03/12/2010
Plus vous serez gai, plus longtemps vous vivrez
http://www.deezer.com/listen-537667
http://www.deezer.com/listen-3407388
http://www.deezer.com/listen-4208103
Dédié à tous les candidats, politiques en mal de reconnaissance : http://www.deezer.com/listen-294527 ; je vous le recommande chaudement (surtout en ce temps hivernal !)
http://www.deezer.com/listen-1566451
Deux fous géniaux : http://www.deezer.com/listen-7156802
Un déglingué modèle qui a vérifié le titre de cette note : http://www.deezer.com/listen-2420943
« A Frédéric II, roi de Prusse
A Ferney, ce 6 décembre [1771]
Sire,
Je n'ai jamais si bien compris qu'on peut pleurer et rire dans le même jour. J'étais tout plein et tout attendri de l'horrible attentat commis contre le roi de Pologne i, qui m'honore de quelque bonté. Ces mots qui dureront à jamais : Vous êtes pourtant mon roi, mais j'ai fait serment de vous tuer ii m'arracheraient des larmes d'horreur, lorsque j'ai reçu votre lettre et votre très philosophique poème iii qui dit si plaisamment les choses du monde les plus vraies. Je me suis mis à rire malgré moi, malgré mon effroi et ma consternation. Que vous peignez bien le diable et les prêtres, et surtout cet évêque, premier auteur de tout le mal !iv
Je vois bien que quand vous fîtes ces deux premiers chants, le crime infâme des Confédérés n'avait point encore été commis. Vous serez forcé d'être aussi tragique dans le dernier chant que vous avez été gai dans les autres, que Votre Majesté a bien voulu m'envoyer v. Malheur est bon à quelque chose, puisque la goutte vous a fait composer un ouvrage si agréable vi: depuis Scarron, on ne faisait point de vers si plaisants au milieu des souffrances. Le roi de la Chine ne sera jamais si drôle que Votre Majesté vii, et je défie Moustapha d'en approcher.
N'ayez plus la goutte, mais faites souvent des vers à Sans-Souci dans ce goût-là. Plus vous serez gai, plus longtemps vous vivrez : c'est ce que je souhaite passionnément pour vous, pour mon héroïne viii, et pour moi chétif.
Je pense que l'assassinat du roi de Pologne lui fera beaucoup de bien. Il est impossible que les Confédérés, devenus en horreur au genre humain, persistent dans une faction si criminelle. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que la paix de la Pologne peut naitre de cette exécrable aventure.
Je suis fâché de vous dire que voilà cinq têtes couronnées assassinées en peu de temps ix dans notre siècle philosophique. Heureusement, parmi tous ces assassinats, il se trouve des Malagrida x, et pas un philosophe. On dit que nous sommes des séditieux ; que sera donc l'évêque de Kiovie xi? On dit que les conjurés avaient fait serment sur une image de la Sainte Vierge, après avoir communié. J'ose supplier instamment Votre Majesté, si ingénieuse et si diabolique xii, de daigner m'envoyer quelques détails bien vrais de cet étrange évènement xiii, qui devrait bien ouvrir les yeux à une partie de l'Europe. Je prends la liberté de recommander à vos bontés l'abbaye d'Oliva xiv. Je me mets à vos pieds (pourvu qu'ils n'aient plus la goutte) avec le plus profond respect et le plus grand ébahissement de tout ce que je viens de lire. »
i Stanislas-Auguste Poniatowski a été victime d'un attentat le 3 novembre 1771 ; il fut seulement blessé, et selon les historiens, par hasard .Il se serait agi seulement de le déposer et pour cela de l'enlever. V*, le 3 décembre lui envoya ses « vœux pour (sa) conservation et pour (son) bonheur. »
ii Serment fait à la Vierge ; cf. note xiii
iii La Guerre des Confédérés, poème imité de La guerre civile de Genève de V* et destiné à « peindre les folies des Confédérés, ... les sottises d'un Krasinski, d'un Potocki, d'un Oginski ... » comme dit Frédéric le 18 novembre.
Les Confédérés sont des Polonais catholiques hostiles à l'égalité des Dissidents (non catholiques) hostiles à l'intervention politique et armée de Catherine II dans les affaires polonaises et au roi Stanislas qu'elle a contribué à mettre en place.
iv Dans le Chant I de son poème, Frédéric écrit : « Tout vieux démon est l'intime des prêtres ;/ .../ Tel parut-il (le diable) jouant la comédie, / Mais qui devint fatale tragédie, / ... Voir : Page 196 et suivantes : http://books.google.be/books?id=6cxWAAAAMAAJ&pg=PA463...
Au Chant II : « ... les seigneurs s'assemblèrent, / Parmi ces chefs éclatait Krasinsky,/ Malakowski, le vaillant Potocki... » : Page 204, etc .
v Le 12 janvier 1772, Frédéric répondra : « Il était vrai que mon poème était achevé lorsque cet attentat se commit ; je ne le jugeais pas propre à entrer dans un ouvrage où règne d'un bout à l'autre un ton de plaisanterie et de gaieté ; cependant je n'ai pas voulu, non plus , passer cette horreur sous silence, et j'en ai dit deux mots, en passant, au commencement du chant cinquième ... J'ai poussé la licence plus loin ; car , quoique la guerre dure encore, j'ai fait la paix d'imagination pour finir... Vous verrez par le troisième et quatrième chant que je vous envoie, qu'il n'était pas possible de mêler des faits graves avec tant de sottises... »
vi Une crise de goutte de cinq semaines a « donné le temps de rimer et de corriger tout à son aise » à Frédéric.
vii Allusion au poème de Kien Long, Éloge de la ville de Moukden ... et à l'épître-simulation que Frédéric a alors écrite à V* « de la part du roi de la Chine » ; cf. lettre à Frédéric du 20 décembre 1770.
ix Louis XV : attentat de Damiens en janvier 1757 ; Joseph de Portugal : 1758 ; Pierre III de Russie : juillet 1762 ;Ivan de Russie : juillet 1764; Stanislas de Pologne : 1770.
x Des jésuites, comme Malagrida, avaient été impliqués dans l'attentat contre le roi de Portugal, Malagrida fut relâché. Cf. lettre du 10 février 1759 aux Cramer.
xi Sans doute Zaluski, un des instigateurs des Confédérés, dont parle Frédéric dans son poème , sans le nommer.
xii Le 18 novembre, en envoyant son poème, Frédéric écrit : « sur les folies des Confédérés » soutenus par le pape : « comme je suis un hérétique excommunié une fois pour toutes, j'ai bravé les foudres du Vatican. »
xiii Frédéric répond le 12 janvier : « L'horrible attentat entrepris et manqué contre le roi de Pologne s'est passé 'à la communion près) de la manière dont il est détaillé dans les gazettes. Il est vrai que le misérable qui a voulu assassiner le roi de Pologne en avait prêté le serment à Pulawski maréchal de confédération, devant le maitre-autel de la Vierge, à Czenstochow. Je vous envoie les papiers publics, qui peut-être ne se répandront pas en Suisse... ». « Le corps de la Confédération n'agît pas par système. Ce Pulawski ... est proprement l'auteur de la conspiration tramée contre le roi de Pologne. Il a été page du prince Charles de saxe et c'était pour placer ce prince sur le trône qu'il a tramé cet horrible complot. Les autres Confédérés rejettent ce prince ... les uns y veulent placer le landgrave de Hesse, les autres l'Électeur de Saxe, d'autres encore le prince de Teschen. Tous ces partis différents ont ... de la haine l'un pour l'autre. » En effet, les ambitions personnelles et les rivalités y sont importantes.
xiv Riche abbaye près de Dantzig dont l'abbé était par tradition un gentilhomme prussien jusqu'alors nommé par le roi de Pologne.
05:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
02/12/2010
Je ne fais d'autre office que celui d'un grison qui rend des lettres.
Le titre reflète bien mon travail de blogger , non ?
"je me contente de bonnes doublures de peluche cramoisie que je préfère aux fourrures"
Pour une fois, le coup du lapin ne laissera pas de séquelles ...
Je ne pense pas que ce soit par sentimentalisme que Volti choisisse des doublures de peluche plutôt que de la fourrure, mais par goût .
On ne chantera pas alors : http://www.youtube.com/watch?v=PsJtoVBhmbw
« A Jean-Robert Tronchin i
2 décembre [1757]
Mon cher correspondant, vous trouverez folio verso de la pâture pour les réflexions d'un homme respectable ii qui pense comme il le doit .
Il en a fait sans doute de très justes sur l'aventure du 5 iii. Vous pouvez être sûr que tout était fini si on s'était emparé des hauteurs que le roi de Prusse garnit de cavalerie et de canons sans qu'on s'en aperçût. On était trois fois plus près de ces hauteurs que lui. Le général Marshall iv entrait en Saxe avec quinze mille hommes. Tout a été perdu par une seule faute bien grossière. L'artillerie prussienne emportait nos gens dix à dix, et on s'enfuit de tous côtés. Le roi de Prusse se donna le soir le plaisir de demander des draps (à une dame d'un château voisin chez laquelle il soupa v) pour faire des bandages à nos blessés. On ne peut nous humilier avec plus de générosité.
La reine de Pologne est morte de chagrin vi. La France se ruine. Voilà encore quarante millions en rentes viagères. Je ne crois pas que j'y mette mon denier. J'aime mieux mon Palatin vii, et je me contente de bonnes doublures de peluche cramoisie que je préfère aux fourrures. Il ne faut songer qu'à se tenir bien chaud cet hiver. Gare la convention de Stade viii! Le beau billet qu'a La Châtre ix! Bonsoir, vos fermiers vous embrassent.
V.
Mille respects, je vous prie, à M. et Mme de Montferrat. La nièce se joint à moi.
« Les mêmes instructions qu'on avait, on les a encore. J'écrirai au premier jour à M. le comte de Tencin. Assurez-le , je vous prie, de toute mon estime, et dites-lui que je persiste toujours dans mon système. »
Voilà les propres mots qu'on m'écrit du 23 novembre x. Je supplie qu'on écrive en droiture, si cela se peut sans hasarder que les lettres soient ouvertes sur la route. Il n'appartient qu'à la prudence de Son Excellence de conduire cette affaire très épineuse et de donner des conseils convenables dans des circonstances où l'on ménage avec une attention scrupuleuse d'autres puissances.
Je ne fais d'autre office que celui d'un grison qui rend des lettres. Mais mon cœur s'acquitte d'un autre devoir auquel il s'attache uniquement, celui d'aimer son roi, sa patrie et le bien public, de ne me mêler absolument de rien que de faire des vœux pour la prospérité de la France, et de mériter l'estime de celui dont je respecte les lumières autant que la personne. »
iJean-Robert Tronchin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Robert_Tronchin
ii Le cardinal de Tencin ; V* par l'entremise de Tronchin, le 20 octobre, offre de servir d'intermédiaire entre la margravine et Louis XV.
Pages 411-412 : http://books.google.be/books?id=NaA3eTAyKIQC&pg=PA411...
iii Défaite franco-autrichienne de Rossbach.
iv Comte Ernst Dietrich von Marschall von Burgholzhausen, général autrichien. Auf Deutch : http://de.wikisource.org/wiki/ADB:Marschall_von_Burgholzh...
v ? La princesse d'Anhalt-Zerbst ?
vi Elle est morte le 17 novembre à Dresde où elle demeura après l'invasion de la Saxe par Frédéric et le départ de son mari Auguste III pour la Pologne.
vii V* négocie un prêt qu'il fait à l'Électeur Palatin ; cf. lettre à J.R. Tronchin du 3 février 1758.
viii Convention de Closter-Seven, signée par Richelieu le 10 septembre avec le duc de Cumberland qui doit en vertu de cet accord se retirer au delà de l'Elbe. Cette convention est rompue depuis le 28 novembre.
http://www.histofig.com/Chronologie-guerre-de-7-ans.html...
Page 343 : http://books.google.be/books?id=k0KtAAAAMAAJ&pg=PA343...
ix Le marquis de La Châtre avait exigé une promesse écrite de fidélité de Ninon de Lenclos.
http://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_la_vie_et_des_o...
x « On » = la margravine ; ce sont presque « les propres mots ». Il s'agit des négociations secrètes de paix entre la France et la Prusse.
05:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/12/2010
feu Mme du Châtelet qui n'a fini que par des infidélités
Feu ! feu ! sur tout ce qui bouge, comme dit le colonel Trautman à Rambo ! qui bien sûr réponds illico "ça va péter colonel !"
Comme je n'ai pas l'âme guerrière, en tout cas pas assassine, pour me réchauffer en ce jour neigeux, je me tourne vers l'Oiseau de feu . Sera-ce suffisant pour me dispenser de mettre les chaines à ma voiture ?
Galamment, d'abord réchauffer les jeunes filles :http://www.deezer.com/listen-5517634
Se faire admirer comme sage :http://www.deezer.com/listen-5517638
Glorifier la victime, si tant est que ça puisse la consoler :http://www.deezer.com/listen-5517643
Faire un viron chez Petrouchka , voir si elle a de la vodka :http://www.deezer.com/listen-5517648
Un peu pompette lui faire faire trois tours de valse :http://www.deezer.com/listen-5517649
Finir sans plus savoir qui est qui :http://www.deezer.com/listen-5517652
Et prendre l'Oiseau de feu pour sa lampe de chevet :http://www.deezer.com/listen-5517658
Bon, cette présentation d'une oeuvre magistrale est un peu limite hors sujet ! quoi que ...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Conseiller d'honneur du Parlement
rue de la Sourdière à Paris
A Lyon 2 décembre [1754]
Est-il possible que je ne reçoive point de lettres de mon cher ange ? Les bontés qu'on a pour moi à Lyon et l'empressement d'un public de province i, beaucoup plus enthousiasmé que celui de Paris, le premier jour de Mérope, ne guérissent point les maladies dont je suis accablé, ne consolent point mes chagrins et ne guérissent point mes craintes. C'est de vous seul que j'attends du soulagement. On me donne tous les jours des inquiétudes mortelles sur cette maudite puc...ii Il est avéré que Mlle du Thil iii la possède. Elle la tient de feu Mme du Châtelet qui n'a fini que par des infidélités iv. Il n'est que trop vrai que Pasquier v avait lu le Chant de l'âne chez un homme qui tient son exemplaire de Mlle du Thil, et que Thiriot a eu une fois raison. Je me rassurais sur son habitude de parler au hasard. Mais le fait est vrai. Un polisson nommé Chevrier a lu tout l'ouvrage. Et enfin il y a lieu de croire qu'il est entre les mains d'un imprimeur, et qu'il paraitra aussi incorrect et aussi funeste que je le craignais. Cependant je ne peux ni rester à Lyon dans de si horribles circonstances, ni aller ailleurs dans un état où je ne peux me remuer. Je suis accablé de tous côtés dans une vieillesse que les maladies changent en décrépitude et je n'attends de consolation que de vous seul. Je vous demande en grâce de vous informer par vos amis, et par le libraire Lambert de ce qui se passe afin que du moins je sois averti à temps et que je ne finisse pas mes jours avec Talhouët vi. Je vous ai écrit trois fois de Lyon. Votre lettre me sera exactement rendue, je l'attends avec la plus douloureuse impatience et je vous embrasse avec larmes. Vous devez avoir pitié de mon état, mon cher ange.
V. »
iLe 9, il écrira qu'il va aller voir jouer Brutus et que « s'il avait de l'amour propre, (il) resterait à Lyon. »
Pages 475 et suivantes : http://books.google.fr/books?id=N4M-AAAAcAAJ&pg=PA475...
ii La Pucelle cf. lettre du 20 novembre
Lettre CCCLXXX page 478 : http://books.google.fr/books?id=24jDtGSdQnUC&pg=PA478...
iii Fut dame de compagnie de Mme du Châtelet.Ou plus exactement Mlle de Thiel qui fut aussi amie de Clairaut .http://www.clairaut.com/ncoijuillet1734cf.html#Voltaire68-
iv Les derniers mots sont barrés sur la copie Beaumarchais Kehl.
v ? Étienne Pasquier ? Alors conseiller à la première chambre des requêtes .
vi François-Joachim Lapierre de Talhouët, maître des requêtes, condamné à mort en 1723 comme prévaricateur puis seulement incarcéré à Pierre-Encise, aux portes de Lyon, sur la Saône.
Page 232 : http://books.google.fr/books?id=ntxQVAWPIWAC&pg=PA232...
Pour rappeler une des vocations passées de Pierre-Encise , rien ne vaut ceci pour repousser les murs :
http://www.deezer.com/listen-3995295
05:00 | Lien permanent | Commentaires (0)
30/11/2010
On dit qu'une nouvelle scène de finances va égayer la nation.
Cette phrase, comme bien d'autres sorties de leur contexte, semble admirablement s'appliquer à l'actualité, et pourtant elle est de 1759 !
Les charlatans qui font de Nostradamus et Elisabeth Tessier leurs garants, leurs maitres, ne manqueront pas, -je le leur demande-, de reconnaitre en Volti un prophète exceptionnel ! ou alors c'est à désespérer de la bonne foi de ces gourous à deux sous !
Pour trouver un tel "caillou" il faut aller en Normandie, mon cher Volti, point d'Elbe, ni de Tamise ...
http://www.deezer.com/listen-269069
http://www.deezer.com/listen-6721995
Connaissez-vous l'Abbé Caillou ? http://www.deezer.com/listen-5106405
http://www.deezer.com/listen-7438814 petit comme un ca.....
Mais connaissez-vous, par contre, Alphonse du gros caillou ? Non ? alors je vous le présente : http://www.deezer.com/listen-6110380 et j'en reste là pour ce jour .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Aux Délices 30 novembre [1759]
Mon adorable ange, je vois bien par votre lettre que M. le duc de Choiseul est encore plus estimable que je ne croyais ; je vois sa franchise noble et digne d'un meilleur temps, et surtout je vois que son cœur est digne de vous aimer. Il vous a mis au fait de tout i. Il ne peut assurément mieux placer sa confiance. Je lui envoie aujourd'hui un gros paquet de Luc ii. Peut-être avec le temps on tirera quelque avantage des lettres que je fais passer. Je ne suis point jaloux du roi d'Espagne iii. S'il fait la paix, moi Jodelet, je ne vais point sur les brisées de Sa Majesté Catholique . Sérieusement , mon cher ange, je n'ai aucune envie de me faire de fête. J'ai seulement rêvé que pouvant aller souvent chez l'Électeur palatin qui daigne m'aimer un peu, et chez Mme la duchesse de Gotha, et même à Londres, où l'on m'a invité vingt fois, je pourrais dans l'occasion faire passer au ministre un compte fidèle de ce que j'aurais vu et entendu iv. Je me flatte que M. le duc de Choiseul ne me prend pas pour un alte succinctus v qui cherche pratique. Je suis frappé de nos malheurs et s'il s'agissait de m'arracher à ma charmante retraite pour aller ramasser quelque caillou qui pût servir parmi les fondements qu'on cherche pour établir l'édifice de la paix, j'aurais été chercher ce caillou dans l'Elbe ou dans la Tamise. Mais, Dieu merci je serai inutile, et je ne quitterai probablement pas mes étables, ma bergerie et mon cabinet. Permettez-moi de laisser dormir mes chevaliers vi jusqu'en janvier . Pour les oublier mieux vii, je me mets au second volume de Pierre le Grand . Le Prut viii, Catherine orpheline gouvernant un empire, un fils condamné par son père et par quatre-vingts juges dont la moitié ne savait pas signer son nom ix, feront une diversion qui vaudra les neuf années d'Horace x. On dit qu'une nouvelle scène de finances va égayer la nation xi. On ne fera point la guerre l'hiver, on courra aux spectacles, et la chevalerie pourra vous égayer ce carême.
Je pense que c'était l'abbé du Resnel à gouverner nos finances plutôt qu'à Silhouette, car celui-ci n'a traduit Pope et le Tout est bien qu'en prose, et l'abbé l'a traduit en vers. Mais j'aimerais encore mieux Martin xii le manichéen .
De grâce, mon respectable ami, dites-moi si les effets publics reprennent un peu de faveur. J'ai quatre-vingts personnes à nourrir .
Est-il vrai que M. d'Armentières a été battu xiii, est-il vrai que les flottes se battent xiv? Je croyais que la flotte de M. le maréchal de Conflans allait à la Jamaïque. J'ai peur que tout n'aille aux diables sur mer et sur terre. La paix, la paix, mon divin ange.
V. »
i V*, une fois de plus, sert d'intermédiaire entre la France et la Prusse, depuis septembre, dans des négociations de paix secrètes. Il fait passer les lettres écrites suivant les instructions du ministère par le truchement de la Duchesse de Saxe-Gotha à qui il adresse des billets d'accompagnement codés ; cf. lettre du 26 janvier 1760 : par exemple « la belle » ou « la coquette » désignent Frédéric !
ii Choiseul le remerciera le 20 décembre de la communication de « deux lettres de Luc, une du 12 novembre et l'autre du 21 » ; il écrira : « J'ai montré votre lettre (celle du 30 novembre) au roi et à sa société ; je les ai fort assurés que j'avais trouvé le pupitre, qu'il ne restait plus qu'à trouver le traité à signer dessus une base si agréable. » La lettre du 21 était arrivée par l'intermédiaire de la duchesse de Saxe-Gotha.
iii Choiseul proposait une médiation de l'Espagne.
iv C'est par l'intermédiaire de d'Argental que V* avait proposé ses services à Choiseul vers le 15 novembre.
v « qui a son vêtement retroussé haut » comme le sont les serveurs d'Horace dans les Satires, à savoir remuants, voire intrigant comme l'altecinctus de Phèdre.
vi Tancrède.
vii Par habitude, V* prend du recul : « ces ouvrages gagnent à se reposer » dit-il ans une lettre du 20 juillet.
viii Le Pruth, rivière célèbre par la mauvaise campagne de Pierre le Grand contre les Turcs.
ix Le 22 novembre, V* écrit à Schouvalov : « La triste mort du czarovits m'embarrassera un peu. Je n'aime pas à parler contre ma conscience, l'arrêt de mort m'a toujours paru trop dur ... Je tâcherai de me tirer de ce pas glissant en faisant prévaloir dans le cœur du czar l'amour de la patrie sur les entrailles du père. »
x A propos de Tancrède, il écrit le 24 novembre : « Horace veut qu'on tienne son affaire enfermée neuf ans »
xi Bertin, le 23 novembre vient de remplacer le contrôleur Silhouette qui avait fait enregistrer par lit de justice le 20 septembre l'Édit de subvention qui taxait les riches ; il avait dû suspendre les remboursements le 21 octobre . V* dira de Silhouette le 3 décembre : « il a voulu gouverner en temps de guerre comme à peine on pourrait le faire en temps de paix ... il a ruiné le crédit dont il avait besoin . Ses idées m'ont paru très belles, mais employées très mal à propos ... il a fait tout le contraire de ce qu'on fait à Londres. » Le 12, il soupçonnera certains financiers à qui il « voulait faire rendre gorge » de l'avoir « culbuté ».
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_de_Silhouette...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_L%C3%A9onard_Jean_Bapt...
xii En rapport avec Candide.
xiii Louis de Conflans, marquis d'Armentières abandonne, sur ordres supérieurs, Munster le 23 novembre.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_de_Conflans_d'Armenti%...
xiv Hubert de Conflans est battu sur mer le 20 novembre par l'amiral anglais Hawke dans la baie du Morbihan.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hubert_de_Brienne_de_Conflan...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Hawke
05:18 | Lien permanent | Commentaires (0)
un petit volume qui sera peut-être amusant pour ceux qui n'ont rien à faire .
Lettre écrite le 28 juillet 2011 pour parution le 30 novembre 2010.
De Voltaire et Jean-Louis Wagnière
« A Gabriel Cramer
[vers le 30 novembre 1772]
Quelque chose qu'on fasse à Paris allons toujours notre train, Caro. Après les notes 1 nous mettrons l'Epître à Boileau, l'Epître à Horace, la Réponse d'Horace de La Harpe 2, et deux ou trois autres pièces que j'ai un peu relimées . Cela fera , comme je vous l'ai dit, un petit volume 3 qui sera peut-être amusant pour ceux qui n'ont rien à faire .
Ordonnez, je vous en prie, qu'on fasse la correction ci-jointe .
Wagnière remercie bien sensiblement monsieur Cramer de la grande Encyclopédie . »
2 Voir lettres, à d'Alembert du 13 novembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/12/je-deviens-plus-insolent-a-mesure-que-j-avance-en-age-la-can.html
à La Harpe du 30 novembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/11/index.html
05:16 | Lien permanent | Commentaires (0)
29/11/2010
Il n'est point du tout honnête de s'emparer aussi du bien de ses camarades. On ne fait point de pareils tours à la Chine.
http://www.deezer.com/listen-4461127
http://www.deezer.com/listen-7488618 Chet Baker, celui que vous avez ci-dessus !
http://www.deezer.com/listen-7488624
Il Y A : http://www.deezer.com/listen-7488632 , parfois on regarde les choses en se disant : pourquoi pas ?...
http://www.deezer.com/listen-7488628
« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy
28è novembre 1770
Mon cher conseiller, les scènes que vous avez jouées à la campagne sont sûrement plus plaisantes que celles qu'on donne quelquefois sur votre grand théâtre de législation. Je vous trouve un très grand philosophe de savoir joindre les amusements aux affaires. Vous pourriez bien en avoir une avec votre ancien confrère M. l'abbé Terray au sujet de cent mille francs qui vous appartiennent et sur lesquels il semble avoir mis une main qu'il n'a pas encore retirée i. Il n'est point du tout honnête de s'emparer aussi du bien de ses camarades. On ne fait point de pareils tours à la Chine. Vous savez sans doute que les remontrances des six premiers grands tribunaux y ont force de loi. Voilà ce gouvernement qu'on nous a peint comme si despotique. Il faut bien qu'on y soit heureux puisque l'empereur fait des vers ii.
On n'est pas si heureux dans mon petit empire de Ferney. Le blé y vaut cinquante francs (le setier de Paris [http://fr.wikipedia.org/wiki/Setier]) depuis un an, et à présent vingt écus [= 60 francs ; http://erwan.gil.free.fr/index.php?mod=freepages&page...]. Il faut que la France soit devenue bien riche depuis le système de MM. les économistes et les Éphémérides du citoyen iii.
Comme mon commerce avec le roi de la Chine commence à faire du bruit dans votre province d'Europe, il est juste que vous en soyez instruit. Je vous envoie une des lettres à ce monarque que la malice m'attribue iv.
Je salue madame votre femme à la chinoise. Je voudrais bien un jour prendre avec elle une tasse de thé. Je vous embrasse de tout mon cœur.
V. »
i En cadeau de mariage, V* a donné à son petit-neveu d'Hornoy, de l'argent à récupérer sur celui des rescriptions perdu (provisoirement au moins) à la suite des mesures prises par le contrôleur général des finances Terray.
ii Allusion à l'Éloge de la ville de Moukden et de ses environs... de Kien Long ; cf. lettres à Thiriot et à Catherine II du 26 novembre 1770.
http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/24/s...
http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/25/i...
iii Que publie Dupont de Nemours ; cf. lettre du 16 juillet.
http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/07/30/t...
05:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
28/11/2010
Autrefois les ministres ne faisaient jamais de tels aveux.
J'en conclus fort aisément que nous sommes revenus à une époque d'Ancien Régime (quoique tous les régimes amaigrissants aient été mis au ban de la médecine récemment, ils ont cela de commun avec la politique de faire maigrir les petits et engraisser les gros ! ).
Des ministres ! faire des aveux !
Non, mais , Volti, tu rêves .
Plutôt crever la bouche pleine que recracher des mensonges , telle est la règle de nos jours .
"Il a noblement avoué son tort"
Alors là !!
Reconnaitre le tort des autres partis ? oui !
Celui de son parti ? presque, si on est en froid avec ses dirigeants !
Jamais, si on vise une place juteuse ou si on veut la garder !
Je réactualise donc : "Aujourd'hui, les ministres ne font jamais de tels aveux."
Aveux de banlieue : Yo ! man ! : http://www.deezer.com/listen-524271
Aveux de rigolade : petit retour vers le feuilleton radiophonique qui berça mes dernières années lycéennes : http://www.deezer.com/listen-235991
et http://www.deezer.com/listen-235991
et encore http://www.deezer.com/listen-235895
Et puis, aveux d'amour : http://www.deezer.com/listen-1150376
Ceux-ci coûtent autant à faire, je crois même plus, que ceux qu'on doit faire sur la place publique . Dans l'intime on risque sa vie , dans le public on ne risque que sa place . Alors ...
Au passage, je vous recommande de lire les lettres de d'Alembert qui fait jeu égal en humour et esprit avec Volti. C'est un magnifique scientifique et un érudit qui me plait .
« A Jean Le Rond d'Alembert
28 novembre [1762]
Mon cher confrère, mon grand philosophe, vous ne me paraissez pas trop compter sur l'amitié des grands i. N'avez-vous jamais éprouvé que les petits n'aiment guère mieux ? Pour moi qui ai le bonheur d'être petit, je vous avertis que je vous aime de tout mon cœur.
A l'égard du duc de Choiseul, convenez que je lui ai une très grande obligation puisque je lui dois d'être libre chez moi ii, et de ne pas dépendre d'un intendant. Vous en savez pas ce que c'est qu'un intendant de province. Le frère d'Omer iii me manda un jour qu'il n'était en place que pour faire du mal. Aussi voulut-il m'en faire ; et j'eus les franchises de ma terre malgré lui. Vous voyez que je me suis toujours moqué de la famille d'Omer. C'est à M. le duc de Choiseul que je dois tout cela. S'il a eu le malheur de croire sur une écriture rapide que j'avais écrit une sotte lettre iv, il a bien réparé son erreur. Il a noblement avoué son tort. Autrefois les ministres ne faisaient jamais de tels aveux.
Pour Luc, quoique je doive être très fâché contre lui, je vous avoue qu'en qualité d'être pensant, et de Français je suis fort aise qu'une très dévote maison v n'ait pas englouti l'Allemagne et que les jésuites ne confessent pas à Berlin. L'Infâme est bien puissante vers le Danube. Vous me dites qu'elle perd de son crédit vers la Seine vi. Je le souhaite, mais songez qu'il y a trois cent mille hommes gagés vii pour soutenir ce colosse affreux, c'est à dire plus de combattants pour la superstition que la France n'a de soldats. Tout ce que peuvent faire les honnêtes gens, c'est de gémir entre eux quand cette superstition est persécutante, et de rire quand elle n'est qu'absurde, d'éclairer le plus d'esprits bien nés que l'on peut et de former insensiblement dans l'esprit [des hommes]viii destinés aux places une barrière contre ce fléau abominable. Ils doivent savoir que sans les disputes sur la transsubstantiation et sur la bulle, Henri III, Henri IV et Louis XV n'auraient pas été assassinés . C'est un bon arbre, disent les scélérats dévots, qui a produit de mauvais fruits. Mais puisqu'il en a tant produit ne mérite-t-il pas qu'on le jette au feu ?ix Chauffez-vous en donc tant que vous pourrez, vous et vos amis.
Vous pensez bien que je ne parle que de la superstition car pour la religion chrétienne je la respecte et je l'aime comme vous .
Courage donc, mes frères, prêchez avec force et écrivez avec adresse. Dieu vous bénira.
Protégez, mon frère, tant que vous pourrez la veuve Calas . C'est une huguenote imbécile, mais son mari a été la victime des pénitents blancs. Il importe au genre humain que les fanatiques de Toulouse soient confondus. Un autre fanatique, Patouillet, aidé de Caveirac, a écrit deux volumes contre l'Histoire générale x. Tant mieux. Si on lit leur livre, cela fera naître des éclaircissements. J'avais levé un coin du voile dans la première édition, je le déchire un peu dans la seconde. Vous y trouverez de quoi vous édifier. En attendant j'enverrai à l'Académie l'Héraclius de Calderon : il fera connaitre le génie espagnol xi. En vérité ils sont dignes d'avoir chez eux l'Inquisition.
Que faites-vous à présent ? travaillez-vous en géométrie, en histoire, en littérature ? Quoi que vous fassiez, écrasez l'Infâme, et aimez qui vous aime. »
i D'Alembert moqueur a écrit : « ... à l'égard de ses bontés (de Choiseul) je vous en souhaite la continuation. » ; lettre du 17 novembre : http://books.google.fr/books?pg=PA592&lpg=PA592&i...
ii En mai 1759, Choiseul a fait obtenir à V* et Mme Denis le brevet de conservation des droits seigneuriaux de Ferney ; ces droits seront à nouveau contestés en mai 1763.
iii Le frère d'Omer Joly de Fleury était intendant de Bourgogne. V* l'avait reçu chez lui en octobre 1760, fort bien, avec le fils même d'Omer : http://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_Joly_de_Fleury
et cf. lettre du 16 octobre 1760 à Mlle Clairon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/10/16/a...
iv « ... sotte lettre » : version très falsifiée et antigouvernementale publiée dans le St James's chronicle du 17 juillet 1762 de la lettre adressée à d'Alembert le 29 mars ; cf. lettre du 15 septembre à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/15/tachez-de-votre-cote-d-eclairer-la-jeunesse-autant-que-vous.html
et lettre 104 et suivantes,pages 587-... : http://books.google.fr/books?pg=PA592&lpg=PA592&i...
Cela faisait sa « vraie tribulation » que le duc de Choiseul le « crû l'auteur de cette belle rhapsodie anglaise » et « qu'il le (lui)( eût) écrit avec bonté... » disait-il aux d'Argental le 25 octobre ; il ajoutait : « J'en ai été outré et je lui ai dit bien des injures qu'il mérite. » Pour détromper Choiseul
il lui envoyait la véritable lettre avec un billet de d'Alembert ; le 12 décembre, Choiseul le tranquillisait : « Vous avez raison, vous n'avez point écrit la lettre supposée ; personne n'en parle, ni ne songe actuellement à vous l'imputer ... ma chère marmotte, je vous aimerai toujours de tout mon cœur. »
v La maison d'Autriche. Luc = Frédéric II de Prusse.
vi Le 17 novembre d'Alembert lui a écrit : « il y a , dit-on, 24 jésuites retirés à Versailles ...Le parlement ne les y voit pas d'un bon œil et se propose d'enfumer le terrier ..., ils ne sont plus guère renards. » Sur les avatars des jésuites, cf. lettre du 19 mai 1762 . La dissolution de l'ordre a été prononcée le 6 août 1762 par le Parlement.
vii Prêtres et moines.
viii Mots omis par V*.
ix Tel qu'il est dit dans les évangiles.
x V* évoque les Erreurs de M. de Voltaire sur les faits historiques, dogmatiques..., 1762, ouvrage anonyme dont il a demandé le nom de l'auteur à Damilaville ; cf. lettre du 9 septembre 1762, et page 407 lettre CCLIX : http://books.google.be/books?id=9EUQAAAAYAAJ&pg=PA407...
. L'auteur est le jésuite Nonnotte (qui figure dans le tableau dit Le triomphe de Voltaire au château à Ferney-Voltaire, -en enfer bien entendu !-.)
Le père Patouillet avait publié entre autre l'Apologie de Cartouche, ou le scélérat sans reproche par la grâce du P. Quesnel, 1731,http://books.google.be/books?id=EewFAAAAQAAJ&pg=PA5&a...
et Novi de Caveirac, auteur de l'Apologie de Louis XIV et de son conseil, sur la révocation de l'Édit de Nantes ... avec une dissertation sur la journée de la Saint Barthélémy, 1758 : http://books.google.be/books?id=708A7rLJkwAC&printsec...
xi V* a joint à ses Commentaires sur Corneille une traduction de la pièce de Calderon qu'il juge très sévèrement ; cf. lettre du 4 juin à Capacelli et lettres du 17 juin et 15 septembre 1762 à d'Alembert.
05:05 | Lien permanent | Commentaires (0)