était la quinte . Les seigneurs de Gex étaient les princes de Conti ( et non Condé comme l'a écrit F. Caussy dans Voltaire seigneur de son village, 1912) en leur qualité de comtes de la Marche .

5 Vieux mot de la coutume féodale désignait le suzerain ( mot qui a survécu en anglais : paramount).

6 De Brosses en faisant le commentaire de l'offre de V*, dans sa lettre du 14 septembre 1758, disait : « Je vais tâcher de le faire moins long que celui que j'ai écrit sur Salluste, que je n'ose plus ni relire, ni publier, de peur de m’enorgueillir du talent que j'ai eu de faire un gros in-quarto d'un très petit in -douze . » En fait l'Histoire de la république romaine dans la cour du VIIè siècle, par Salluste, en partie rétablie et composée sur les fragments qui sont restés de ses livres perdus, lorsqu'elle sera publiée à Dijon en 1777 tiendra en trois volumes in-4°.

7 Si tu connais quelques meilleurs principes, fais m'en part d'un cœur sincère ; sinon règle toi sur les miens . Le texte donne nil pour non .

8 A la même époque, Helvétius écrivait à V* vers le 20 septembre 1758 : « Vous ne doutez pas que je ne vous eusse adressé un exemplaire de mon ouvrage le jour même qu'il a paru si j'avais su où vous prendre . Mais les uns vous disaient à Manheim, les autres à Berne, et je vous attendais aux Délices […] Vous saurez que le livre est supprimé, que je suis dans une de mes terres à trente lieues de Paris, que dans ce moment-ci il ne m'est pas possible de vous en envoyer parce qu'on est trop animé contre moi . […] Je suis dénoncé à la Sorbonne, peut-être le serai-je à l'assemblée du clergé . » On peut remarquer qu'il n'est pas dit que la Sorbonne a condamné le livre . Le 26 septembre 1758 Thieriot écrivit à V* à propos de cet ouvrage : « Il est très difficile d'avoir ce livre, cependant [...] je vous en procurerai un exemplaire […] et je le ferai partir dans la semaine par la diligence de Lyon pour M. Tronchin. »

9 Quoiqu'il en soit .

10 Si le destin le permet .

11 Entre autres, de Brosses répondra : « […] vous me renvoyez votre projet de convention si travesti, si chargé de prétintailles qu'il ne m'est plus possible de le reconnaître . […] votre proposition était d'acheter cette terre à vie […]. vous m'offriez vingt cinq mille francs, je vous demandais trente . Le nouveau projet de convention porte vingt mille livres dont je rendrai environ la moitié, et la moitié aussi des dépenses que vous y aurez faites [...]. Ce fonds perdu est trop cher pour moi . […] Qui diantre est allé suggérer ce moulin de don Quichotte ? [il] coûterait beaucoup à bâtir, à entretenir, il irait rarement et ne rendrait guère . […]

Pour le bâtiment, […] en faire non une belle maison mais un logement commode et parfaitement situé . […] Au hasard de la tontine . Qui gagnera, gagnera . […] Vous faites bien d'être indépendant, mais il ne faut pas être trembleur . […] l'ange de la fatalité, conduisant Zadig par le monde, mit dans ce vieux château un talisman qui fait qu'on n'y meurt point . Mon vieux oncle éternel […] y a vécu quatre-vingt-onze ans […]

J'attends votre réponse si le mémoire ci-joint vous agrée . Sinon voulez-vous acheter ma terre purement et simplement ? […]

PS. - M. de Fautrière, retiré à Genève, me fait proposer un échange contre sa terre plus voisine des miennes de Bresse . Mais je n'ai pas une fort grande envie d'avoir affaire à lui . »

Pour la fin de la transaction, voir lettre du 14 octobre 1758 à de Brosses .

 

01/11/2013

je voudrais un armistice éternel entre les hommes

... Et si nous sommes assez nombreux à le vouloir, il sera effectif .

Faire crever d'ennui les va-en-guerre, les profiteurs de guerre, voilà mon voeu qui rejoint celui de Voltaire .

J'aimerais, à l'occasion , trouver encore quelque âne bâté portant ses accusations de "Voltaire était favorable à la guerre pour gagner encore plus d'argent !" . Je dis ici âne bâté pour rester poli,- il y a des dames qui me lisent peut-être,- alors que je pense à d'autres épithètes plus rudes et plus adaptées en ce cas . Cessez donc de juger Voltaire avec un esprit borné .

Voir : http://users.online.be/~lesa6740/archive/dec-98/societe/travail/armistice.htm

 

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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de LUTZELBOURG

à l'île Jard

à Strasbourg

Aux Délices, 20 septembre [1758]

On ne sait plus que croire et que penser, madame. Hier, tout le monde avoue que les Russes ont été détruits, aujourd'hui, tout le monde avoue que les Russes sont ressuscités pour battre le roi de Prusse. La nouvelle vous sera venue de Paris de la défaite des Anglais auprès de Saint-Malo. C'est du baume sur la blessure que la perte de Louisbourg nous a faite. Je voudrais bien, en qualité de curieux, et encore plus d'homme pacifique, savoir ce que c'est que cet armistice entre le maréchal de Contades et M. le prince de Brunswick, je voudrais un armistice éternel entre les hommes.

Je vous remercie de tout mon cœur, madame, des petites coquetteries que vous faites en ma faveur en Lorraine. Vous savez combien j'aimerais une terre qui me rapprocherait de vous mais M. de Fontenoy 1 veut à présent vendre trois cent mille livres son Champignelle 2, qui ne rapporte pas plus de six mille livres de rente. Mme de Mirepoix et Mme de Boufflers veulent me vendre Craon mais il est substitué, et ce marché est difficile à conclure.

Puisque Colini a l'honneur de vous faire quelquefois sa cour, je vous prie instamment, madame, de lui faire dire que je lui ai écrit deux fois par M. Turckeim, le banquier, et que j'ignore s'il a reçu mes lettres 3. Mme Denis vous présente ses respects autant en fait son oncle le Suisse. Il est plein de reconnaissance pour le petit mot dont vous l'avez honoré dans certaine lettre 4. Portez-vous bien surtout. »

1  Fontenoy-sur-Moselle près de Toul .

4 A Mme de Pompadour .